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Flexibilités pédagogiques pour favoriser la réussite des élèves allophones en mathématiques

Dans ce texte, nous dresserons le portrait des élèves allophones en mathématiques afin de bien comprendre les difficultés qu’ils peuvent rencontrer et nous proposerons des moyens de flexibilité à implanter en classe en fonction des besoins observés.

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Par Marie-France Dubé et Matthieu Martin, conseillers pédagogiques

Portrait de l’allophonie au Québec

Un peu partout au Québec, l’allophonie se fait de plus en plus présente dans les écoles. En effet, selon l’Office québécois de la langue française cité dans la Presse canadienne (2017), le taux d’élèves du primaire et du secondaire qui n’ont pas le français ou l’anglais comme langue maternelle et qui fréquentent les écoles francophones au Québec est passé de 15% à 89% dans les écoles du Québec entre les années 1971 et 2015. L’adoption de la loi 101 a certainement été un facteur important de cette fulgurante augmentation d’élèves allophones dans les écoles francophones. Ce mouvement a obligé certaines commissions scolaires de la province de Québec à ouvrir des classes d’accueil et il ne serait pas étonnant de voir d’autres commissions scolaires emboîter le pas dans les années à venir. Pour se donner une idée, au moment d’écrire cet article, la Commission scolaire de Montréal compte environ 320 classes d’accueil, primaire et secondaire confondus. La grande majorité des élèves en classe d’accueil feront éventuellement le saut en classe ordinaire, si ces derniers ne sont pas directement intégrés dans ces classes, comme c’est le cas, ailleurs, dans certaines commissions scolaires du Québec.

La réalité de la composition très diversifiée des classes nous a amenés à nous questionner sur l’enseignement dispensé à ces élèves et plus spécifiquement sur l’enseignement des mathématiques, à la fois en classe d’accueil et en classe ordinaire. Dans ce texte, nous dresserons, tout d’abord, le portrait de ces élèves afin de bien comprendre les difficultés qu’ils peuvent rencontrer. Puis, nous proposerons quelques moyens de flexibilité qu’il serait possible d’implanter en classe de mathématique en fonction des besoins observés.    

Portrait de l’élève allophone en mathématique

L’élève de classe d’accueil qui rejoint la classe ordinaire a généralement été scolarisé et a suivi des cours de mathématiques dans son pays d’origine. Il a développé des stratégies, des compétences et il a acquis des notions mathématiques (Desrosiers, D. Gauthier, J. Martin, M, 2018). En ce qui concerne les mathématiques en classe d’accueil, l’enseignant propose différents types de tâches lors desquelles l’élève développe certes ses habiletés mathématiques, mais l’objectif devrait d’abord se situer dans l’acquisition du vocabulaire mathématique nécessaire pour fonctionner en classe ordinaire. Il est donc fort probable que l’élève sortant de la classe d’accueil rejoigne la classe ordinaire en ayant des lacunes conceptuelles en mathématiques d’autant plus que, selon son parcours migratoire, il est susceptible d’avoir vécu des expériences scolaires mathématiques différentes en matière de continuité dans le temps et d’acquisition des notions. Par exemple, il peut avoir fait plus de géométrie et moins d’algèbre pour un niveau donné en comparaison aux programmes d’études québécois (Desrosiers, D. Gauthier, J. Martin, M, 2018). De plus, dans son pays d’origine, l’élève a développé une compréhension de son rôle d’élève qui peut être différent de celui que nous avons ici au Québec. Son expérience quant à ce qui était attendu de lui, ce qui était permis ou interdit dans une classe et la vision qui était transmise de l’apprentissage et de l’enseignement des mathématiques dans son pays d’origine peut être en distorsion avec ce qui est véhiculé dans son nouveau milieu scolaire. Il est donc essentiel que l’enseignant prenne connaissance des expériences scolaires de l’ensemble des élèves allophones pour faciliter leur intégration (Desrosiers, D. Gauthier, J. Martin, M, 2018).

