« Les amis, faut que je vous parle. »
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Ça commence drôlement un lundi quand, la récréation de l’avant-midi à peine entamée, on me demande d’aller voir ma direction et que la porte se referme derrière moi.
La situation actuelle étant ce qu’elle est, et ayant enseigné en 1re année, je suis capable de faire 1+1. Je suis officiellement la première classe de mon école à devoir fermer et à entamer un enseignement à distance.
Les premiers gros mots qui me viennent en tête réussissent à se frayer un chemin jusqu’à ma bouche. Je suis pardonnée. Personne n’a envie de vivre cette situation, mais la pensée magique ne fait pas le poids contre ce virus.
La suite de ma réflexion est pour mon élève testé positif. Il va bien et n’a aucun symptôme. Ouf! Quel soulagement! Je fais rapidement le tour de mes souvenirs et je calcule les risques potentiels de contamination dans ma classe. Je n’ai toujours pas l’opinion de la santé publique à ce sujet, mais j’estime que les risques sont faibles.
Pendant que la direction jongle avec le protocole et répond patiemment à mes questions, je commence à faire la liste dans ma tête. Celle que vous devriez tous avoir à portée de main dans votre bureau, juste au cas où « l’arc-en-ciel » vous laisse tomber.
Liste en cas de défaillance de la pensée magique
Quand « ça ne va pas si bien que ça » finalement…
Premier conseil : faire le tour du matériel de classe et TOUT apporter à la maison, même si ce n’est pas sur votre planification hebdomadaire. On ne sait jamais.
Ne pas oublier :
- Le coffre à crayons (à part LA maman qui a tout en triple, personne n’a de kit de survie à la maison);
- Des livres pour le prof et pour les élèves (consulter l’article de Catherine Lapointe à ce sujet);
- Le matériel didactique pour l’enseignant (ça inclut ton mot de passe pour Netmath caché dans le deuxième tiroir en dessous de la palette de chocolat « d’urgence »);
- Des post-it en quantité industrielle. Je suis très sérieuse… Quand toutes les informations que tu reçois dans ta journée passent par le réseau, des petits bouts de papiers qui collent, même si juste quand ça leur tente, ça devient très rassurant.
On réorganise l’horaire de la journée pour éviter le plus possible les contacts entre mes élèves et les autres personnes dans l’école. La prudence avant tout.
Un message est rapidement envoyé aux parents qui doivent venir chercher leurs enfants.
Fin de la récréation.
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« Les amis, faut que je vous parle. »
J’explique la situation à mes élèves, on dédramatise sans pour autant prendre cela à la légère. Il y a (et vous aurez) des questions. Beaucoup de questions. Mais rien n’est plus anxiogène que d’avoir des questions sans que la personne en position d’autorité veuille y répondre. Alors on fait de notre mieux, on les rassure et on reste en contrôle. Vous prendrez une double dose de vin à la maison, pour l’instant vous êtes le pilier. Faites preuve de sang froid.
« Non, tu ne pourras pas aller faire tes sélections de soccer ce soir. Par exemple, tu peux écrire à ton entraîneur et lui expliquer la situation. »
« Je comprends que ça ne te tente pas de refaire le test. Tu vérifieras avec tes parents et la santé publique si c’est nécessaire. »
« Oui, X se porte bien… et tu as raison, ce n’est pas de sa faute. Je lui transmettrai votre message, ça lui fera certainement du bien. »
Le facteur humain sera toujours le moteur de vos interventions. Peu importe vos compétences numériques, la connexion avec vos élèves doit être en haute vitesse illimitée.
Les élèves quittent la classe au compte-goutte. C’est inévitable, la nouvelle se répand. Je ramasse mes choses en essayant de ne rien oublier (je me répète, faites-vous une liste!). Je vérifie que ma collègue arrosera ma pauvre fougère 🌿. Et je rince ma tasse de café dans lequel un fond de Mélange maison refroidit ☕️. Crois-moi, tu ne veux pas retrouver ça sur ton bureau à ton retour. #monlattesentbizarre #ark 👾
Armée de mon masque 😷, de mes 6 sacs et de mon sourire (caché par le masque) de fille qui gère la situation (ou presque), je quitte l’école sous l’oeil compatissant de mes collègues et amis, ces gens qui m’écriront pour savoir comment ça va, si je me sens bien ou si j’ai besoin d’aide. Bref, une deuxième famille qui est essentielle en temps normal et qui devient vitale quand le vent d’automne souffle plus fort que d’habitude.
15 minutes pour le retour à la maison.
3 appels téléphoniques pour prévenir les dommages collatéraux.
2 minutes de « bon, par où je commence? ».
Et une double dose de… soleil. Paraît que la vitamine D, c’est bon en plus. ☀️
Le vin attendra.
Commencer par adapter sa planification
Ok, j’y vais. Je sors mon ordinateur en gardant mon téléphone à portée de main pour répondre aux questions des parents via Seesaw et je choisis une playlist sur Spotify. J’hésite entre Balades pour confinés et Beat pour sortir de sa zone de confort.
Je consulte ma planification de semaine afin de me faire une tête sur ce que les élèves pourront faire de façon autonome et ce qui nécessitera un accompagnement. Comme je travaille déjà de cette façon en classe, je passe rapidement à autre chose. J’utilise la planification de mes collègues assignées à l’enseignement à distance au printemps dernier pour préparer le reste de la semaine. C’est le modèle officiel de mon milieu pour faciliter sa compréhension dans les familles. Ce n’est peut-être pas le plus beau, mais il est clair. Après tout, les parents de tes élèves ne seront pas soulagés parce que ton matériel est donc ben cuuuuute, ils le seront si les objectifs d’apprentissage sont clairs et que leurs enfants sont bien soutenus.
Sur l’horaire, je commence par placer mes périodes de spécialistes et des intervenants externes qui font des suivis individuels. Aucun changement à ce niveau sinon on s’attaque à un casse-tête de 10 000 morceaux du type lapin albinos dans une tempête de neige.
Je sépare ensuite les rencontres sur Zoom en deux périodes d’une heure par jour. Lors des journées avec des spécialistes, je me garde une de ces périodes pour de l’accompagnement au besoin. On essaie d’éviter la surcharge cognitive. Les élèves pourront se joindre à la rencontre libre pour revoir une notion ou pour se faire expliquer un travail.
Et chaque jour une promesse à moi-même : oublier mon téléphone sur le comptoir et aller tenir compagnie aux feuilles qui rougissent le long de la rivière Cap-Rouge.
J’envoie ma planification aux élèves un peu avant 20 h. Le lundi. 10 heures après avoir battu mon record personnel de gros mots dans le bureau de mon directeur.
24 heures pour basculer, ce n’est pas beaucoup, mais c’est possible.
Ça l’est quand on sait où on s’en va et qu’on a préparé le coup.
Quand on connaît les outils qui appuieront notre pratique en tout temps.
C’est possible quand on a une équipe prête à nous épauler et à accepter que tout ne sera pas parfait.
Quand 26 enfants viennent de perdre l’équilibre et qu’ils ont besoin d’un pilier.
C’est possible parce qu’on sait qu’aucun écran ne fera le poids contre le sourire de ton prof qui t’accueille (même dans Zoom) à 8h30 du matin, double dose de café en main.
À suivre…
À ne pas manque aussi :
- Un guide pratique pour se préparer à basculer en 24h, par le CSS de la Baie-James.
- Les 4 C pour engager les élèves à distance