Lorsque l’enseignant travaille auprès de ses élèves, dans la classe, il est absorbé par son quotidien. En priorité, il œuvre à répondre aux besoins manifestés par ses élèves. Il travaille dans le présent, pour le futur. Or, bien souvent, il ne réalise pas la portée de ses gestes, attitudes et de ses mots. Il ne réalise pas qu’il est un modèle continuellement actif auprès de ses élèves. Peut-être oublie-t-il qu’il est l’autre adulte significatif et présent auprès de ce jeune, avec ses parents? C’est normal. Les enseignants sont professionnels et humbles et ils ne s’attardent pas toujours à ce rôle incontournable qu’ils exercent en tant que modèle auprès des jeunes qu’ils côtoient.
Dans la même veine, nous pouvons estimer qu’un enseignant titulaire au primaire aura côtoyé entre 750 et 900 élèves qui auront séjourné dans ses classes au cours de ses 35 années d’expérience en éducation. Au secondaire, selon les matières, cela peut varier entre 4500 et 15 000 selon la matière enseignée. N’oublions pas qu’au Québec, nous pouvons compter sur un contingent de près de 100 000 enseignants qui sont à pied d’œuvre auprès de nos jeunes. C’est une véritable force sociale qui est au service des idéaux démocratiques. S’attaquer à un enseignant, c’est hautement symbolique. C’est ce qui s’est malheureusement produit en France hier.
On conçoit souvent la profession enseignante comme celle qui transmet des savoirs. Évidemment, un enseignant, c’est bien plus : notamment, c’est un passeur culturel, c’est la pierre angulaire des valeurs sociales. C’est celui par qui passe le courant démocratique. Pour ma part, j’ai toujours voulu être enseignant, même étant tout petit. Pour moi, c’est une profession de puissance : par qui je suis, je contribue à ce que mes élèves deviendront. C’est vrai! Il y a un peu de chacun de nos enseignants en nous. On enseigne d’abord qui on est. Et nous sommes libres. Nous enseignons donc la liberté et cette première liberté, c’est celle de penser.
C’est ça que le meurtrier a décapité : la profession enseignante. Il s’est attaqué à la liberté de penser par soi-même.
Nos enseignants forment les jeunes à, entre autres, exercer leur esprit critique et vaincre l’obscurantisme. Oui, en 2020, avec la démocratisation des médias, nous vivons le contraire de ce que nous aurions été en droit de nous attendre; nous vivons à une époque sombre où les mentalités rétrogrades ont le culot d’utiliser les canaux de la démocratisation de l’information pour véhiculer leurs conceptions opaques de l’humanité, et ce, à coup de fake news, de propagande, de théories du complot et de désinformation. Dans les faits, nous ne devrions pas nous insurger de ce constat outre mesure. Au contraire, si nous nous inquiétons, c’est que nous savons que le problème est que les humains sont mal parés à faire face à ce flot d’informations vitrioliques. Le tissu de l’esprit critique, formant leur bouclier, n’est probablement pas assez tissé serré et les mailles laissent trop souvent passer ce genre d’information qui atteint notre intellect et induit d’importants biais cognitifs.
S’attaquer à un enseignant, c’est s’attaquer à ce qu’il y a de plus noble dans notre société démocratique. Pour une profession en quête continuelle de valorisation, c’est triste à dire, mais ce geste déplorable est une grande reconnaissance de notre statut social, reconnaissance que nous n’aurions toutefois jamais voulu constater.
Quand la profession enseignante devient dangereuse parce qu’elle fait naître des êtres libres, capables de changer le monde pour le mieux, car dotés de la capacité de penser, plus que jamais, #JeSuisProf.
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