De plus, il faut savoir que tous les cours de mathématique au secondaire sont dispensés par des spécialistes de la mathématique tandis qu’au primaire, les enseignants de classes ordinaires sont des généralistes. Ni l’un ni l’autre n’est habituellement formé pour l’enseignement du français langue seconde. De ce fait, ces enseignants ne connaissent pas les étapes d’acquisition d’une langue seconde et ne possèdent pas beaucoup d’outils adaptés aux besoins des élèves allophones. Pourtant, continuer à voir au développement de l’acquisition du vocabulaire de l’élève fait partie du rôle de chacun des enseignants de classe ordinaire. En effet, il s’agit d’une tâche qui doit être partagée entre les enseignants de la classe d’accueil et ceux de la classe ordinaire, car les élèves allophones prendront cinq à sept ans pour maîtriser la langue de scolarisation (langue des apprentissages scolaires). En tenant compte des différents portraits de l’élève allophone et de la complexité que peut causer l’apprentissage d’une langue seconde, nous proposerons dans les prochains paragraphes quelques moyens pour adapter l’enseignement des mathématiques afin de minimiser les écarts de connaissances entre ces élèves et les autres.

Diversification des tâches en mathématique

Tout d’abord, l’animation de discussions mathématiques est un bon moment pour permettre aux élèves de s’exercer à utiliser un vocabulaire mathématique juste et précis et d’écouter leurs pairs s’exprimer. De plus, les discussions mathématiques s’apparentent au débat, ce qui pousse les élèves à donner leurs avis, à réajuster leur position et à prendre des risques. En effet, les élèves prendront la parole, et ce, même s’ils n’ont pas toujours le vocabulaire nécessaire pour le faire. Permettre aux élèves d’utiliser leur langue maternelle avec les pairs de la classe peut être un outil qui facilite leur participation. Du même coup, on permet le transfert de connaissances de la langue maternelle de l’élève au français et il vit moins de bris de compréhension face à la tâche. Selon Bruce (2007), les problèmes qui susciteraient le plus la discussion entre les élèves sont ceux qui permettent le recours à plusieurs stratégies ou qui donnent lieu à plusieurs réponses. Ces tâches sont plus stimulantes lorsqu’elles vont au-delà̀ du simple calcul et qu’elles incitent les élèves à penser de façon plus abstraite. 

Dans cette optique, plutôt que de faire travailler les élèves individuellement, il serait judicieux de trouver des manières de mettre les élèves en communication afin qu’ils réutilisent le vocabulaire enseigné et qu’ils en acquièrent du nouveau. Différentes pratiques en résolution de problèmes permettent de faire verbaliser les élèves. Par exemple, en équipe de trois ou quatre, les élèves sont appelés à résoudre un problème touchant divers champs mathématiques. De plus, il est possible de faire des pauses durant lesquelles les élèves pourront exposer au groupe classe les stratégies qu’ils ont utilisées jusqu’à présent. Plutôt que de réunir toutes les présentations en fin d’activité, l’alternance entre les périodes de mises en commun et de travail offre la possibilité à plus d’élèves de venir présenter leurs stratégies sans perdre l’attention du reste de la classe. Ces périodes d’échanges favorisent la prise de conscience de l’existence de différentes façons de penser les mathématiques et des multiples démarches permettant de résoudre un même problème.

Dans un autre ordre d’idées, les différentes tâches mathématiques actuellement présentées aux élèves sont complexes de par leur exigence langagière et leur contexte parfois éloigné de leur réalité. D’ailleurs, il est profitable que l’élève soit amené à démontrer ses habiletés mathématiques sans être freiné par les difficultés que peut entraîner le discours mathématique. En effet, les courts textes et le manque de redondances amplifient la difficulté qu’ont les élèves à saisir une tâche, puisque les mots, les phrases et les idées ne se répètent pas, ce qui augmente l’importance de bien les comprendre. Il faut se rappeler qu’on ne peut pas s’attendre à ce qu’un élève qui apprend le français se débrouille comme un locuteur natif. Donc, il peut être possible pour l’enseignant d’offrir à ses élèves différentes versions d’une même tâche, mais présentées selon des degrés de complexités de langue différents : le texte complet, une version de texte allégé et mieux organisé contenant l’essentiel de la situation mathématique, une autre contenant du texte avec des pictogrammes ou des dessins et une dernière presque entièrement imagée. 

