Pour un usage éducatif et signifiant des technologies en éducation
Par
– Stéphanie Dionne, mère de trois enfants, directrice du développement et des partenariats à l’École branchée, coach PNL spécialisée sur les enjeux à l’ère du numérique;
– Audrey Miller, mère de trois enfants, spécialiste en communication numérique et technologie éducative, directrice générale de l’École branchée
– Martine Rioux, mère d’une jeune adulte, rédactrice en chef des médias de l’École branchée, ambassadrice de la transformation numérique
La numérisation de la société va vite, extrêmement vite, et de plus en plus vite. Au Québec, le gouvernement investit à grands frais dans la transformation numérique des entreprises. De son côté, l’école tente de suivre comme elle peut, avec les moyens dont elle dispose, nageant souvent à contre-courant de l’opinion publique.
Car oui, intégrer une dimension numérique aux pratiques pédagogiques est devenue essentielle à l’accomplissement de sa triple mission :
- Instruire : Une énorme quantité, voire la majorité des savoirs est désormais accessible via des plateformes numériques;
- Socialiser : Les liens sociaux sont désormais entretenus en continu à travers différents réseaux numériques;
- Qualifier : L’exercice de la citoyenneté et l’employabilité dépendent de plus en plus du niveau de littératie numérique.
Soyons honnêtes. Est-ce qu’en 2024, on peut instruire efficacement sans bénéficier des sources d’informations numériques? Est-ce qu’on peut socialiser sans éduquer aux comportements éthiques à adopter en ligne? Est-ce qu’on peut qualifier sans développer la compétence numérique?
Non.
Dans une société moderne et développée comme la nôtre, la charge de rendre les travailleurs et citoyens compétents en matière de numérique ne devrait pas uniquement reposer sur les employeurs. Ceux-ci devraient pouvoir compter sur un bassin de candidats conscients des enjeux en matière de protection des renseignements personnels et de cybersécurité, capables de naviguer dans des environnements de travail numérisés, et aptes à participer activement au développement social et à la prospérité économique.
Le danger d’évoquer une interdiction des écrans à l’école
Grandir à l’ère du numérique est une réalité qui n’échappe à personne; l’actualité nous rappelle presque quotidiennement à quel point les parents se disent dépourvus, inquiets, voire frustrés face à la gestion des écrans. Devant l’immensité des défis contemporains, il serait pourtant beaucoup trop simpliste de remettre toute la faute sur les écrans. Mais c’est exactement ce qui ressort le plus souvent des discussions publiques.
Légiférer sur les usages des écrans par les jeunes? Voilà la solution brandie par des personnalités politiques soucieuses de montrer leur proactivité. Et, pour légiférer ou exercer un contrôle sans empiéter dans la sphère privée des familles, on pointe l’éducation, quitte à évoquer l’idée de carrément « sortir les écrans » des écoles! Cependant, l’éducation représente l’un des plus grands remparts face aux maux qu’on veut justement combattre.
Cependant, l’éducation représente l’un des plus grands remparts face aux maux qu’on veut justement combattre.
Les écrans, cet amalgame des temps modernes
Lorsqu’on ne comprend pas bien une situation, on a tendance à faire des amalgames. Et « les écrans », c’est probablement l’un des plus incroyables amalgames des temps modernes. (On en trouve un parfait exemple ici, d’autres ici.)
- Accorder une période récompense au primaire pour jouer à des jeux comme ceux que l’on retrouve sur Friv.com? C’est non!
- Laisser les élèves du secondaire errer sur YouTube ou écouter des séries Netflix à partir de leur appareil personnel pendant une période libre? C’est effectivement discutable!
- S’assurer que nos jeunes ne soient pas 100 % de leur temps de classe devant un appareil numérique? Logique!
Mais n’oublions pas qu’en 2024, les écrans permettent aussi de communiquer, de s’organiser, de devenir plus productif, créatif et inventif à l’école et en dehors de l’école. Ils font partie des outils avec lesquels il faut apprendre à travailler.
