L’école résiste encore à la pédagogie du jeu. La perception que l’apprentissage doit passer par l’effort et la discipline personnelle reste ancrée. Le jeu est à l’opposé du travail et il permet de se détendre. Si les jeux permettent d’acquérir des connaissances dans le plaisir et de développer ses compétences, pourquoi ne sont-ils pas davantage utilisés dans les classes d’aujourd’hui?
Dans sa recherche, European Schoolnet énumère 9 principaux obstacles à l’utilisation des jeux en pédagogie. Le coût et la licence des jeux de même que l’inadéquation de leurs contenus avec les programmes de formation sont mentionnés. On souligne la difficulté à trouver des jeux adéquats et à les intégrer à l’organisation du temps scolaire et aux périodes d’examens. L’attitude des enseignants et leur formation en lien avec ces outils pédagogiques posent problème. Ces derniers s’inquiètent aussi au sujet des aspects négatifs et des véritables preuves de la valeur des jeux.
« Les jeux sérieux sont encore peu ou pas connus dans le monde éducatif, souligne Yasmine Kasbi. Beaucoup d’écoles ne possèdent pas non plus de matériel informatique adéquat. Même si certains enseignants sont en fracture numérique, la plupart de ceux que j’ai rencontrés sont convaincus de l’efficacité des serious games et très vite motivés lorsque je leur propose une activité ».
Pour répondre à l’argument du coût habituellement évoqué, Samuelle Ducrocq-Henry croit que le recyclage d’environnements existants est une avenue à étudier. Pour expérimenter son projet de Lan pédagogique, elle s’est prévalue du principe d’« exception pédagogique » en vigueur en France, qui lui permet de modifier un extrait de jeu vidéo à des fins autres que ludiques. Cette façon de faire permet une utilisation des jeux déjà existants à moindres frais, ce qui respecte mieux les contraintes financières du milieu éducatif. « Ce serait encore plus intéressant si un partenariat et des ententes de droits intelligentes étaient conclus entre les développeurs initiaux du jeu et les institutions qui souhaitent en faire un recyclage pédagogique », soutient-elle.
Les enseignants sont-ils prêts à faire le saut? « Plusieurs le sont, surtout depuis l’avènement de la Wii Fitness qui a ouvert les enseignants à d’autres formes de jeux », soutient Samuelle Ducrocq-Henry. Dans les pays les plus avancés sur le plan de la pédagogie par le jeu, les enseignants reçoivent une formation pour mieux les appuyer dans leur rôle de facilitateur. « Pour changer véritablement les méthodes pédagogiques, il est impératif d’inspirer les enseignants à l’aide d’exemples de pratique simples et peu coûteux », ajoute la chercheuse.
On reproche aussi aux jeux sérieux de ne pas avoir été pensés pour le milieu éducatif et de manquer de conformité avec les programmes d’études. Mesdames Kasbi et Ducrocq-Henry sont toutes deux d’accord : les jeux sérieux ne peuvent être conçus sans la précieuse collaboration des pédagogues. « Une société de jeux vidéo classique ne suffit pas pour créer un bon serious game. Il est essentiel de regrouper des experts, et les pédagogues en font partie », affirme Yasmine Kasbi. « Mais, tout un partenariat est à penser entre les enseignants, les médias et l’industrie. C’est un travail d’équipe », complète Samuelle Ducrocq-Henry.