Par Patrick Charland, Université du Québec à Montréal (UQAM); Hugo G. Lapierre, Université de Montréal, et Pierre-Majorique Léger, HEC Montréal
L’arrivée de ChatGPT a causé bien des remous dans le milieu de l’enseignement. Des cas de fraudes académiques et de plagiat ont été rapportés, notamment dans certains départements de littérature et de communication. Ce type d’outil permet en effet de générer, en quelques mots, des essais et des dissertations.
Mais ce n’est pas tout.
Les robots conversationnels ont obtenu des résultats impressionnants à différents tests standardisés, tels que l’examen de licence médicale des États-Unis ou celui du Barreau.
Du côté des disciplines nécessitant l’utilisation des mathématiques, leurs performances étaient initialement perçues comme assez faibles.
Toutefois, avec la récente mise à jour permettant l’accès à l’extension Code interpreter, renommée cette semaine Advanced data Analysis, ChaptGPT Plus (version payante offerte par OpenAI) est soudainement devenu très puissant dans le domaine du calcul, du raisonnement et de la résolution de problèmes. Disponible depuis juillet 2023, cette extension donne à l’IA la capacité de formuler et d’exécuter du code informatique. En d’autres termes, cette extension lui permet d’effectuer différentes opérations mathématiques, de traiter des données et de transformer des fichiers.
En cette rentrée scolaire 2023, les enseignants et professeurs de sciences et de mathématiques ne sont donc pas à l’abri des enjeux pédagogiques qui découlent du déferlement de la récente vague d’IA.
Combinant nos expertises en éducation et en technologies de l’information, nous discuterons des avantages et des défis de l’utilisation de ChatGPT pour la résolution de problèmes dans le milieu de l’enseignement.
Un puissant outil pour la résolution de problèmes
Pour mieux en saisir les impacts potentiels en salle de classe, nous avons testé les capacités de l’extension Code interpreter/Advanced data analysis de ChatGPT en matière de résolution de problèmes.
Ainsi, nous avons choisi des problèmes relativement complexes de 5e secondaire en physique, en chimie et en mathématiques. Pour réaliser ce test, nous avons comparé les solutions élaborées par ChatGPT à celles proposées par AlloProf, une référence incontournable en matière de soutien aux élèves. Nous avons essentiellement copié-collé les énoncés de divers problèmes et avons laissé l’algorithme faire le travail.
Résultats ? La capacité de résolution de problème de la nouvelle version de ChatGPT Plus est… impressionnante. Systématiquement, le robot reformule sa compréhension du problème, et explique ensuite la démarche qu’il compte utiliser, en séparant souvent le problème en diverses étapes. Il résout ensuite le problème en effectuant les divers calculs associés aux données initiales qui lui ont été soumises. Dans les tests effectués, sur des problèmes somme toute classiques, nous n’avons décelé absolument aucune erreur du robot dans sa résolution des problèmes proposés sur le site Alloprof !
Des exemples pour le moins impressionnants !
En physique, nous avons commencé nos tests avec un problème simple de calcul de la force centripète, qui implique tout de même d’effectuer des changements d’unités dans les données initiales. ChatGPT comprend bien le problème, explique clairement sa démarche et procède aux divers calculs nécessaires.
Nous avons également testé ses capacités dans un problème sur la Loi de Hooke (équation du ressort), ou sur les lois de Kirchhoff qui régissent la conservation de l’énergie dans un circuit électrique. Mêmes résultats.
Pour aller encore plus loin après avoir résolu un problème de calcul de trajectoire oblique d’une balle de golf, nous avons demandé à ChatGPT de réaliser un environnement virtuel interactif permettant de mieux visualiser le problème. Le robot nous a d’abord guidés dans l’installation de diverses bibliothèques de code informatique préconstruites. Puis, nous amenant dans l’environnement « Jupyter Notebook », il a programmé un script permettant de créer un simulateur interactif où des curseurs aident à mieux comprendre l’effet de la variation de divers paramètres (comme l’angle ou la vitesse initiale) sur la trajectoire du projectile.
