Par Nicolas Bertrand, gestionnaire de projet chez mc2i, cabinet conseil en transformation numérique et Isabelle Dubacq, directrice d’unité opérationnelle, experte en service public chez mc2i
Un nouveau monde se dessine. La pandémie de COVID-19 n’a pas été une révolution, mais a agi comme un puissant catalyseur des bouleversements engendrés par la transformation numérique. Déjà amorcée depuis plusieurs décennies, la transformation numérique du secteur de l’éducation s’est trouvée particulièrement accélérée. Si la crise a eu le mérite de remettre l’école sur le devant de la scène et de démontrer le potentiel des outils technologiques, il reste beaucoup à faire pour en exploiter pleinement les atouts.
Le grand choc numérique du secteur de l’éducation
En France, avec la fermeture des écoles et la généralisation de l’enseignement à distance, le recours au numérique, mis en avant depuis plusieurs années par le ministère de l’Éducation nationale et la création en 2013 d’un « service public du numérique éducatif », s’est subitement et massivement imposé.
Dans un rapport de 2019, la Cour des Comptes pointait les obstacles au déploiement de ce service, malgré de forts investissements publics : une connexion des écoles et établissements insuffisante; des inégalités d’accès aux équipements; une offre de ressources numériques abondante, mais insuffisamment organisée; des enseignants pas toujours à l’aise avec la pédagogie s’appuyant sur des outils numériques, faute de formation suffisante.
La pandémie a cruellement confirmé ce diagnostic et mis en lumière les fractures scolaires que peut accentuer une généralisation non maîtrisée des nouvelles technologies. La continuité pédagogique a été assurée pour les élèves disposant d’ordinateurs personnels, d’espaces de travail calmes et de parents disponibles; d’autres élèves, déjà impactés par des difficultés scolaires ou sociales, ont complètement décroché. La crise a révélé et accéléré les inégalités scolaires. Le recours au numérique a profité aux élèves les plus motivés et les mieux accompagnés, et largué les élèves en difficulté. Le numérique peut pourtant constituer un puissant outil de lutte contre le décrochage scolaire.
Accompagner l’essor du secteur EdTech par des investissements massifs
La crise a fait rapidement émerger de nombreuses initiatives en France, tant dans le secteur public que dans le secteur privé. Le marché des technologies au service de l’éducation et de la formation, l’EdTech, a connu une explosion avec la suspension des cours en présentiel, et devrait conserver cette dynamique sur le long terme, malgré le retour des élèves dans les classes.
Il ne s’agit pas seulement de permettre de suivre des cours à distance, mais surtout de favoriser un apprentissage plus efficace. La plupart de ces nouvelles technologies ont en commun de permettre la personnalisation des apprentissages, rendue possible par des techniques d’intelligence artificielle, ainsi que d’accorder plus d’autonomie à l’apprenant, dont l’engagement est essentiel.
Les États-Unis et la Chine ont bien compris le potentiel considérable de ces nouvelles technologies, dans lesquelles ils investissent massivement depuis plusieurs années, qu’elles concernent les écoles, les lycées, les universités, ou la formation continue.
En France, la crise a permis de passer certaines réticences culturelles ou psychologiques, mais les start-ups du secteur peinent à trouver un modèle pérenne. La prise de conscience récente doit se traduire en investissements massifs, le risque étant qu’après cette période de forte croissance et le coup de fouet donné par la crise, ces entreprises passent sous pavillon étranger, ou aient du mal à résister face aux GAFAM et aux outils américains et chinois, dans un marché de plus en plus mondialisé.
L’enjeu n’est pas seulement économique. Il s’agit aussi d’un problème de souveraineté numérique; les données des apprenants doivent être protégées. Elles sont précieuses à plus d’un titre : elles permettent de construire des modèles, de suivre une progression, d’analyser et de comprendre des erreurs, des succès, d’adapter un parcours de formation; elles nourrissent aussi les travaux de recherche et développement en éducation, facilitent l’évaluation et l’évolution des méthodes d’enseignement.
Former davantage au numérique
Si l’apprentissage et l’enseignement avec le numérique, comme outil, forment un enjeu essentiel de la décennie à venir, la formation au numérique constitue en elle-même une urgence. Tous les secteurs d’activités deviennent de plus en plus tributaires des technologies numériques. Être formé au numérique constituera demain un atout essentiel pour exercer la plupart des métiers, voire même s’intégrer socialement : l’illectronisme (illettrisme numérique) constitue aujourd’hui un réel handicap pour accéder à certains services, et une nouvelle cause d’inégalité sociale, culturelle et économique.
De réelles avancées ont déjà été réalisées pour introduire le numérique et les sciences informatiques au sein de la formation initiale – enseignements au lycée, création du CAPES et de l’agrégation d’informatique, etc. Ces efforts doivent être poursuivis en généralisant l’enseignement de l’informatique à tous les niveaux de la formation initiale et en formant un tout construit.
Précision utile : il ne s’agit pas nécessairement d’exposer davantage les enfants aux écrans. Il est possible de former sans écran les plus jeunes à la logique et aux mécanismes du langage informatique avec relativement peu de matériel (gommettes, dessins, jeux de construction, robots).
Tandis que la révolution numérique s’accélère et transforme successivement tous les secteurs d’activités (banque, distribution, médias, santé, etc.), la pénurie d’experts s’aggrave, tout comme le manque de diversité de profils. Le numérique pourrait pourtant constituer un gigantesque relai de croissance et de compétitivité pour la France.