Faire un tour du monde virtuel en 180 jours de classe : voici le défi que Karina Bilodeau, enseignante en adaptation scolaire à l’École secondaire de La Rencontre à Saint-Pamphile, a proposé à ses élèves pour 2017-2018.
Un projet d’envergure qui amène ses élèves à découvrir le monde tout en leur permettant de vivre des situations d’apprentissage concrètes et signifiantes. Une innovation pédagogique exigeant à l’enseignante de sortir de sa zone de confort afin de créer des liens avec des collègues aux quatre coins du globe pour faire vivre un expérience hors du commun à ses élèves.
L’École branchée a eu l’opportunité de lui poser quelques questions au sujet de son parcours en tant qu’enseignante et du projet qu’elle a mis en place cette année.
Portrait d’une enseignante passionnée
École branchée : Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans votre métier d’enseignante?
Karina Bilodeau : D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu enseigner, mais ce n’est qu’au moment d’entrer à l’université que j’ai choisi l’enseignement en adaptation scolaire pour relever le défi de taille de faire progresser des jeunes pour qui la réalité scolaire n’est pas aussi facile qu’elle l’a été pour moi. Enseigner en adaptation scolaire me permet de toucher à toutes les matières scolaires, de rencontrer des jeunes aux profils variés qui m’amènent à me surpasser pour trouver la meilleure voie pour eux, d’innover et d’oser entreprendre des choses que je n’aurais jamais pensé faire pour donner un modèle inspirant à mes élèves et leur montrer que rien n’est impossible si on accepte de mettre tous les moyens en oeuvre pour y arriver.
Cerner ce qui me passionne précisément dans mon métier est difficile, car je dirais que c’est mon métier, dans sa globalité, sa complexité et ses particularités, qui me passionne. C’est à la fois un emploi et un passe-temps, car je ne compte jamais les heures passées à imaginer et à préparer les projets que je réalise.
École branchée : Quelle place l’innovation pédagogique prend dans votre enseignement?
Karina Bilodeau : Étant présentement à ma 10e année d’enseignement, je suis portée à penser que je commence à peine à être en confiance dans mes stratégies d’enseignement pour prétendre pouvoir laisser libre cours à l’innovation pédagogique. Innover exige, selon moi, d’accepter de sortir de sa zone de confort pédagogique pour tenter des pratiques qui inspirent le changement. Docteure en psychopédagogie depuis juin 2018, mes études doctorales m’ont permis d’étudier le développement de savoirs signifiants et de réfléchir sur ma pratique enseignante. Mes réflexions m’ont amenée à réaliser que je ne dois pas enseigner selon ce que j’ai connu ou ce que j’ai vécu, mais que je dois plutôt m’imprégner de la réalité de mes élèves pour enseigner selon ce qu’eux vivent et connaissent. Ça paraît facile à dire qu’on enseigne pour les élèves, mais quand on prend le temps de s’auto-analyser, on se rend compte qu’on enseigne au début beaucoup plus pour sa propre personne, en pensant à ce qui nous plaît, à ce qu’on a connu, à ce qu’on a déjà vu. Quand j’ai pris conscience de cela, mes pratiques se sont transformées : j’ai commencé à penser en fonction de mes élèves en planifiant des activités qu’ils peuvent apprécier selon leurs styles d’apprentissage et en plongeant tête première parfois dans des tâches qui ne ressemblaient en rien à ce avec quoi je me sentais à l’aise. Je me suis mise à diminuer le papier et les crayons pour laisser la place à des tâches de manipulation, à des activités où les élèves sont dans l’action et prennent des décisions déterminantes et à intégrer progressivement les technologies numériques. Est-ce que je suis 100% à l’aise dans tout ça? Pas encore, mais ma passion pour mon métier me pousse à offrir le meilleur modèle à mes élèves et à persévérer dans cette voie.
