Par Marc Vézina, Conseiller pédagonumérique en formation professionnelle, RÉCIT Vocational Training
Les élèves qui s’inscrivent en formation professionnelle (FP) sont très motivés à apprendre comment accomplir les tâches liées au métier choisi, que ce soit soigner des personnes âgées, préparer des repas, ou conduire des camions. C’est en général ce à quoi ils et elles s’attendent. Dans ce cadre, le déroulement typique d’une leçon débute par une mise en contexte, suivie d’une démonstration que les élèves auront à reproduire avant de réfléchir aux connaissances acquises durant l’expérience.
Il devient plus difficile de nourrir leur motivation quand il est question d’acquérir des notions liées à ces tâches, comme la prévention des infections et de la contamination, l’hygiène et la salubrité alimentaires, ou les diverses réglementations relatives au transport. Cependant, tout en utilisant des formules pédagogiques variées et de plus en plus de ressources technologiques, le personnel enseignant de la FP tente de rendre les leçons plus vivantes et dynamiques tout en stimulant la participation des élèves. Plusieurs exemples montrent que d’incorporer le jeu à l’éducation, même dans un contexte où les élèves ne sont plus des enfants, peut être un facteur positif.
Le jeu dans l’éducation à distance
Pour plusieurs programmes du secteur de la santé en FP, l’approche traditionnelle consiste à accompagner les élèves à travers les étapes d’un cahier d’apprentissage, alors qu’ils et elles lisent pour acquérir de l’information et réalisent des exercices pour en vérifier la compréhension. Spencer Buttle, alors qu’il était nouvel enseignant dans le programme Assistance à la personne en établissement et à domicile, ne voulait pas se limiter à ce modèle.
D’abord, le centre où il enseigne, The Anchor Academic and Vocational Centre à New Carlisle (Eastern Shores School Board), couvre un vaste territoire. Comme il doit donner la majorité de ses leçons en ligne, il craignait des difficultés relatives à l’engagement et à la participation des élèves.
Par ailleurs, il avait grandi en regardant et en appréciant les jeux télévisés comme Jeopardy ou Who Wants to Be a Millionaire? Il a donc naturellement décidé d’intégrer ce type de jeu à ses leçons. « Integrating games is more fun and it changes the perspective of a traditional class, just reading all the time (intégrer le jeu est plus amusant et cela modifie la perspective d’une classe traditionnelle, où l’on passe simplement tout son temps à lire) », dit-il.
Il a utilisé des modèles trouvés sur Internet comme des sites Web interactifs et des diaporamas téléchargeables. Il a bâti des questionnaires portant surtout sur les notions à réviser, en y insérant néanmoins quelques nouveaux éléments afin de stimuler la curiosité des élèves et leur permettre de partager des savoirs préalablement acquis dans leur expérience professionnelle ou leur vie personnelle.
En leur consacrant une trentaine de minutes, presque tous les jours, il a observé que les jeux avaient un impact positif sur l’engagement des élèves et la rétention de l’information. Il attribue aussi la haute qualité des relations interpersonnelles qu’il a observée chez ses élèves au fait de les avoir fait jouer en équipe.
Transformer la Compétence 1 en jeu d’exploration
La plupart des programmes de FP au Québec débutent par la compétence(1) Métier et formation, qui vise à faire connaître aux nouveaux élèves la réalité du métier, à comprendre le programme de formation et à préciser leur orientation professionnelle. Ils et elles auront habituellement à effectuer des recherches sur les possibilités d’emploi, à rencontrer des gens du métier, à réfléchir à leurs aspirations, à discuter de professionnalisme, etc.
À cet effet, les enseignantes du programme de secrétariat au Centre de formation professionnelle et d’éducation des adultes de Sorel-Tracy (Centre de services scolaire de Sorel-Tracy) ont voulu dynamiser la feuille de route fournie aux élèves en lui donnant les attributs typiques d’un jeu de rôle d’exploration. Elles ont utilisé une carte de la municipalité comme support de l’itinéraire, qui mène à divers documents écrits ou audiovisuels à consulter ou à compléter. Les personnages non joueurs, par exemple l’orientation par les enseignantes ou les secrétaires à interviewer, sont incarnés par des avatars animés réalisés avec l’application coréenne Zepeto. Cette dernière permet de créer un personnage 3D qui s’anime à partir de la voix d’un enregistrement audio original.