En chimie, ChatGPT performe également très bien, que ce soit dans des problèmes de chaleur molaire de dissolution, de constante de basicité, d’énergie de combustion et même de balancement d’équations. Encore une fois, les explications permettent de bien comprendre toutes les étapes de la résolution de chacun des problèmes.
En mathématiques, que ce soit avec le « Code interpreter/Advanced data analysis » ou même avec le puissant plugin « Wolfram », le robot semble pouvoir résoudre à peu près n’importe quel calcul. Il dispose également de capacités graphiques, affichant les solutions, par exemple le sommet et les zéros d’une équation quadratique.
ChatGPT et l’apprentissage des mathématiques et des sciences
Devant les développements fulgurants des algorithmes d’IA, une réflexion pédagogique doit certainement s’effectuer sur les manières de les utiliser, ou non, en salle de classe.
Un rapport récent de l’Unesco en appelle d’ailleurs à utiliser l’IA avec précaution et à mener diverses études pour déterminer si ces outils peuvent avoir des impacts réellement positifs dans l’apprentissage. À l’heure actuelle, on ne dispose que de très peu de données quant à l’effet des robots conversationnels sur les apprentissages à long terme.
En même temps, il ne faut pas se leurrer : qu’on le veuille ou non, les étudiants finiront par l’utiliser.
Ainsi, nous estimons que les acteurs des systèmes scolaires doivent absolument en explorer les capacités pour, notamment, réfléchir à leurs pratiques évaluatives. Cette exploration nécessite cependant des moyens : offrir des formations diverses en littératie de l’IA et rendre disponibles certaines licences d’accès à ces algorithmes.
L’IA comme tuteur dans la résolution de problème ?
Au-delà des réserves exprimées, plusieurs voient aussi dans ces technologies diverses opportunités pour soutenir les élèves et le personnel enseignant. C’est d’ailleurs la perspective empruntée par la Khan Academy, une organisation à but non lucratif qui a produit des milliers de courtes leçons sous forme de vidéos, et qui vient de développer son propre robot conversationnel, « Khanmigo », spécifiquement dédié au secteur de l’éducation. Plutôt que de préconiser une approche superficielle visant à essentiellement à se servir de l’IA pour obtenir la solution à un problème, Khanmigo inverse les rôles et se place dans le rôle d’un tuteur visant le meilleur apprentissage pour l’élève.
Dans la même perspective, nous avons demandé à ChatGPT de jouer le rôle d’un tuteur pour nous accompagner dans la résolution de certains problèmes présentés précédemment. Une conversation pédagogique s’est alors engagée avec ce le robot-tuteur, qui nous a soutenus par diverses questions jusqu’à la fin du problème. On lui a également demandé de nous donner des problèmes semblables pour qu’il puisse valider notre apprentissage.
Par ailleurs, ChatGPT peut également servir de ressource aux parents pouvant se sentir démunis face à des devoirs devenant de plus en plus complexes au secondaire. Considérant que (les conditions d’utilisation de ChatGPT-4 impliquent l’encadrement d’un parent), c’est le parent qui peut utiliser ChatGPT pour soutenir son enfant. Cette utilisation de l’IA étend donc son rôle au-delà de la salle de classe, offrant un soutien supplémentaire aux acteurs entourant l’élève, et renforçant son potentiel en tant qu’allié dans l’apprentissage.
Nos travaux de recherche et ceux de nos collègues permettront, dans le futur, de mieux comprendre les avantages, les inconvénients, les opportunités et les défis de l’IA à l’école.
De notre pointe de vue, l’intégration de l’IA en éducation doit s’accompagner d’une conversation ouverte, transparente et bienveillante avec les élèves.
Par Patrick Charland, Professeur titulaire, Département de didactique, Université du Québec à Montréal (UQAM); Hugo G. Lapierre, Chargé d’enseignement à l’Université de Montréal, Université de Montréal, and Pierre-Majorique Léger, NSERC-Prompt Industrial Research Chair in User Experience and Full Professor of IT, HEC Montréal
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.