Développer l’ouverture sur le monde
École branchée : Expliquez-nous brièvement votre projet Faire le tour du monde en 180 jours de classe :
Karina Bilodeau : Parfois, une idée nous vient et génère des tonnes d’avenues. En mars 2017, en commençant déjà à envisager ma prochaine année scolaire, j’ai eu l’idée du projet Faire le tour du monde en 180 jours de classe. Tout de suite, ce projet m’est apparu prometteur pour donner un contexte positif d’apprentissage et accroître la signifiance de nombreux savoirs à enseigner tout en favorisant chez mes élèves une ouverture sur le monde. La création d’un groupe sur Facebook m’a rapidement démontré qu’il y avait un intérêt un peu partout sur la planète à un tel projet.
Faire le tour du monde en 180 jours de classe, c’est créer une plateforme d’échange avec des groupes d’ailleurs afin de faire découvrir à mes élèves d’autres réalités, d’autres cultures, et ce, à travers la planète grâce aux outils numériques. Bien que cette découverte aurait pu se faire avec Internet uniquement, j’ai souhaité autoriser des rencontres virtuelles avec des personnes réelles de tous les âges afin d’obtenir d’elles leur regard sur leur région, leur province, leur pays; un même pays pouvant être vu de tellement d’angles différents selon les yeux qui l’observent. En même temps, pour savoir où on va, il faut savoir d’où on vient : la découverte de l’autre passe inévitablement par une meilleure appropriation de son histoire et de sa culture, ce qui contribue au sentiment d’appartenance et à la fierté d’être qui on est.
Dans le plus concret encore, mon projet permet par des visioconférences, des échanges en messagerie instantanée ou de la correspondance par courriel, par vidéo ou par envois postaux, d’établir des contacts avec des classes francophones. Ces contacts, dont la durée varie, permettent de faire connaissance avec des personnes qui partagent des éléments de leur culture et donnent l’occasion de visiter virtuellement (en direct ou par photos) des lieux variés au choix des personnes rencontrées. En parallèle, mon projet m’offre des contextes variés pour des situations d’écriture, de lecture, des situations mathématiques et des projets en arts plastiques.
École branchée : Quelles étaient vos intentions à mettre en place un projet d’envergure, disons-le, internationale?
Karina Bilodeau : Après avoir réalisé deux sorties dans la ville de Québec avec mes élèves et avoir constaté qu’il s’agissait, pour certains, des seules fois où ils avaient pu sortir de leur village/région immédiate, j’ai d’abord voulu, par ce projet, donner l’occasion à mes élèves de voir comment c’est ailleurs, de voir toutes les beautés dans le monde. Dans un monde où les réseaux sociaux sont omniprésents, j’ai voulu en profiter pour montrer comment on peut les utiliser positivement pour favoriser une ouverture sur le monde à mes élèves en leur permettant de se faire connaître et de rayonner.
Vers la fin de l’année dernière, après avoir réalisé des projets variés et avoir obtenu de nombreuses reconnaissances dans plusieurs concours, faisant alors l’objet de nombreux articles dans les journaux locaux, une élève m’a demandé quelle sorte de projets nous allions faire l’an prochain (en faisant référence à l’année scolaire en cours présentement). Ayant déjà en tête mon projet de tour du monde, je lui ai alors répondu : « Que dirais-tu qu’on se fasse connaître partout sur la planète? » Surprise, cette élève a souri à l’idée et moi, je ne réalisais pas encore à quel point cette affirmation allait se concrétiser.
