Au Québec, nous utilisons l’expression « littératie numérique ». En France, on parle plutôt d’inclusion numérique. Des mots différents pour aborder l’importance de maîtriser les codes de l’univers numérique afin de réduire les fractures sociales alors que les technologies sont omniprésentes dans nos vies.
François Guité, consultant en sciences de l’éducation au Québec, et André Tricot, professeur de psychologie cognitive à l’Université Paul Valéry Montpellier 3 et chercheur au sein du laboratoire Epsylon, avaient été invités à discuter du sujet lors du colloque France-Québec, L’inclusion numérique.
Si l’expression « inclusion numérique » peut concerner tout ce qui a trait à l’accès aux technologies (la disponibilité des appareils et de la connexion à Internet, principalement), la littératie numérique fait plus spécifiquement référence aux habiletés dans l’usage des outils technologiques (connaissances techniques), à la capacité de les comprendre de façon critique (compétences éthiques) et à l’expertise nécessaire pour créer du contenu numérique et devenir un agent de changement dans son milieu (innovation et partage).
La première expression serait donc plus englobante, bien qu’à peu près inutilisée au Québec, comme l’a fait remarquer M. Guité. Et c’est probablement parce que la notion d’inclusion est déjà utilisée à d’autres escients dans le milieu éducatif québécois.
« L’inclusion scolaire vise le développement des sentiments d’appartenance et d’acceptation des élèves ayant des besoins particuliers, ainsi que la mise en place de mesures de soutien favorisant l’apprentissage de ces élèves à l’intérieur de programmes réguliers. Une pédagogie inclusive se traduit notamment par une adaptation des approches dans le but de soutenir ces jeunes dans leur classe. »
Inclusion scolaire, au Québec (source : RIRE)
Le rôle de l’école
Malgré cette distinction en termes de vocabulaire utilisé, les deux intervenants se sont montrés d’accord sur plusieurs points, à commencer par le fait que l’école a un rôle à jouer pour contribuer à la maîtrise des connaissances et compétences nécessaires à l’ère du numérique. Considérant que les inégalités en matière de numérique sont en lien avec les milieux socio-économiques, l’école pourrait réduire la fracture sociale en participant à la littératie.
D’ailleurs, M. Tricot a cité en exemple l’étude PISA de 2018 qui a évalué, entre autres, la capacité des adolescents à naviguer sur le Web. Les résultats ont démontré une corrélation avec la connaissance de stratégies de lecture et de stratégie de compréhension de l’écrit, qui sont des compétences que l’on pourrait qualifier de classiques et qui sont traditionnellement apprises à l’école.
De son côté, François Guité a fait remarquer que « la nécessité d’inclusion numérique soulève plusieurs enjeux auxquels le milieu de l’éducation ne peut échapper et auxquels il devra contribuer, à commencer par l’accès aux technologies, l’éthique des usages des données personnelles et le besoin grandissant de réflexivité sur le changement ».
Selon lui, l’école a « un rôle de gardien social et d’éducateur des usages éthiques » à jouer pour faire contrepoids aux dérives possibles dans l’univers numérique. Les acteurs de l’éducation se doivent donc de faire preuve de vigilance et d’avoir de bonnes connaissances du déploiement du numérique et de son évolution, pour être éventuellement capables de le façonner.
L’inclusion numérique donne lieu à de nouvelles stratégies pédagogiques, mais nous accusons un sérieux retard en la matière, croit M. Guité. Notamment, ajoute-t-il, parce que le milieu scolaire a de la difficulté à porter un regard éclairé et réfléchi sur les usages possibles. Les technologies évoluent très rapidement. Les réflexions sont encore trop souvent tournées sur les outils eux-mêmes plutôt que sur les pratiques.
M. Tricot a renchéri en précisant que l’école a de nouveaux contenus et de nouveaux savoirs à construire, qu’elle devra se donner de nouveaux objectifs. En conclusion, il a quand même tenu à ajouter que des pratiques en dehors de l’école peuvent aussi avoir un effet sur l’inclusion numérique. Par exemple, les élèves qui consacrent plus de temps à la lecture à la maison (peu importe qu’elle soit sur papier ou sur support numérique) réussissent mieux de façon générale par la suite.
Finalement, M. Guité s’est demandé si nous ne devrions pas nous doter d’une stratégie nationale d’éducation à la littératie numérique pour arriver à réduire les écarts entre les usages et faciliter l’appropriation du numérique de façon plus uniforme dans la société.
Il est possible d’écouter l’intégralité de l’échange entre M. Guité et M. Tricot ici, sur YouTube.