Par France Legault, responsable de l’équipe de conseillers pédagogiques RÉCIT de la Fédération des établissements d’enseignement privés (FEEP), Isabelle Carignan, professeure titulaire, Université TÉLUQ, Marie-Christine Beaudry, professeure, UQAM
Le 7 décembre 2023, le projet de loi 23 du ministre de l’Éducation du Québec, Bernard Drainville, a été adopté et a permis de créer l’Institut national d’excellence en éducation (INÉE). Le mandat de l’INÉE est entre autres de « guider le réseau scolaire vers des pratiques pédagogiques appuyées par des données probantes » (La Presse, 2023). Ces données de recherche sont pertinentes, riches et nécessaires pour déterminer les pratiques efficaces en éducation et proviennent notamment de recherches expérimentales, quasi-expérimentales et de méta-analyses.
Comme les données probantes ne peuvent établir des « normes » dans tous les contextes d’enseignement-apprentissage et dans toutes les disciplines, il existe d’autres types de recherche qui peuvent éclairer les pratiques novatrices et exemplaires en éducation.
En fait, les différents types de recherche sont complémentaires et tout aussi importants; il suffit de garder un regard critique.
Que sont les données probantes?
Dans le milieu de la recherche, les données probantes sont considérées par plusieurs chercheurs (Richard et al., 2017; Hattie, 2023) comme étant les plus valables puisque les conditions d’application seraient mieux contrôlées, et les résultats estimés plus fiables grâce, notamment, à un nombre de participants plus grand ainsi qu’à la présence d’un groupe expérimental (par ex., un groupe avec une pratique X) et d’un groupe contrôle (par ex., un groupe sans pratique X). C’est cette comparaison entre les deux groupes qui permet de constater – ou non – l’efficacité d’une pratique d’enseignement, d’une situation d’apprentissage et d’évaluation (SAÉ) ou d’un programme, par exemple. Ce type de recherches recueille principalement des données quantitatives grâce à des analyses statistiques. Elles permettent de déterminer le quoi, mais pas nécessairement le pourquoi. Pour reprendre notre exemple, le groupe expérimental permet de savoir que la pratique X (le quoi) est, par exemple, efficace puisque les analyses statistiques le prouvent. Par contre, ces analyses ne permettent pas de connaitre le pourquoi. Pourquoi la pratique X est-elle efficace? Quelles sont les variables en jeu qui ont permis de rendre cette pratique X efficace dans un contexte précis? En effet, de nombreux éléments peuvent entrer en ligne de compte (connaissances antérieures, milieu socioéconomique, notions apprises antérieurement, difficultés d’apprentissage, etc.).
Sans données probantes : quoi faire?
Dans le milieu scolaire, il n’est pas toujours possible de mettre en place des recherches expérimentales ou quasi-expérimentales, c’est-à-dire de comparer un groupe ayant vécu une pratique X avec un autre groupe sans pratique X, car elles demandent un grand financement ainsi qu’une logistique souvent lourde pour la mise en place de la recherche dans le milieu scolaire et l’analyse des données. Dans ce cas, pour améliorer les pratiques d’enseignement et les faire évoluer, il faut aussi oser et se lancer en mettant en place des recherches aux méthodologies variées. Alors, quelles sont les avenues possibles?
Pour obtenir des données de recherche nombreuses et diversifiées, ou pour documenter des changements de pratique plus complexes, il faut à certains moments commencer par des recherches dites non basées sur des données probantes. Des recherches à plus ou moins grande échelle comme l’enquête, l’étude descriptive, l’étude de cas, la recherche-action (Bourgeois, 2016), la recherche-action-formation (Lafontaine, 2016), la recherche-développement, la recherche-intervention ou la recherche collaborative existent et sont nécessaires en éducation.
« Lorsqu’il y a absence de données probantes, il est primordial de continuer à mettre en place des recherches scientifiques rigoureuses (Carignan, Beaudry et Larose, 2016) même si les données ne sont pas généralisables. Ces types de recherches peuvent même être un tremplin vers l’obtention de données probantes. »
Un exemple précis : de la recherche exploratoire à la recherche quasi-expérimentale
Lire avec fiston est un projet de recherche exploratoire et descriptif qui a été créé par les professeures France Beauregard et Isabelle Carignan en 2008. Le milieu scolaire avait alors une demande précise : mettre sur pied une recherche favorisant le développement du plaisir de lire chez les garçons. L’objectif du projet Lire avec fiston était de partir des intérêts de lecture des garçons en difficulté de lecture (ou non motivés à lire) pour développer leur envie de lire par l’entremise de trios masculins (papa, fiston et futur enseignant). Cette recherche novatrice a été documentée pendant plusieurs années (Carignan et al., 2022). Par contre, une limite importante était qu’il n’y a jamais eu de groupe contrôle pour comparer les garçons ayant vécu le projet avec ceux qui ne l’avaient pas vécu. Les résultats ne sont donc pas généralisables, mais les données permettent de constater que les retombées du projet ont été positives.
Par la suite, des chercheures du Nouveau-Brunswick ont découvert le projet Lire avec fiston (Carignan et Beauregard, 2010) et ont décidé de s’en inspirer. Elles ont créé une recherche comportant un groupe expérimental et un groupe contrôle en littératie communautaire. Dans ce cas-ci, les modèles masculins de lecteurs étaient des joueurs de hockey junior (Bossé-Perron et Long, 2017).
Lire avec fiston, une recherche exploratoire et descriptive, a donc été un levier vers une recherche quasi-expérimentale qui a pu générer des données probantes.
Le but n’est donc pas d’être pour ou contre les données probantes, mais bien de continuer à réaliser des études rigoureuses en éducation – avec ou sans données probantes – en adoptant un regard critique. Parce qu’au final, nous cherchons tous à favoriser le succès des élèves.