Souvent, on entend de nouvelles statistiques à propos du futur du marché du travail. Il est difficile de conclure qu’elles sont fondées sur des études sérieuses et exhaustives, étant donné qu’on tente de prédire l’avenir. Par exemple, selon l’étude conjointe du fabricant d’ordinateurs Dell et de l’Institute for the future, 85 % des emplois en 2030 « n’existent même pas encore aujourd’hui ». Dans la même veine, selon le McKinsey Global Institute, « 47 % des tâches effectuées par la main-d’œuvre canadienne pourraient être automatisées d’ici 2055 en utilisant des technologies déjà existantes ».
À défaut d’avoir une boule de cristal pouvant confirmer que ces chiffres futuristes sont fondés et qu’ils s’avèrent réels à terme, il y a néanmoins lieu de conclure que notre société est bel et bien en mutation. Non seulement l’éducation n’échappe-t-elle pas à cette mutation, mais en plus, nos écoles doivent préparer les élèves à s’épanouir dans un siècle qui se caractérise de plus en plus par un nombre important de changements se succédant à un rythme effréné.
Conséquemment, à défaut de savoir exactement à quoi préparer les élèves, il faut certainement les préparer à développer leur capacité d’adaptation, leur ouverture d’esprit et leur faculté de réflexion sur des enjeux cruciaux.
Ainsi, de plus en plus, il est question de développer les compétences du 21e siècle chez les élèves. Bien entendu, il existe plusieurs modèles qui tournent habituellement autour des compétences suivantes : la collaboration, la créativité, la pensée informatique, la résolution de problématiques complexes, le développement de la pensée critique, le développement de compétences organisationnelles, etc. Cependant, si ces modèles se sont centrés sur les compétences à développer chez les apprenants, peu se sont penchés sur les compétences à développer chez ceux qui doivent contribuer à développer ces compétences chez les élèves : les enseignants.
Ainsi, à quoi ressemble un enseignant bien ancré dans le 21e siècle, apte à développer ces fameuses compétences? Dans un premier temps, il s’agit d’un apprenant à vie et d’un professionnel qui sait trouver des solutions novatrices à des problématiques complexes. De plus, il sait mobiliser les meilleurs outils didactiques, incluant les technologies. Le tout avec, en trame de fond, une compétence phare qui facilite toutes les autres : la collaboration.
L’enseignant est un apprenant à vie
L’enseignant bien ancré dans ce siècle en est un qui reconnaît que sa formation universitaire est d’abord et avant tout initiale : elle mène à la profession. Elle n’est pas terminale et elle ne le sera jamais. D’où l’immense importance du développement professionnel et de la formation continue. Au-delà de son investissement continu dans des formations universitaires qui est, par définition, chronophage, il explore toutes les possibilités offertes par l’employeur, diverses associations professionnelles, son syndicat, etc. Il est donc à la recherche d’occasions de perfectionnement professionnel, reconnaissant que sa profession ne sera jamais maitrisée, puisque les élèves avec lesquels il travaille sont tous différents.
C’est un peu le postulat de la mentalité de croissance, concept proposé dès 2006 par la psychologue de renom, Carol Dweck, qui estime qu’une mentalité est une préconception que l’on a de soi-même (consciente ou non) et qui concerne qui nous sommes et ce que nous pouvons accomplir, et ce, autant au niveau professionnel que personnel. Dweck prétend que cette mentalité influe sur notre capacité d’apprendre et de développer des compétences, d’entrer en relation avec autrui et d’atteindre un certain niveau de succès professionnel. La mentalité de croissance suggère donc que la pratique professionnelle est perfectible et que le professionnel en question doit en être conscient et voir à saisir les opportunités de développement pour atteindre un degré de compétence qui croît sur une base régulière.
