Notre collaborateur Marc-André Girard effectue une expédition pédagogique en Finlande et la documente ici!
« Si cette réforme n’avait pas eu lieu, il est clair que mes soeurs et moi n’aurions pu profiter d’une bonne éducation. Mon père nous avait clairement averties qu’il n’en avait pas les moyens ».
C’est en ces termes que la directrice de l’école de Sodankylä, Heidi Lakkala, a décrit la réforme de l’éducation qui se veut, en quelque sorte, similaire à celle qui a suivi le Rapport Parent au Québec, en 1964. Ça, c’était au début des années 1970 et l’ironie du sort aura voulu que Heidi soit directrice d’école pendant toute sa carrière. Détentrice de deux doctorats, elle incarne à elle seule la réussite d’une telle réforme qui fait la renommée internationale de la Finlande. Née d’une famille pauvre, elle a fait partie de la première cohorte des élèves de la réforme en 1972. Avec succès, elle aura poursuivi ses études jusqu’au troisième cycle et elle aura consacré sa carrière à l’éducation pour non seulement vivre une vie mieux nantie que celle qu’elle a vécue, étant jeune, mais elle aura pu contribuer à faire en sorte que des milliers d’élèves puissent aussi profiter de cette inclusion à leur tour pour saisir la chance qui leur est offerte, celle de profiter d’un excellent système d’éducation offert à tous, peu importe leur situation socioéconomique, peu importe leur origine ethnique, leur genre ou leur profil d’apprenant.
Sur le plan familial, lorsque nous l’avons rencontrée, Heidi célébrait la réussite du doctorat en médecine d’un de ses fils, réussite attribuable, estime-t-elle, à la qualité de l’éducation inclusive dont son fils a bénéficié toute sa vie, avec le soutien parental, évidemment!
Ce que les Finlandais appellent en anglais la « comprehensive school », que nous pouvons traduire comme étant « l’école inclusive », reconnait que chaque élève est unique et que malgré son profil, ses difficultés et ses origines, il a droit à une éducation de qualité, peu importe où il se trouve sur le territoire finlandais. Cela s’applique pour les Finlandais, les Samis et les immigrants.
En se rapportant en 1972, c’était ambitieux : augmenter la qualité de l’enseignement, diminuer les iniquités, notamment, celles relatives aux élèves qui vivent hors des zones urbaines et former une main-d’oeuvre hautement qualifiée. Le tout, en rendant cette école inclusive obligatoire de la 1re à la 9e année, après laquelle les élèves doivent choisir un parcours. La réforme a été imposée à titre expérimental, du nord vers le sud, de la Laponie vers la capitale. Le Nord en avait bien besoin : la population est majoritairement d’origine Samie, vit loin des centres urbains et est dispersée dans l’immensité du territoire.
À quoi une école inclusive ressemble-t-elle sur le terrain?
À l’époque, l’éducation finlandaise était centralisée et contrôlée par le gouvernement, malgré l’implantation d’une vision profondément humaniste en 1945, dans les suites de la Seconde Guerre mondiale. Dès lors, les Finlandais ont choisi sciemment de centrer le système sur l’élève et non sur l’enseignant ou sur la structure scolaire en soi. Cette priorité est demeurée près de 30 années et a servi de base à la réforme de 1972.
L’école inclusive s’envisage donc à tous les niveaux de la hiérarchie scolaire finlandaise. D’une part, le gouvernement de l’époque a transféré toute son autorité en matière d’éducation aux municipalités. Dans la même veine, les décideurs de la ville reconnaissent l’importance de donner le plus de latitude possible aux enseignants et aux directions d’école; les décisions doivent se prendre le plus près possible de l’élève. En conséquence, l’instance municipale doit donner accès à un maximum de ressources aux enseignants et à la direction pour qu’ils puissent mettre en place les mesures nécessaires pour accompagner les élèves de façon convenable. De son côté, la direction doit déployer un modèle organisationnel qui permet aux enseignants de collaborer dans le but d’aider les élèves. Les problématiques scolaires sont de plus en plus complexes et la collaboration, par la mise en commun des forces et des idées de chacun, permet de mieux pallier les difficultés des élèves. Enfin, les enseignants, eux, doivent exercer leur autonomie quotidiennement et ainsi faire tout ce qui est en leur pouvoir pour apporter l’aide nécessaire aux élèves, dans l’action et, aussi, voir à éviter l’émergence d’autres problématiques d’ordre pédagogique.
Voici un exemple probant. Comme nous le savons, dans les classes, il y a des élèves de différents niveaux d’apprentissage : sommairement, il y a ceux qui éprouvent des difficultés, mais il y a aussi ceux qui sont performants, sans compter ceux qui sont dans « le milieu ». Conséquemment, après l’étude des profils des élèves qui arriveront, les enseignants de mathématiques d’un niveau de l’école secondaire de Sodankylä choisissent de répartir l’équivalent de trois groupes d’élèves dans quatre classes, avec quatre enseignants.
Ces classes se répartissent de la façon suivante : une classe d’élèves en difficultés avec peu d’élèves, une classe d’élèves performants remplie au maximum avec des élèves qui veulent et peuvent aller plus vite et plus loin et deux classes d’élèves « moyens ». Les enseignants font le choix de surcharger des classes pour offrir un environnement d’apprentissage plus propice à ceux qui en ont besoin, grâce à un encadrement enseignant qui se veut proximal. C’est la proposition qui est formulée.
Jusque là, rien de bien révolutionnaire. Toutefois, ce projet implique l’embauche d’un enseignant de plus, projet qui sera porté par la direction de l’école jusqu’à la direction de l’Éducation de la Ville de Sodankylä. Et ce n’est pas facile de porter un tel dossier, car l’équipe enseignante de mathématiques n’est pas la seule à avoir une telle idée. Heidi Lakkala doit ainsi présenter ses besoins d’effectifs enseignants en ce sens, lesquels comportent, cette année, 63 enseignants et 21 aide-enseignants pour une école qui vise un ratio maximal d’un enseignant pour seize élèves. Rappelons que les ratios d’élèves par classe n’existent pas en Finlande, ce qui donne la latitude aux écoles et aux municipalités de prendre leurs propres décisions.
En résumé, l’inclusion en éducation finlandaise, c’est…
La clé de l’inclusion dans les écoles finlandaises, ce n’est ni l’autonomie professionnelle des enseignants ni celle de la direction; c’est plutôt la reconnaissance de cette autonomie par les instances.
L’école est inclusive parce que ceux qui sont à pied d’œuvre dans celles-ci ont du pouvoir sur ses orientations.
L’école est inclusive aussi parce que les décisions se prennent près des élèves et que ceux qui sont dans les cocus décisionnels doivent mettre en place toutes les ressources possibles pour permettre aux acteurs des écoles la prise de décisions en fonction des besoins des jeunes.
Néanmoins, les besoins de ces derniers continuent de se complexifier et Heidi s’inquiète pour eux : « depuis la pandémie, plus de jeunes sont en détresse et j’ai l’impression de ne pas être en mesure de tous les aider », dit-elle en baissant les yeux. Bref, une école inclusive n’est pas un modèle défini : c’est plutôt sa capacité de suivre constamment les besoins des élèves et de s’y adapter, et il est là, le grand défi!
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(NDLR : L’École branchée est heureuse d’être partenaire média de cette expédition! Notez que nous ne sommes toutefois pas associés à la campagne de financement.)