Par Marc-André Girard, directeur d’une école publique
Les textes qui précèdent ont été rédigés pendant l’été (voir les liens à la fin de cet article), à temps perdu, à des moments imprévus. Devant l’ampleur de mes réflexions, mon cahier de notes manuscrites m’a accompagné partout : sur la route, au camping, sur la mer, à la maison. Bref, j’avais l’esprit effervescent, rempli de réflexions inattendues à un moment où j’avais pourtant besoin de faire le vide, de me déconnecter du quotidien scolaire.
À la fin des vacances, j’ai eu l’opportunité d’assister à une conférence du psychologue Amir Georges Sabongui. Cela aura été l’aboutissement de mon été réflexif, le coup de pied au derrière dont j’avais besoin pour reprendre le collier.
En partant, nous étions sur la même fréquence. En s’adressant à une centaine de directions et de cadres scolaires, il a répété ma marotte : votre travail est de vous rendre inutiles pour laisser plus de place aux autres, les laisser faire preuve d’initiative et ainsi, vous pourrez travailler sur votre vision macro. Si vous êtes un lecteur assidu de l’École branchée, ce discours vous rappellera certainement un article sur le même sujet.
S’occuper des gens
À l’ère des données probantes en éducation, Sabongui nous lance un message incontournable : occupez-vous des gens. Ceux qui sont dans nos classes sont ceux qui font émerger les données. Bref, occupez-vous des gens qui s’occupent des données.
Encore mieux dit, dans une vision où nous œuvrons dans le domaine pour travailler pour les élèves, occupez-vous de ceux qui s’occupent des élèves. J’irais même jusqu’à dire : traitez-les de la façon dont vous voulez qu’ils traitent les élèves : avec empathie, bienveillance, rigueur et cohérence.
Si vous êtes comme moi, vous cherchez à faire une différence positive dans la vie des autres et, pour ce faire, il faut prendre soin des autres. S’il y a une chose que je retiens des années pandémiques combinées avec l’accentuation de la pénurie de professionnels de l’éducation, c’est bien qu’il faille prendre soin les uns et des autres.
Prendre soin dans les deux directions
Je me permets d’oser : prendre soin des uns, ce n’est pas qu’une action ou responsabilité « descendante ». Donc, ce n’est pas seulement la direction qui doive prendre soin des membres de l’équipe et ceux-ci qui doivent prendre soin des élèves. Le chemin inverse est aussi vrai : les parents et les élèves doivent prendre soin des membres de l’équipe-école et cette dernière a aussi la responsabilité de prendre soin de leurs collègues, ce qui inclut la direction.
Dans une école, les vertus humanistes comme la bienveillance et l’empathie sont bidirectionnelles et non unidirectionnelles. Dans une année, je me fais tellement souvent dire : « Je ne ferais pas ton travail ». Pourtant, nous travaillons tous dans le même but et, parfois, j’estime qu’on fait subir des situations évitables à nos collègues par nos impatiences, notre méfiance, notre insécurité, notre attitude négative ou nos propres difficultés à gérer nos émotions. Moi, j’ai envie que d’autres veuillent faire mon travail. Je me questionne : est-ce ceux qui rendent notre travail désagréable qui ne veulent pas faire ce travail?
Le plaisir de servir
Sabongui a aussi mis l’accent sur le plaisir de servir. À mon sens, c’est ce que nous oublions un peu trop souvent. Œuvrer en éducation, c’est offrir un service social et, mon père me l’a toujours dit : travailler avec les gens, ce n’est pas facile. En fait, je nuancerais : travailler avec les gens, pour les gens, ce n’est pas facile.
Surtout que souvent, on a l’impression de travailler contre ceux que nous sommes déterminés à aider. Sabongui se questionne : à la fin de la journée, avant le dodo, a-t-on l’impression d’avoir fait une différence ne serait-ce que minime? Est-ce qu’on se couche avec le sentiment du devoir accompli? Ce devoir est immatériel, intangible.
Avoir peur de la lumière
Pour terminer, Sabongui m’a décontenancé une autre fois : selon lui, on pense tous avoir peur de la pénombre, de l’obscurité. Or, ce serait le contraire : on a peur de la lumière.
Celle qui met de l’avant notre potentiel que nous avons probablement peur de ne pas achever.
Cette lumière qui nous fait réaliser que notre cerveau est constitué de plus de 100 milliards de neurones qui se connectent des dizaines de milliers de fois chacun et qui témoignent de notre capacité à apprendre tout au long de la vie.
Nous sommes en constante évolution. Le problème, c’est que ce cerveau est étroitement influencé par nos perceptions : celle que nous avons des autres, certes, mais aussi celles que nous avons de nous-mêmes. Il est aussi influencé par nos travers, notamment notre orgueil, ce qui freine notre croissance et réduit nos avenues d’actualisation de notre potentiel.
En plus, c’est franchement angoissant de trainer un pan du potentiel humain sur nos épaules! En effet, on ne peut savoir où cela nous mènera. D’un côté, la neuroplasticité nous offre des perspectives d’évolution illimitées et d’un autre, notre orgueil et nos perceptions bâtissent notre plafond de verre!
Être humain, dans le fond, c’est trainer cet important paradoxe.
Et, à mon sens, voilà pourquoi il est si important de continuer à travailler sur nos propres habiletés sociales. Oui, ce n’est pas que le défi de nos élèves d’y travailler; c’est aussi le nôtre!
En faisant preuve d’ouverture aux autres, on laisse différentes perspectives envahir notre intellect. Les autres nous forcent à être meilleurs. Ils nous tirent vers le haut. Ils nous transforment. Le plus risible dans tout cela, c’est que l’autre, c’est bien souvent l’élève. Bref, on gagne notre vie à le faire grandir, alors qu’en fait, c’est lui qui nous transforme!