Par Benoit Petit, conseiller pédagogique au service national du RÉCIT pour les gestionnaires scolaires
À son lancement, en 2018, le Plan d’action numérique en éducation (PAN) a mis de l’avant le mot « pédagonumérique ». Depuis, ce terme a été largement adopté dans le milieu scolaire. Récemment, sur Twitter, j’ai promis de documenter les origines de ce terme au Québec et son adoption au sein du RÉCIT.
En faisant quelques recherches sur Twitter, j’ai trouvé des utilisations anecdotiques du terme à partir de 2011, principalement par des Européens. Trois graphies différentes étaient alors utilisées, soit « pédago numérique », « pédago-numérique » et « pédagonumérique ». Ces publications ne semblent toutefois pas faire une promotion particulière du terme.
Selon moi, la véritable maternité de ce concept revient à Carole Raby, professeure et directrice du département de didactique à l’UQAM. Le 2 juin 2015, à l’occasion du Rendez-vous virtuel du RÉCIT, Carole a prononcé une conférence intitulée « Réflexion technopédagogique, basée sur des écrits scientifiques, en lien avec l’usage collaboratif des TIC en classe ». D’emblée, elle a tenu à reformuler l’intention et a proposé plutôt une co-réflexion « pédagotechnologique ». La réflexion sur ce changement de paradigme était lancée!
Elle avait alors invité à délaisser le terme technopédagogique au profit du terme pédagotechnologique. Elle avait précisé que cette appellation visait à mettre davantage en valeur la dimension pédagogique (voir sa présentation) plutôt que les outils : « On va parler beaucoup de pédagogie, pas beaucoup de technologie ». Ce changement qu’elle a proposé est rapidement adopté par la communauté du RÉCIT, comme en témoigne la vidéo de sa présentation.
Le 8 décembre 2015, dans le cadre des Rendez-vous du RÉCIT, nous lançons un chantier de coconstruction sur le leadership pédago-technologique, qui se transformera en leadership pédagonumérique au courant de l’année. En effet, dès décembre 2015, je propose d’organiser le premier Rendez-vous PédagoNumérique à la Commission scolaire de Saint-Hyacinthe, qui aura lieu en décembre de l’année suivante. De plus, le 28 janvier 2016, je suis invité à prononcer la conférence d’ouverture du colloque Clair 2016 (ma présentation). À cette occasion, riche de la réflexion collective du RÉCIT autour de ce chantier, je propose l’adoption du terme « pédago-numérique » pour remplacer son prédécesseur.
L’idée de délaisser le terme « technologique » vient du fait que celui-ci est trop générique. Les technologies sont immensément variées et loin d’être toutes numériques. Par ailleurs, au même moment et depuis un certain temps, un consensus de plus en plus généralisé fait son chemin dans le domaine des technologies numériques; les spécialistes parlent communément du « numérique », tout simplement.
Ma proposition fait écho auprès d’un certain nombre de participant•e•s qui le relaient sur Twitter. Le 4 février 2016, j’invite la communauté éducative présente sur Twitter à adopter le terme « pédagonumérique » dans la foulée de la proposition de Carole Raby. À ce moment-là, il y a peu de réactions, voire pas du tout.
Ce terme est toutefois utilisé à quelques reprises au printemps 2016 dans différents évènements (REFER, AQUOPS, Sommet de l’iPad en éducation). Lors de la rencontre du 10 mai 2016 du chantier sur le leadership pédago-numérique, l’expression est retenue et toutes les personnes présentes y adhèrent, comme en témoigne cette présentation qui était en fait un document de coconstruction. Ces travaux sont présentés lors de la rencontre du bilan du RÉCIT en juin de la même année. Dès lors, cette expression commence à faire son chemin auprès de l’ensemble des membres du RÉCIT. Par la suite, la graphie pédagonumérique (sans le trait d’union) sera de plus en plus reprise.
Le terme pédagonumérique fait même son chemin au sein du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur (MEES). L’équipe de coordination du RÉCIT alimente cette réflexion auprès de différentes directions gouvernementales. Pendant ce temps, le terme continue d’être adopté par un nombre grandissant de pédagogues, tant au Québec que dans toute la francophonie.
