Les inégalités numériques et l’importance de l’équité numérique ont été au cœur des échanges lors de la deuxième séance publique de la Conférence de consensus sur l’utilisation du numérique en éducation. Organisée par le CTREQ, cette journée a permis à des experts et praticiens de l’éducation de poursuivre les discussions débutées en février lors de la première séance.
La Conférence de consensus sur l’utilisation du numérique, organisée par le Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTREQ), est une démarche sur plusieurs mois. Tout comme lors de la première séance, des experts qui avaient produit différents textes préparatoires ont eu à répondre aux questions des membres du jury qui désiraient enrichir leur réflexion.
Les membres du jury de la Conférence de consensus, composé d’acteurs de la pratique et sous la présidence du professeur Simon Collin, sont maintenant chargés de formuler des recommandations finales d’ici juin à l’intention des décideurs publics.
En conclusion de la journée, Stéphane Lehoux, sous-ministre adjoint à la transformation numérique et aux ressources informationnelles du ministère de l’Éducation du Québec, a pris la parole et indiqué que « les conclusions de la Conférence de consensus deviendront un intrant majeur pour le ministère dans la poursuite des travaux visant la transition numérique du réseau scolaire ».
Pour plus d’informations sur la démarche et la première séance, nous vous invitons à (re)lire notre compte rendu.
Démocratiser l’utilisation du numérique pour favoriser l’équité
La deuxième journée s’est déroulée à travers quatre blocs d’échanges. Malgré les thématiques différentes de chacun des blocs, des énoncés communs ont émergé à quelques reprises : l’importance du développement des compétences numériques pour tous, la nécessaire formation du personnel scolaire, le rôle que l’école peut jouer pour réduire les inégalités (ou pas), le besoin d’offrir une école actuelle qui permettra aux élèves de devenir des citoyens accomplis dans la société de demain.
Plusieurs se sont aussi montrés d’avis que, si la pandémie a permis de faire un bond en avant dans les usages du numérique, il reste aussi beaucoup à faire pour en assurer une intégration pédagogique, centrée sur les programmes et les besoins des élèves. « Les inégalités ont été mises à la loupe avec la pandémie. Elles existaient avant, mais on préférait ne pas en tenir compte. Aujourd’hui, nous n’avons plus le choix », a soutenu Jean Gabin Ntebutse, professeur à l’Université de Sherbrooke.
Martine Pellerin, professeure à l’Université de l’Alberta, est allée plus loin : « La pandémie a montré que les enseignants n’étaient pas préparés au numérique. Dans certains milieux, on a frappé un mur ». Selon elle, le milieu scolaire doit prendre une part du blâme pour les inégalités dans la prestation de service en ligne que les élèves ont reçu (ou non) en contexte d’enseignement à distance. Elle a répété à quelques occasions que les élèves devraient avoir droit aux mêmes services qu’ils soient à distance ou en classe.
Formation, formation, formation
Ainsi, l’importance d’offrir aux enseignants de la formation continue et du développement professionnel en lien avec le numérique a été mise de l’avant par plusieurs intervenants. « La pandémie a forcé des enseignants à adopter le numérique. Maintenant, ils doivent être curieux et avoir le désir de se former pour aller plus loin », fait valoir Josée Laprise, orthopédagogue au Centre de services scolaire du Lac-Saint-Jean.
Pour plusieurs intervenants de la journée, il ne fait aucun doute que la formation des enseignants est déterminante pour l’intégration et la démocratisation du numérique dans les écoles. « Il faut soutenir et valoriser les enseignants qui développent leur compétence numérique », dit Dominic Boudreau, conseiller à la vie étudiante du Centre de démonstration en sciences physiques. Son organisation accueille des groupes scolaires dans ses locaux pour la tenue d’activités de développement de la culture scientifique.
Par contre, se former ne veut pas seulement dire maîtriser des outils numériques. « Il s’agit aussi de développer une posture et un esprit critique face au numérique », précise M. Boudreau. Ce propos a été appuyé par Mélanie Tremblay, professeure à l’Université du Québec à Rimouski (Campus de Lévis), plus tard dans la journée : « L’innovation n’est pas dans les outils ».