D’une idée folle d’organiser un voyage virtuel à l’intérieur d’une année scolaire sans savoir au départ si j’allais trouver assez de gens pour me permettre de le faire, j’ai rapidement constaté, en créant mon groupe sur Facebook, qu’il y avait un intérêt dans la francophonie et j’ai même découvert que le français était une langue bien vivante dans plus de pays que je l’imaginais. Tranquillement, mon idée a laissé place à une planification sommaire d’un projet qui couvrait d’abord presque toutes les régions du Québec, puis plusieurs provinces du Canada pour finalement regrouper des enseignants de 19 pays différents (Canada, États-Unis, République dominicaine, France, Belgique, Suisse, Turquie, Bahreïn, Algérie, Tunisie, Cameroun, Burkina Faso, Égypte, Maroc, Mayotte, Russie, Nouvelle-Calédonie, Émirats arabes unis, Thaïlande) rendant mon voyage, international, à mon plus grand étonnement et bonheur en même temps. Puis, j’ai rencontré virtuellement de nombreux enseignants qui ont accepté de participer et qui, quand je communique avec eux, embarquent généreusement dans les activités que je planifie pour ma classe. J’en suis TRÈS reconnaissante.
Finalement, j’ai planifié mon projet en pensant à promouvoir une conscience citoyenne chez mes élèves, eux qui deviendront des citoyens dans leur région immédiate, mais également des citoyens du monde ouverts sur la diversité, tolérants, bienveillants et responsables vis-à-vis l’utilisation des outils technologiques. J’ai voulu leur permettre de constater que, même si une personne a des particularités qui la différencient des autres, il y a tant de ressemblances pour les unir. J’ai voulu profiter de l’établissement de nombreuses rencontres ici et là dans le monde avec des personnes de tout âge et de cultures variées pour enseigner la fraternité et démontrer qu’on peut apprendre de n’importe qui et de nombreuses façons.
Rendre les apprentissages signifiants
École branchée : Quel impact sur les apprentissages de vos élèves avez-vous remarqué depuis la mise en place de Faire le tour du monde en 180 jours? À quel point ce projet influence-t-il la motivation de vos élèves?
Karina Bilodeau : Ce projet est une source de motivation évidente pour mes élèves qui ont hâte à la prochaine visioconférence, qui s’intéressent à savoir quelle sera la prochaine destination et qui ont les yeux tout ouverts et brillants quand ils découvrent les paysages et les photos partagés par les personnes rencontrées.
D’élèves en difficulté quand vient le temps de faire des exercices dans les matières de base (français et mathématique), je me retrouve devant des élèves plus sûrs d’eux quand vient le temps de réaliser une tâche liée au projet et plus intéressés à se dépasser pour donner la meilleure image d’eux aux autres. Quand ils vivent des visioconférences ou des échanges écrits, ils entrent en contact avec des jeunes (parfois plus vieux, parfois plus jeunes), des personnes à part entière et ils se donnent la chance à ces moments d’être aussi des personnes à part entière (ce qui n’est pas toujours facile pour un élève qui doit faire face à des difficultés scolaires et pour qui l’estime de soi est parfois chancelante). Et à mon plus grand bonheur, je m’aperçois que le contact humain favorise leurs apprentissages, qu’ils retiennent aisément les détails appris par leurs pairs étrangers et qu’ils s’approprient de mieux en mieux leurs origines et l’histoire de leur région.
Communiquer grâce aux TIC
École branchée : Vous avez sans doute eu l’occasion d’utiliser différents outils technologiques afin de faire votre tour du monde virtuel. Lesquels avez-vous utilisés? Dans quel contexte avez-vous utilisé certains plutôt que d’autres?
Karina Bilodeau : J’ai commencé à planifier mon projet en pensant utiliser majoritairement Facebook et la fonction « appel vidéo » de Messenger pour vivre les visioconférences. À l’aise avec l’interface, ça me permettait d’orienter mon projet avec assurance. Puis, j’ai découvert et osé essayer d’autres plateformes en me disant que je montrerais en même temps qu’il existe de nombreux outils qui ont la même fonction et qui peuvent offrir d’autres avenues. Je me permets donc d’utiliser aussi la plateforme VIA de l’École en réseau et Google Hangouts. Sur chacune de ces interfaces, j’utilise également la fonction de messagerie instantanée qui permet un contact différent. Je n’ai pas encore utilisé Skype, mais ça demeure un autre outil possible. Je m’adapte en fait avec chaque collaborateur selon sa préférence et la disponibilité des outils de son côté.
