Voici la deuxième partie du témoignage de Marc-André Girard sur les difficultés éprouvées l’an dernier.
Rentrée 2020 : les nouvelles mesures sanitaires sont annoncées, prélude aux multiples ajustements de ces mêmes mesures en cours d’année scolaire. La vague des annonces ministérielles aura déferlé tout l’automne et nous a submergé de la tête aux pieds. Devant la hausse des cas automnaux, les mesures se sont multipliées et sont devenues plus restrictives. Ce qui était permis hier ne l’est plus aujourd’hui et pour demain, on verra. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’en enseignement, on sait ce à quoi ressemblera demain : à aujourd’hui et à hier. Nos jeunes ont besoin d’une routine paraît-il. L’incertitude, c’est donc difficile pour les adultes, mais encore plus pour les élèves et leurs parents, qui sont à la recherche de cohérence. Pauvre eux! Et pauvres nous qui sommes constamment à la recherche de l’exception qui infirme la règle, alors que nous devons plutôt apprendre à lâcher prise. En temps de crise, ce n’est pas le temps de chercher les repères et de préserver notre égo.
L’automne aura été un travail de jonglerie : faire du rattrapage scolaire de l’an dernier, aborder les nouveaux apprentissages de cette année, soutenir les élèves vulnérables, alimenter ceux qui ont besoin d’aller plus vite et plus loin, gérer la classe en temps de COVID, etc. Oui, gérer la classe en temps de COVID : désinfecter les bureaux, voir au sempiternel lavage de mains, contrôler les allers-retours aux toilettes, assurer l’intégralité de la bulle en tout temps dans les corridors, au parc et dans la cour d’école. Bref, je suis enseignant-concierge-policier-orthopédagogue et parfois aussi, intervenant social, infirmier et gardien de prison. Vous avez bien lu : nos jeunes sont en prison à l’école, ils sont confinés…ensemble dans leur bulle. Ils ne peuvent se « mélanger » comme ils le faisaient avant. Dans certains cas, leur besoin de bouger, de s’émanciper de tout ce contrôle et d’être libre pèse sérieusement sur leur humeur. Plus souvent qu’à l’habitude, certains « pètent leur coche » et font des crises violentes. Probablement qu’ils ont besoin de briser ce confinement et de sortir de ce milieu contrôlé?
Ouf! Passerons-nous l’automne? Le gouvernement clame (enfin) que les écoles seront parmi les derniers services à être fermés. Je suis heureux d’entendre cela et cela me réconcilie avec la situation. En forte majorité, les élèves sont fidèles au poste. Cette double reconnaissance est un baume en soi sur mes frustrations quotidiennes dirigées envers cette maudite pandémie. Toutefois, je reste conscient que je dois me former et développer ma compétence numérique. Nous voyons cette nécessité depuis des années, mais nous la reléguons au second plan. Il y a toujours quelque chose dans l’urgence du quotidien qui repousse ces nouveaux apprentissages sur les outils technos. C’est compréhensible, ce qui prime, c’est l’humain et non la machine. Or, soudainement, la machine rassemble les humains et permet à l’humanisme de transcender la machine! Le fait d’organiser des activités d’apprentissage à la maison pour mes élèves m’a fait réaliser que les TICE permettent d’être partout même si je suis à la maison. Elles me permettent de mieux différencier les approches pédagogiques à distance tout en offrant la rétroaction nécessaire au développement des compétences de mes élèves. Dire qu’avant, je ne trouvais que des limites aux technos. Désormais, elles ont un effet salvateur! Autre temps, autres mœurs.
La situation pandémique aura été source de développement professionnel pour moi. Sous l’épée de Damoclès, je n’avais pas le choix de faire le grand saut. Autour de moi, dans d’autres écoles, des collègues se sont fait prendre lorsque leur classe a connu une éclosion et que tous ont été placés en isolement. Je ne voulais pas me faire prendre à mon tour alors j’ai pris le taureau par les cornes. Je suis fier de moi. Je me suis dépassé et je suis désormais en mesure de faire mon travail tout en étant confiné, moi qui n’avais jamais utilisé Google Classroom avant septembre dernier. C’est désormais un incontournable. Avec mes élèves, nous avons fait des simulations de visioconférences autant à l’école qu’à la maison. J’ai prévu des leçons en ligne pour eux à faire en classe, j’y indique mes devoirs. En deux mois, j’ai réussi à innover dans mes pratiques pédagogiques et cela m’a rassuré, autant que cela a rassuré mes élèves et leurs parents.
Jamais je n’aurais cru possible de basculer en mode virtuel dès le lendemain! Les quatre derniers jours avant les vacances ont été relativement faciles et je suis agréablement surpris de constater le taux de participation de mes élèves aux activités ainsi qu’aux visios. En quatre jours, tout le travail accompli cet automne porte ses fruits. Mon investissement s’est rentabilisé de deux façons : je mène mes activités d’enseignement à distance et j’ai gagné beaucoup d’assurance et de compétence technologique. Même les quelques élèves qui n’ont pas d’ordinateur ou de connexion Internet ont pu se débrouiller relativement bien. C’est un peu comme si le chaos avait précédé cette plénitude de voir que tout fonctionne presque parfaitement, dans un nouveau cadre. Bon je sais que ce n’était pas parfait, mais vu que je m’attendais au pire, ce qui est simplement « bien » prend des allures de « parfait ». Les élèves, leurs parents et la direction sont indulgents, alors pourquoi ne le serais-je pas moi-même?
Rendus à Noël, bien que nous ayons fait les derniers mètres sur les genoux, nous sommes arrivés au fil d’arrivée. J’ai su profiter de la situation pour me redéfinir professionnellement en assurant la scolarisation de mes élèves à distance. Par contre, je l’avoue, en décembre j’étais fatigué physiquement et mentalement, comme beaucoup de mes collègues d’ailleurs.