Martine Pellerin s’est aussi montrée du même avis : « À tous les niveaux d’enseignement, on a besoin d’un renouvellement des connaissances et des pratiques. On est encore beaucoup trop dans l’utilisation du matériel. On ne parle pas assez de citoyenneté à l’ère du numérique ». Elle ajoute qu’il est normal que tous les intervenants scolaires n’aient pas les mêmes compétences – « on vit dans un monde hétérogène » – cependant, il devrait y avoir des bases communes pour tous afin que l’éducation des jeunes au numérique soit plus uniformisée. Actuellement, avance-t-elle, « les formateurs n’ont même pas les compétences nécessaires pour former les futurs enseignants ».
Ainsi, la présence du numérique en classe est très variable d’une région à l’autre, d’une école à l’autre, d’un niveau à l’autre et même d’un enseignant à l’autre. Les élèves peuvent avoir un enseignant qui intègre abondamment le numérique une année et pas du tout l’année suivante. « Les enseignants n’ont pas tous la même posture face au numérique et cela devient parfois discriminant pour les élèves. Ils sont dépendants des choix que font leurs enseignants, qui sont très différents d’une année à l’autre », a fait remarquer Josée Laprise.
« Les enseignants sont des passeurs déterminants pour démocratiser l’utilisation du numérique en éducation. Tous devraient être en mesure de le faire. Il faut être de son temps! », a conclu Martine Pellerin sur ce sujet.
Et les jeunes dans tout ça?
Certains acteurs du monde scolaire pourraient être tentés d’affirmer que les jeunes maîtrisent déjà « le numérique » puisqu’ils sont continuellement rivés à leur téléphone cellulaire. « Arrêtons de prendre pour acquis que les élèves sont à l’aise avec le numérique, qu’ils sont nécessairement multitâches. Les jeunes ne forment pas un bloc monolithique quant à l’usage du numérique », a indiqué Jean Gabin.
D’ailleurs, il a mentionné que les jeunes font simplement une utilisation intuitive des outils technologiques qu’ils ont entre les mains. « Il appartient aux écoles de leur donner l’opportunité de développer leurs compétences numériques, de prendre conscience des enjeux qui se cachent derrière les interfaces technos. De même, la technologie utilisée dans les écoles doit répondre à des besoins éducatifs particuliers ».
En tardant à enseigner les usages du numérique et l’esprit critique nécessaire en lien avec ceux-ci, les écoles remplissent mal leur mission de former des citoyens engagés dans la société, estime M. Gabin. « La technologie est partout! »
Penser aux parents
La pandémie a définitivement mis en lumière l’importance de la communication entre l’école et les familles, entre les enseignants et les parents. Ce faisant, un autre enjeu est apparu : les écoles communiquent essentiellement par courriel ou via des applications (Mozaik ou autres) avec les parents. Cependant, se sont-elles demandé si les parents avaient la capacité d’utiliser ces moyens de communication? Offrent-elles d’autres moyens de communication aux parents?
Josée Thivierge, conseillère pédagogique et chercheure au Centre ÉCOBES du Cégep de Jonquière, s’est attardée à la situation des parents dans son propos. « L’école doit veiller à créer un dialogue avec les parents. Elle ne doit pas seulement envoyer de l’information. Elle doit s’assurer que ceux-ci pourront répondre. L’école a un rôle à jouer dans le développement des compétences numériques des parents. »
Elle a donné deux exemples, basés sur une recherche menée auprès de parents. Certains d’entre eux ont de la difficulté à s’exprimer à l’écrit, font des fautes d’orthographe, etc. Si le seul moyen de communiquer avec l’école est d’envoyer un courriel, ils ne le feront tout simplement pas. « L’école les place dans une situation d’inconfort. Ils ne se sentent pas à la hauteur. »
Dans certains milieux, les parents ne s’expriment ni en français ni en anglais. Les enfants deviennent alors des interprètes. Par contre, dans certains contextes, une traduction pourrait démontrer d’un véritable désir d’engager le dialogue avec le parent et éviterait à l’enfant de se retrouver entre les deux.
« Plus les parents se sentent écoutés, plus ils s’engagent et deviennent des alliés. »
Le mot de la fin revient à Normand Landry, professeur à l’Université TÉLUQ : « Désormais, les inégalités numériques doivent être traitées au même titre que les inégalités sociales. Les ressources numériques pourraient être distribuées en fonction du statut socio-économique des écoles. Laissons de la latitude aux milieux pour qu’ils fassent émerger des solutions à partir des priorités locales. Arrêtons les solutions mur à mur dans les écoles au Québec. Les acteurs scolaires sont au cœur de la réponse numérique ».