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Retour à l’école : le tutorat, une des solutions au rattrapage scolaire

Sociologue de formation et professeure en éducation, Cathia Papi s'intéresse au tutorat sous différentes formes depuis plusieurs années. Dans cet article, elle jette un regard sur le potentiel du tutorat comme mesure d'aide pour les élèves et sur ses limites.
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Par Cathia Papi, Université TÉLUQ

Les élèves québécois reviennent à l’école après une grève d’enseignants du secteur public variant de plusieurs jours à plusieurs semaines, selon les cas. Cette interruption n’est pas sans rappeler celle provoquée par la pandémie de Covid-19. À chaque fois, le tutorat a été évoqué comme un recours potentiel pour favoriser une certaine continuité dans les apprentissages ou un rattrapage scolaire.

Sociologue de formation et professeure en éducation, je m’intéresse au tutorat sous différentes formes depuis plusieurs années. J’ai mené, de 2021 à 2023, une recherche sur quelques mesures mises en œuvre par le ministère de l’Éducation du Québec en 2021, notamment celle concernant le tutorat. En attendant la publication des résultats en avril, je propose dans cet article de revenir sur ce recours au tutorat.

Des pertes d’apprentissage

Dès les premiers mois de confinement visant à endiguer la pandémie, les projections internationales prévoyaient des pertes d’apprentissage, concernant tant ceux prévus, mais n’ayant pas pu avoir lieu, que les oublis des apprentissages précédemment réalisés.

De fait, en 2022, il a été possible de constater un important déclin du niveau des élèves dans la plupart des pays de l’OCDE. Le Québec n’y a pas échappé. En effet, malgré des scores toujours parmi les meilleurs aux tests PISA en mathématiques, les résultats aux examens ministériaux de 2022 (français écrit de cinquième secondaire et mathématiques de quatrième secondaire) ont mis en évidence que, dans l’ensemble, les élèves avaient un niveau plus faible que ceux ayant passé ces examens avant la pandémie en 2019.

Par ailleurs, au printemps 2023, les trois quarts des 309 directions d’écoles publiques primaires et secondaires ayant participé à notre enquête nous ont indiqué qu’en dépit d’un retour en classe sans interruption en 2022-2023, davantage de lacunes et de difficultés qu’avant la pandémie étaient toujours constatées chez les élèves. Ces dernières concernaient aussi bien les apprentissages, que la socialisation et le bien-être, et venaient alourdir la charge de travail du personnel scolaire, notamment des enseignants.

Alors que les élèves n’avaient encore pas récupéré de la pandémie, l’interruption scolaire du mois de décembre, suivi des vacances de Noël, ont fait en sorte que certains élèves n’ont pas été en classe pendant une durée pouvant aller jusqu’à un mois et demi. Les recherches existantes sur les grèves d’enseignants en Ontario ou à l’étranger font état de pertes d’apprentissage, tout comme les recherches sur les interruptions liées aux vacances estivales. Cette récente interruption scolaire — une des plus longues enregistrées dans le monde — va sans doute exacerber les difficultés déjà rencontrées par plusieurs élèves.

Le tutorat, une forme d’aide connue et efficace

Durant la pandémie, le tutorat a constitué une des solutions privilégiées par plusieurs gouvernements pour aider les élèves, notamment en Australie, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Ontario et au Québec. De plus, bon nombre de parents ont eu recours à des services de tutorat pendant et à la suite de la pandémie, de même que durant de la grève des enseignants.

Existant de longue date, le tutorat est une forme d’aide connue, proposée par diverses organisations (écoles, organismes à but non lucratif, entreprises) et mêlant généralement soutien scolaire et socioaffectif grâce au lien privilégié qui se tisse entre le tuteur et le tutoré. De plus, comme je l’ai écrit dans un précédent article, le tutorat, surtout dans sa formule intensive (assuré par des professionnels de l’éducation ou des intervenants formés et effectué de manière individuelle ou auprès de petits groupes d’au plus trois ou quatre élèves, de manière régulière au moins trois fois par semaine), s’avère être l’approche de soutien à l’apprentissage la plus efficace selon la littérature scientifique.

Les limites d’une bonne idée

Au Québec, depuis 2021, un financement est accordé pour encourager le déploiement du tutorat pour les élèves en difficulté. Dans la mesure où d’autres dispositifs de soutien à l’apprentissage étaient déjà en place dans les écoles (réponse à l’intervention, coenseignement, récupération, etc.) le financement du tutorat a parfois été utilisé pour développer davantage ces dispositifs, plutôt que pour en ajouter d’autres, propres au tutorat.

Certains parents peuvent ainsi avoir l’impression que leurs enfants n’ont pas bénéficié ou ne bénéficient pas de la mesure tutorale, alors qu’ils en profitent indirectement dans un autre dispositif. Les sommes allouées semblent effectivement avoir été utilisées pour soutenir les élèves, mais dans des dispositifs n’ayant pas toujours l’appellation « tutorat » ni toutes les caractéristiques du tutorat intensif.

Le tutorat intensif est peu connu du milieu scolaire. Les méta-analyses ont donné lieu à des publications scientifiques en anglais, pour la plupart récentes et ne semblent pas avoir été diffusées dans les milieux scolaires.

Si des effets positifs de l’accompagnement ainsi offert sont constatés par les directions d’école, ils ne sont pas toujours aussi importants qu’ils pourraient l’être. De plus, alors que le tutorat est le plus souvent exercé par du personnel scolaire, les contraintes en termes de disponibilités et de budget amènent en général à réserver ces services aux élèves les plus en difficulté.

Par ailleurs, le fait que certaines familles recourent à des services de tutorat privé est susceptible d’accentuer les inégalités déjà importantes dans un système à trois vitesses.

Bien qu’il offre un soutien incontestable à certains élèves, le tutorat, dans sa forme actuelle, ne permet donc pas forcément d’aider tous les élèves en ayant besoin, ni de réduire les inégalités autant que cela pourrait être souhaité.

Pour accroître sa portée, il semblerait pertinent, non seulement de poursuivre le tutorat déjà en place (et pourquoi pas d’en augmenter le budget), mais aussi de faire enfin connaître les critères du tutorat intensif, de soutenir davantage les organismes à but non lucratif en proposant, voire de créer des aides financières en fonction des revenus pour les familles faisant appel à des services de tutorat privé.

Tous les élèves ne se sont pas encore remis de la pandémie, tant en termes de bien-être que d’apprentissage, et la majorité vient de vivre une nouvelle interruption scolaire. Il parait ainsi important d’accorder à ces élèves tout le soutien nécessaire et d’envisager de se centrer une année de plus sur l’évaluation des savoirs essentiels.

Par Cathia Papi, Professeure, CURAPP-ESS, Université TÉLUQ

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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