La particularité des apprentissages professionnels au 21e siècle est telle qu’elle s’ancre dans la collaboration avec ses collègues. Non seulement le maintien du cloisonnement des pratiques professionnelles n’est plus possible, mais il en est exactement de même pour le développement professionnel des enseignants. Il est de la responsabilité de ce dernier de voir à son développement professionnel, mais il est également de la responsabilité de ses collègues de partager leurs trouvailles, leurs expertises et leurs expériences professionnelles pour contribuer à faire croître tous les membres de l’équipe-école ou de collectifs enseignants qui dépassent le territoire physique d’exercice. Enfin, il est de la responsabilité de la direction de voir à faciliter de tels échanges dans divers contextes professionnels. En fin de compte, ce sont tous les élèves de l’école qui bénéficient de cette mentalité de croissance rehaussée de ces partages.
L’enseignant sait collaborer avec les autres acteurs du milieu scolaire
L’importance de la collaboration n’est pas nouvelle et elle est largement antérieure au 21e siècle. Cependant, grâce aux technologies qui envahissent la vie de tous, la collaboration prend une tout autre dimension et elle voit ses possibilités décupler.
Les communautés d’apprentissage professionnelle (CAP) sont de plus en plus présentes dans le paysage de la profession enseignante. Selon Dionne, Lemyre et Savoie-Zajc (2010), une CAP se définit comme étant :
(…) un dispositif qui, dans sa dimension cognitive, vise le développement de la pratique pédagogique, l’acquisition d’un savoir individuel et collectif et la quête de sens. Dans sa dimension affective, la communauté d’apprentissage encourage l’enseignant(e) au partage de savoirs et au soutien entre collègues. Enfin, dans sa dimension idéologique, la communauté d’apprentissage sert à l’émancipation des enseignants, par l’utilisation des recherches, en reconnaissant leur rôle dans la production de ces recherches, et elle vise ultimement à créer une cohésion et une vision commune dans l’école (Dionne, Lemyre et Savoie-Zajc, 2010).
À défaut d’exister de façon formelle dans toutes les écoles, il n’en demeure pas moins que les médias sociaux offrent la possibilité de s’imprégner de CAP existantes à l’extérieur des murs de l’école, et ce, que ce soit à l’échelle régionale, nationale ou internationale. Grâce à Facebook et surtout à Twitter, il est désormais plus facile d’être connecté à d’autres professionnels inspirants et d’échanger des informations, des idées et des pratiques avec eux.
L’enseignant fait preuve de leadership pédagogique
Non seulement l’enseignant est un professionnel visionnaire en éducation, mais il s’épanouit dans le projet scolaire de son institution. Il s’active à amener ses collègues à modifier leurs approches pédagogiques ou éducatives de façon volontaire, dans le meilleur intérêt de l’élève.
Dans un premier temps, les « tribus » sont de puissants outils de réseautage. En effet, ces « tribus », terme emprunté au génie de la mise en marché, l’américain Seth Godin (2008), sont des regroupements spontanés de personnes motivés par des éléments similaires et menés par un leader. En effet, selon Godin :
L’humain a besoin d’appartenir à un groupe. Nous sommes tous attirés par les leaders et leurs idées et sommes excités à l’idée d’entrevoir la nouveauté ;
Une tribu ne peut exister sans leaders et les leaders ne peuvent exister sans leur tribu ; il n’y a rien de vraiment complexe avec le leadership, mais nous avons été conditionnés à ne pas assumer ce rôle en éducation.
Qu’est-ce que cela signifie? Il faut comprendre que le développement du leadership se fait par d’innombrables cercles ouverts d’influence où les relations entre les individus sont basées sur la collaboration et la communication. Si, depuis toujours, les humains ont été mystifiés par les leaders, sur une base quotidienne, ce sont ceux qui acceptent de suivre qui méritent notre estime, puisqu’ils sont ceux qui ont le courage de suivre et d’inciter leurs pairs à les suivre et adopter la vision du leader. Sans leader, point de vision, mais sans ceux qui suivent, point de leaders!