Ex. Problème de Christian Ainsley, Mannix Coursol, Diane Laplante et Rosa-Maria Sandoval adapté par Marie-France Dubé :

Un autre moyen pour rendre les tâches plus accessibles aux élèves est l’utilisation de la simplification linguistique (Tardif-Couture, R. 2016). Ceci n’implique pas de réécrire tous les problèmes afin d’enlever toutes les difficultés, mais d’avoir en tête que certains aspects de la langue peuvent compliquer ou empêcher la compréhension. L’utilisation de référent tel que le mot en rend la lecture plus ardue pour l’élève, puisqu’il parvient plus difficilement à savoir à quel mot il réfère. Par exemple, il serait souhaitable de modifier cette phrase : « Jean a 7 crayons, Matthieu en a 5 de plus » par la phrase suivante : « Jean a 7 crayons, Matthieu a 5 crayons de plus que Jean ». En ce qui a trait aux marqueurs de relation tels que si, et, mais, il est important que les élèves comprennent les rapports logiques qu’ils établissent entre les mots ou les phrases. Il est donc souhaitable de prendre le temps de discuter avec les élèves des liens qu’engendrent ces mots dans le problème. Finalement, la compréhension des tâches sera facilitée si le contexte est proche du vécu des élèves et que les mots utilisés sont fréquents. 

Au travers l’écriture de cet article, nous avons tenté de mettre en lumière l’importance de travailler les mathématiques et le vocabulaire en simultanéité. Pour ce faire, il n’est pas nécessaire de complètement modifier les tâches proposées aux élèves, mais de réfléchir aux différentes manières dont nous pouvons les faire interagir entre eux et en grand groupe durant les cours. Cette nouvelle vision de l’enseignement des mathématiques permet aux élèves provenant de classe d’accueil de continuer à travailler sur leur langue de scolarisation en mathématique d’autant plus que le temps passé en classe d’accueil permet principalement de développer la langue de socialisation (français usuel) qui est relativement indépendante de l’apprentissage du vocabulaire mathématique (Millon-Fauré, 2017). À ce sujet, il est fréquent que les élèves issus de la classe d’accueil aient de la difficulté à suivre le rythme de la classe ordinaire.

En effet, ce n’est pas parce qu’un élève comprend lorsqu’on lui parle avec un français usuel qu’il comprendra automatiquement les explications fournies lors de l’enseignement des mathématiques (Millon-Fauré, 2017). Ainsi, en ayant une préoccupation sur l’enseignement du vocabulaire, on valorise les mathématiques aux yeux de l’élève, car il lui est alors possible de participer aux discussions, de réfléchir avec ses pairs sur des tâches plus adaptées à son niveau de langue et on lui offre les outils nécessaires pour pouvoir se débrouiller lorsqu’il est devant un bris de compréhension à l’oral ou à l’écrit. Cela s’avère très important, car les élèves n’auront pas toujours le réflexe de venir poser une question lorsqu’ils ne comprennent pas par peur de déranger ou de se faire juger par les autres (Millon-Fauré, 2017). 

Pour aller plus loin, vous pouvez visiter le site Internet de Marie-France Dubé et de Matthieu Martin Les Mathématiques en classe d’accueil.

À propos des auteurs

Marie-France Dubé (CSDM) et Matthieu Martin (CSDL) sont conseillers pédagogiques en mathématiques pour les classes d’accueil du primaire et du secondaire et forment une équipe qui travaille sur le développement d’une vision de l’enseignement et de la valorisation des mathématiques aux élèves allophones. Ils s’intéressent particulièrement à l’impact de l’apprentissage du vocabulaire dans l’acquisition des concepts mathématiques et au développement de tâches plus adaptées aux élèves qui apprennent le français. Vous pouvez visiter ce site Internet pour aller plus loin.

Bibliographie

  • Bruce, C. (2007). L’interaction entre élèves dans un cours de mathématiques : Compétition ou échange d’idées ? Ontario, Secrétariat de la littératie et de la numératie et l’Ontario Association of Deans of Education. 
  • Desrosiers, D. Gauthier, J. Martin, M (2018). Référentiel mathématique à l’intention du personnel enseignant aux classes d’élèves en intégration linguistique, scolaire et sociale. Laval, Commission scolaire de Laval.
  • Presse canadienne. (2017). Les allophones en hausse dans les écoles francophones du Québec. Récupéré le 3 juin 2019 de https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1025626/allophones-hausse-ecoles-francophones-quebec-oqlf.
  • Millon-Fauré, K. (2017). L’enseignement des mathématiques aux élèves allophones: Études des répercussions des difficultés langagières sur les enseignements et les apprentissages. France: Connaissances & Savoirs.
  • Tardif-Couture, R. (2016). Résolution de problèmes en mathématiques chez les élèves allophones du primaire. Québec, Thèses et mémoires.

À propos de l'auteur

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