Au nom « des écrans », ne mettons pas de côté :
- L’école qui éduque au numérique (esprit critique, compétence informationnelle, habiletés technologiques, usages sains des réseaux sociaux, etc.)
- L’école qui éduque avec l’appui du numérique (exerciseurs avec rétroaction instantanée, contenus vidéos adaptés, parcours d’apprentissage interactifs, etc.)
- L’école qui accompagne et encadre la découverte de technologies disruptives, telles l’intelligence artificielle, avec éthique et bienveillance.
Faisons la distinction entre :
- Les écrans qui isolent et ceux qui rassemblent (disparition des frontières, création de communautés d’intérêts);
- Les écrans qui créent de la dépendance et ceux qui émancipent et affranchissent (élèves en difficulté, élèves handicapés, etc.);
- Les écrans qui rendent sédentaires et ceux qui appuient le goût de bouger (apps de santé, de suivi de course ou vélo, de chorégraphie, de mise en forme, etc.!)
Avouez qu’il est impossible de mettre tous ces usages dans le même panier! Il s’agit avant tout d’éduquer les jeunes pour qu’ils deviennent responsables et autonomes dans les choix qu’ils font avec leurs écrans.
Des usages éducatifs et signifiants à l’école, même pendant les périodes libres
L’usage du numérique par les jeunes, en l’absence de balises et d’encadrement, est grandement critiqué, souvent avec raison. Toutefois, une piste pour éviter que l’école ne fasse partie du problème est de s’assurer que des usages éducatifs, signifiants et créatifs des appareils numériques soient faits en classe, même pendant les périodes libres.
Voici d’ailleurs des exemples d’activités à la fois ludiques et éducatives qui peuvent être privilégiées durant ces moments moins encadrés :
- Créer une œuvre artistique, une affiche informative augmentée ou des éléments décoratifs à imprimer pour mieux organiser la vie en classe avec Canva;
- Utiliser Minecraft Éducation pour créer un monde collaboratif stimulant l’envie d’écrire ou pour se donner des défis en géométrie;
- Inventer un quiz de révision interactif à réaliser tous ensemble avec Kahoot!;
- Programmer une animation dans Scratch ou apprendre à coder avec Swift Playgrounds;
- Augmenter un exercice d’écriture récent en le transformant en livre numérique avec Google Slides ou Book Creator;
- Enregistrer un balado sur la vie à l’école avec Audacity;
- Fabriquer une animation en stop motion avec un iPad et des personnages Lego mis en scène dans un décor;
- Etc.
3 questions utiles pour déterminer l’apport éducatif du numérique :
- Permet-il aux élèves de s’améliorer ou de progresser?
- Permet-il de réinvestir les compétences des élèves dans un contexte authentique?
- Permet-il de faire des choses qui seraient autrement impossibles ou très difficiles?
Pour remplir sa mission à l’ère du numérique, l’école doit conjuguer outils numériques ET usages signifiants. Enseignons aux jeunes à utiliser leurs appareils de façon éthique et responsable, comme levier pour exprimer leur créativité et résoudre des problèmes.
Depuis 1996, l’École branchée témoigne des pratiques pédagogiques où le numérique multiplie les traces d’apprentissage des élèves, les rendant visibles aux parents et appuyant le jugement professionnel des enseignants(es). De plus, lorsque les projets laissent place à leur créativité, les élèves développent un grand sentiment de fierté, et ceux qui réussissent moins bien sur le volet académique ou qui ont des troubles d’apprentissage se dévoilent et se démarquent. Imaginez l’impact sur leur estime de soi!
Contribuez à l’échange de pratiques gagnantes : quels sont les usages signifiants du numérique de vos élèves?
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Image : Requête « image illustrant toutes sortes d’écrans qu’on peut utiliser pour collaborer à l’école, dans un style Pixar, horizontal », DALL-E, OpenAI, 17 avril 2024, chat.openai.com/