En un sens, le leadership scolaire est constitué de centaines de milliers de tribus interreliées, desquelles jaillissent des idées et diverses expériences, lesquelles prennent ensuite forme dans les classes, pour le bénéfice des élèves.
L’enseignant sait trouver des solutions novatrices à des problématiques complexes
Les classes ne sont plus aussi homogènes qu’elles pouvaient l’être il y a cinquante ans. L’instabilité familiale, les grandes migrations causées par des désastres humanitaires, la (re)montée des intégrismes religieux et les troubles d’apprentissages sont autant d’exemples qui font que lorsque l’élève arrive dans notre classe, il peut fort bien ne pas être prédisposé à apprendre. C’est dans cette optique que le pédagogue devient un stratège de l’apprentissage qui sait reconnaître les particularités de ses élèves pour être en mesure de mieux intervenir auprès d’eux. Bref, il faut non seulement convenir de la complexité de la profession, mais en plus, il faut l’embrasser comme étant un élément de sa reconnaissance et de sa pérennité.
De plus, l’enseignant au 21e siècle doit soutenir l’élève à formuler des éléments de solution à des problèmes complexes. Les élèves d’aujourd’hui sont ceux sur lesquels pèsent de réelles menaces : réchauffement climatique, pollution et destruction des écosystèmes, grandes migrations, terrorisme, etc. Visiblement, leurs aïeuls n’ont pas été en mesure de trouver des solutions durables à ces problématiques complexes. Comment peut-on faire en sorte que nos élèves, eux, puissent le faire? Comment peuvent-ils s’imposer, dès l’âge scolaire, comme étant des acteurs de choix pour améliorer la société dans laquelle ils évoluent? Plusieurs éléments de réponse se trouvent dans la collaboration, et ce, en deux sens : primo, vu la gravité des problématiques énoncées et vu leur complexité, force est d’admettre que tenter seul de trouver des solution s’avère une aventure périlleuse. La créativité des élèves doit être rehaussée par les perspectives de collaboration. On ne parle donc plus de créativité, mais de co-créativité. Lorsqu’un groupe d’élèves œuvre à trouver de vraies solutions à de vrais problèmes, il y a espoir d’entrevoir de vrais résultats.
Secundo, cette collaboration entre les élèves est certes profitable, mais elle se voit plus efficace lorsqu’elle est encadrée par un enseignant qui agit à titre de guide pour aider les élèves à collaborer et les aiguiller sur des avenues d’exploration. Véritable stratège, ce dernier sait fournir les occasions de réflexion, de métacognition et de rétroaction, éléments qui rehaussent la qualité de l’apprentissage et qui en approfondissent l’empreinte.
Face à ces problématiques complexes, l’enseignant isolé dans sa cloison doit se sentir bien seul s’il réussit à voir l’étendu de cette complexité et s’il souhaite qu’elle façonne sa pratique. C’est pour cette raison que la somme des enseignants, regroupés dans une CAP, peut devenir un outil menant à l’innovation pédagogique.
L’enseignant fait appel aux meilleurs outils didactiques
Une fois l’intention pédagogique identifiée, quels outils peuvent être utilisés pour soutenir ses approches pédagogiques et pour faciliter l’apprentissage des élèves? Ou pour tenter d’innover pédagogiquement? Si la combinaison du manuel scolaire et du cahier d’exercices a longtemps été la norme, il faut considérer que cela n’est plus le cas. Les meilleurs outils pédagogiques sont désormais, pour la plupart, des outils technologiques qui puisent leur pertinence et leur puissance en conjonction avec un esprit pédagogique créatif. Comme dans tous les domaines sociaux, l’éducation n’échappe pas à la vague de fond technologique.