Enfin, à l’occasion du lancement du PAN, le 30 mai 2018, le terme connaît sa véritable consécration, apparaissant à quelques reprises dans le document officiel du MEES. Dans le lexique de ce document, on le définit comme synonyme de technopédagogie. Le terme est également utilisé par le Conseil supérieur de l’éducation dans son Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2018-2020 : Éduquer au numérique à la fin 2020.
Je ne suis pas parvenu à repérer une publication scientifique qui le définisse ou qui le documente. Toutefois, certaines y font référence (1). À vrai dire, même s’il a un certain fondement dans la recherche du concept proposé par Carole Raby, la véritable force de ce terme et du paradigme qu’il sous-tend vient de sa construction collective. C’est la communauté qui l’a adopté et l’a façonné au travers des expériences vécues sur le terrain.
(1) Voir dans la médiagraphie : Jacoutot, Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, Rosa, Tahiri et Vanleene.
Un merci tout particulier à Jennifer Poirrier, Jérôme Desjarlais-Lessard, Marie-Claude Rancourt, Marie-Soleil Carroll et Martine Rioux pour leur regard vif et rigoureux et leurs suggestions tellement enrichissantes, de même qu’à Alexandre Chenette pour son soutien inconditionnel!
Ce texte est publié sous licence Creative Commons Attribution.
Médiagraphie :
Conseil supérieur de l’éducation. (2020). Éduquer au numérique (p. 96). Conseil supérieur de l’éducation.
Jacoutot, J., & Pirolli, F. (2014). Introduction de dispositifs mobiles au sein d’établissements scolaires: analyse critique de comptes-rendus d’expérimentations. Dans XIXème congrès de la SFSIC: Penser les techniques et les technologies.
Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. (2018). Règles budgétaires de fonctionnement pour les années scolaires 2018-2019 à 2020-2021 : Éducation préscolaire et enseignement primaire et secondaire. Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur.
Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur & Bureau de la mise en oeuvre du plan d’action numérique. (2018). Plan d’action numérique en éducation et en enseignement supérieur (p. 85). Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur.
Petit, B. (2016). Leadership pédago-technologique – Document de participation 2015-12-08 – RVRECIT 15-16. Google Docs. Consulté 14 juin 2021.
Petit, B. (2016). Leadership pédago-technologique – Réflexion de départ – RVRECIT 15-16. Consulté 14 juin 2021.
Petit, B. (2016). Clair 2016 : Conférence d’ouverture avec Benoit Petit. Clair – Voir l’éducation autrement, YouTube.
Petit, B. (2016, mai 10). Leadership pedago-numerique – RVRECIT 15-16.
Petit, B. [@petitbenoit]. (2021). Je fais quelques recherches et je vous reviens bientôt sur les origines et les raisons de l’adoption au sein du #recitqc du terme #pédagonumérique [Tweet]. Twitter. Consulté 14 juin 2021.
Petit, B. [@petitbenoit]. (2016). J’invite, dans la foulé de @carole_raby qui propose de passer de techno-pédagogie à pédago-technologie, à adopter #pédagonumérique #TNIUQTR [Tweet]. Twitter.
Raby, C. (2015). RDVirtuel 2015 – Conférence d’ouverture – Carole Raby – Collaboration et TIC.pdf. 16 février 2015, Montréal. Consulté 14 juin 2021.
Raby, C. (2015). Rendez-vous virtuel du RÉCIT. recitqc, YouTube
Rosa, S. et al. (2020). Miser sur la transdisciplinarité pour cerner les enjeux éthiques et sociaux de l’IA: développement d’un cours optionnel destiné à tous les étudiants. Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire/International Journal of Technologies in Higher Education, 17(1), 88‑96.
Tahiri, J. et al. (2014). MOOC… Un espace de travail collaboratif mature : Enjeux du taux de réussite. Communication présentée à la 2e édition de la Conférence francophone sur les systèmes collaboratifs (SysCo’2014), Hammamet, Tunisie.
Vanleene, F. et al. (2019). Humanités numériques et pédagogie participative : Cas d’une classe expérimentale pluridisciplinaire inversée. Ela. Etudes de linguistique appliquée.