Jean-François Jutras, conseiller pédagogique au RÉCIT local du CSS de Sorel-Tracy, accompagne les enseignantes dans le développement continu du projet. Il souligne l’importance de personnaliser l’expérience pour que chaque élève associe la présentation du jeu à son compte scolaire. Toutes les personnes obtiennent aussi une copie infonuagique individualisée des documents à compléter, ce qui permet une rétroaction directe par les enseignantes. M. Jutras ajoute qu’il est important d’offrir une expérience authentiquement amusante. « Comme dans Mario Bros., à la fin, il faut sauver la princesse. Tu ne peux pas simplement dire à l’élève : “clique ici et c’est fini” », dit-il. L’équipe envisage donc de conclure le parcours par une vidéo de félicitations, qui ne sera accessible qu’une fois que toutes les étapes du parcours auront été réussies.
Le jeu ne remplace pas l’enseignant
Les recherches du candidat au doctorat en communication et instigateur de l’événement Bad Game Arcade, Scott DeJong de l’Université Concordia à Montréal, portent sur plusieurs aspects du jeu en éducation, notamment l’utilisation des jeux vidéo dans la formation générale (des jeunes ou des adultes). Par ailleurs, son analyse de la différence entre la ludification (gamification) et la ludicisation (game-based learning)(2) et du rôle que doit conserver l’enseignant dans un contexte de jeu est particulièrement pertinente à considérer en FP. Dans un article publié en 2023, il explique que trop de jeux éducatifs tentent de se substituer à l’enseignant alors qu’ils devraient plutôt lui permettre de mieux jouer son rôle de facilitateur.
« Good facilitation weaves the lesson and game together for reflection before, during and after play (une bonne animation pédagogique intègre la leçon et le jeu pour susciter la réflexion avant, pendant et après le jeu) » (DeJong, 2023).
L’enseignant doit donc demeurer en mesure de discuter des intérêts et des difficultés des élèves, établir des liens avec des notions vues précédemment, et comprendre le jeu du point de vue du joueur-apprenant.
Les conditions gagnantes
L’utilisation du jeu, particulièrement auprès d’apprenants et d’apprenantes plus matures comme ceux et celles de la formation professionnelle, n’est pas une garantie du succès de l’apprentissage. C’est plutôt la précision des intentions pédagogiques et l’adéquation avec le programme d’étude qui importent; le fait que les élèves passent un bon moment n’assure pas que les notions ou les procédures à comprendre ont été assimilées. M. DeJong cerne bien la question en demandant si l’intention est d’enseigner ou de passer le temps (« teaching students or killing time »).
Le projet de Sorel-Tracy montre l’importance de l’implication de l’équipe-école dans l’appropriation des applications et des outils utilisés pour bâtir le jeu. Ce n’est qu’après avoir envisagé d’autres options et effectué plusieurs essais et erreurs que les applications numériques Jepeto, Genially, YouTube, Google Maps et MS Word ont été choisies. Et c’est en grande partie la motivation des personnes impliquées dans le projet et le temps investi qui ont rendu possible la réalisation du jeu d’exploration Secrets de secrétaires.
Pour sa part, M. Buttle souligne qu’en éducation en général, mais plus particulièrement dans un programme axé sur l’empathie et le soin comme celui dans lequel il enseigne, le plus important n’est pas le contexte, les gadgets ou les ressources utilisées, mais bien la qualité de la relation établie entre l’enseignant et l’apprenant. « The classroom has to have a nice environment, be open, fun and active all together (La classe gagne à être un environnement à la fois agréable, ouvert, amusant et actif) ».
(1) En FP, chaque partie d’un programme est intitulée « compétence » et elle comprend un « énoncé » qui décrit ce que l’élève doit être capable d’accomplir et des « éléments » qui distinguent les différents types de tâches qui y sont associés.
(2) La ludification incorpore des éléments de jeu, tels une minuterie ou des pointages, à des activités d’apprentissage. Des applications comme Kahoot ou Socrative en sont de bons exemples. La ludicisation, pour sa part, pousse la démarche plus loin en créant des jeux spécifiquement conçus pour l’apprentissage, voire en impliquant les élèves dans la conception du jeu, avec l’intention de se tenir plus près des contenus à apprendre et des motivations intrinsèques des apprenants et apprenantes.
Liens utiles :
DeJong, S. (2023, janvier). Video gaming can bolster classroom learning, but not without teacher support. The Conversation. https://theconversation.com/video-gaming-can-bolster-classroom-learning-but-not-without-teacher-support-190483
Le thème du jeu dans l’enseignement vous intéresse? Procurez-vous l’édition Hiver 2023-2024 du magazine de l’École branchée : Jouer pour apprendre : Les secrets de la ludification (en français) et Play to Learn – The Secrets of Gamification (in English).