À cet égard, tous sont fiers de constater les progrès de la médecine, ceux des transports et même, ceux des domaines légaux. Pourquoi n’en serait-il pas de même en éducation? L’invasion technologique en éducation est gage de possibilités pédagogiques. Elle facilite, en outre, la rétroaction, la communication, la différenciation des approches pédagogiques, etc.
Sans être de véritables technophiles, les enseignants doivent néanmoins être cultivés dans le domaine. La littératie numérique chez les élèves est incontournable et force est d’admettre que son succès, comme bien d’autres, passe par ceux qui sont à pied d’œuvre auprès de ces derniers.
Une fois de plus, la collaboration donne un sens à l’intégration des technologies en pédagogie, et ce, pour les élèves comme pour les enseignants. Pour les élèves, elle est un levier important de partage et de communication avec d’autres élèves ou des experts disséminés dans le monde entier. Un exemple est frappant : une compagnie montréalaise œuvre au développement d’un tuteur intelligent en mathématique rendu possible grâce à une plateforme reliant des élèves qui éprouvent de la facilité et d’autres qui éprouvent des difficultés avec les mêmes thématiques. Cela dit, un élève éprouvant de la difficulté avec l’algèbre pourra trouver un collègue, à l’extérieur des heures de cours, qui pourra répondre à ses questions. En effet, grâce à l’intelligence artificielle, le tuteur intelligent reconnait qui est apte à aider un élève en difficulté pour faciliter une collaboration efficace entre ceux entrés en relation de tutorat virtuel. Les rôles peuvent ensuite être interchangés, car l’élève qui était faible en algèbre pourrait être plus fort en trigonométrie et ainsi aider, à son tour, d’autres pairs.
Pour les enseignants, il est démontré que le mentorat par les pairs est une pratique professionnelle gagnante lorsqu’il est question de soutenir des changements de pratique, notamment ceux en lien avec l’intégration des technologies. La collaboration entre deux professionnels a pour effet de « sécuriser » l’enseignant moins ouvert au changement, sachant pertinemment qu’il pourra compter sur le soutien d’un pair qui est à proximité et qui évite de le juger vu ses possibles inconforts pédagonumériques.
Conclusion
La collaboration est en toile de fond du développement des compétences professionnelles des enseignants au 21e siècle. Il s’agit d’une compétence phare permettant un développement plus efficace des autres compétences, en l’occurrence la nécessité des enseignants d’être des apprenants à vie et des professionnels qui savent trouver des solutions novatrices à des problématiques complexes en mobilisant les meilleurs outils didactiques, notamment ceux en lien avec la technologie. Ce sont ces enseignants qui sauront préparer les jeunes pour les défis qui se dresseront devant leur épanouissement personnel et collectif.
Quand on y pense bien, les élèves qui feront leurs premiers pas dans les écoles secondaires québécoises ou dans les collèges du système d’éducation français seront ceux qui entreront sur le marché du travail à la fin de la prochaine décennie pour jouer un rôle familial, professionnel, social, économique, culturel et communautaire de premier plan jusqu’aux années soixante, soit celles qui sont devant nous. Cela dit, peut-on sincèrement prétendre que notre action scolaire dans lequel nous évoluons prépare nos élèves aux prochaines décennies de leur vie? Il y a lieu d’en douter.
Bibliographie
- Conseil supérieur de l’éducation. (2006). Rapport annuel sur l’état et les besoins de l’éducation 2004-2005, Version abrégée, Québec : Bibliothèque nationale du Québec.
- Dionne, L., Lemyre, F. et Savoie-Zajc, L. (2010). Vers une définition englobante de la communauté d’apprentissage (CA) comme dispositif de développement professionnel. Revue des Sciences de l’Éducation, 36(1), 25‑43.
- Dweck, C. S. (2006). Mindset: The New Psychology of Success. New York : Random House.
- Godin, S. (2008). Tribe : we need you to lead us. New York : Portfolio.
- Tricot, A. (2017). L’innovation pédagogique. Paris : Éditions Retz.