Avec certains pays dont le décalage horaire est trop important, le contact en direct est difficile, voire impossible. Avec ces collaborateurs, je privilégie l’enregistrement vidéo (possible avec la plateforme VIA de l’École en réseau). J’exploite les applications Green Screen by Do Ink et IMovie pour réaliser des montages originaux qui seront publiés sur YouTube.
Avec une classe de Tunisie avec qui nous réaliserons bientôt un échange, j’exploiterai l’application GeoGebra pour enseigner en même temps la géométrie et le plan cartésien en mathématiques. Tout en enseignant explicitement comment utiliser les fonctions de cette application, je privilégierai une forme de pédagogie inversée en proposant à mes élèves d’aller consulter des tutoriels sur YouTube. J’exploite également l’application Forms d’Office 365 à différentes occasions, Seesaw pour transmettre des informations avec les parents de mes élèves, puis Google Sites pour garder des traces officielles du déroulement de mon projet. Je me suis par ailleurs créé un compte sur Twitter pour parler de mon projet et potentiellement trouver de nouveaux partenaires. Avec quelques classes de France, plutôt que d’utiliser les outils numériques pour un échange en direct, j’exploiterai le logiciel Canva pour concevoir des cartes postales qui seront ensuite imprimées et envoyées à ces classes, car au-delà du numérique, je veux aussi présenter à mes élèves d’autres moyens de communication que la messagerie instantanée et la correspondance par courriel.
À ce jour, ce sont les applications que j’utilise. J’exploite ce que je connais d’abord pour la facilité, mais je demeure ouverte à tout essayer, car je considère que la diversité des outils disponibles rime avec la diversité des styles d’apprentissage. Un apprenant sera plus à l’aise avec un outil tandis qu’un autre en préfèrera un différent. Comme il y a plus d’une manière d’apprendre, je souhaite mettre de l’avant plus d’un outil pour laisser la chance à chacun d’identifier celui qui convient le mieux.
École branchée : Quels apprentissages l’utilisation des TIC a-t-elle favorisé chez vos élèves?
Karina Bilodeau : L’utilisation des TIC dans ma classe vient favoriser les apprentissages de base : la lecture, l’écriture et même la communication orale lors des visioconférences, car les élèves doivent s’ajuster à leurs interlocuteurs lorsqu’ils parlent, ils doivent développer une écoute active pour maintenir une communication où chacun se comprend et se respecte. L’utilisation des TIC aide les apprentissages de mes élèves, car elle donne un contexte signifiant pour eux qui sont nés avec les ordinateurs et les appareils numériques. Écrire à l’ordinateur est beaucoup plus intéressant qu’écrire sur une feuille pour mes élèves et c’est la même chose en lecture.
Quand des apprentissages en mathématiques ou dans les autres matières peuvent être faits grâce à des applications ou des logiciels, je suis aussi tentée de les mettre de l’avant, car ça différencie la manière de réaliser les apprentissages et ça offre un cadre nouveau.
École branchée : Selon vous, quelle est l’importance des nouvelles technologies dans les classes du 21e siècle?
Karina Bilodeau : Je crois qu’utiliser les technologies en classe offre de belles possibilités pour différencier et varier la pédagogie, mais qu’en même temps c’est un exercice complexe, car tout change rapidement et cela demande une implication constante pour demeurer à jour. Les nouvelles technologies sont là pour rester. C’est le présent, mais aussi l’avenir, alors je considère qu’il est important d’enseigner en les utilisant pour offrir un modèle positif aux jeunes et pour sensibiliser ces derniers à une utilisation responsable et respectueuse de toutes les technologies.
Pour tout savoir sur le projet Faire un tour du monde en 180 jours de classe
Site web: https://sites.google.com/view/projedetourdumondevirtuel/accueil
Contact: [email protected]
Twitter: @KarinaBilodeau
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