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La professionnalisation de l’enseignement : un mouvement bloqué

À l’occasion du Colloque international en éducation, tenu les 2 et 3 mai derniers à Montréal, le professeur Maurice Tardif a fait l’état de la situation quant à la reconnaissance du statut des enseignants au Québec. Un constat peu reluisant, un mouvement qu’il dit bloqué, même après plus de 30 ans d’efforts.

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À l’occasion du Colloque international en éducation, tenu les 2 et 3 mai derniers à Montréal, le professeur Maurice Tardif a fait l’état de la situation quant à la reconnaissance du statut des enseignants au Québec. Un constat peu reluisant, un mouvement qu’il dit bloqué, même après plus de 30 ans d’efforts.

« Professionnaliser l’enseignement, c’est une idée assez ancienne, qui a été popularisée à partir des années 1980 surtout aux États-Unis et au Canada, puis au Québec dans les années 1990 », a rappelé d’entrée de jeu Maurice Tardif. À son avis, il y a un lien évident avec « l’universitarisation » de l’enseignement, particulièrement au secondaire. Il explique que par définition, une profession (par exemple, avocat, médecin, architecte, etc.), c’est une formation universitaire, des gens qui partagent une base de connaissances ou de compétences. Une profession est régie par un ordre professionnel, dont les membres respectent une éthique, une déontologie. De plus, l’autonomie professionnelle commande une responsabilité (évaluation entre les pairs, réflexion sur sa pratique). « Un professionnel n’est pas un technicien, il doit réfléchir chacune de ses actions. »

Alors, pourquoi veut-on professionnaliser l’enseignement? À l’origine du mouvement, se souvient Maurice Tardif, on a fait les promesses suivantes : rehausser le statut social des enseignants, voire même leur salaire, valoriser l’enseignement dans l’opinion publique pour attirer des candidats de meilleur niveau, rendre les enseignants plus autonomes face à l’État, aux parents, aux directions, etc. « Presque 40 ans plus tard, il semble qu’aucun de ces objectifs ne soit en voie d’être atteint », se désole-t-il.

Pour soutenir son affirmation, le professeur de l’Université de Montréal, membre fondateur du CRIFPÉ, explique les résultats d’une enquête visant à mesurer l’attractivité de la profession enseignante, à tracer le profil des jeunes qui souhaitent devenir enseignants. Voici donc le portrait de l’étudiant typique de 4e année au baccalauréat en enseignement de nos jours :
– Jeune femme
– Qui aime les enfants (sa relation au métier est émotionnelle, non pas scientifique)
– Blanche (97 %)
– Provient de la basse classe moyenne (lower middle class) (près de 60 %. Ses parents n’ont la plupart du temps pas fréquenté l’université.)
– Le ¼  des étudiants a eu une influence familiale valorisant l’éducation (par exemple, des enseignants dans la famille élargie).
– Ce métier consiste en quelque sorte en un moyen de promotion sociale par rapport à sa famille.

Étonnant? « En 1960-1970, on obtenait les mêmes résultats quand on faisait le portrait des enseignants! », ajoute M. Tardif. Le bassin de recrutement des candidats n’a donc pas changé.

Il se questionne alors : « l’enseignement en 2013, est-ce vraiment une voie de promotion sociale pour ces femmes? » Il sort les chiffres : le salaire des enseignants québécois varie de 36 000 à 74 000 $ par année. La moyenne se situe à 54 000 $, soit environ 17 % sous la moyenne des enseignants des autres provinces du Canada. Il est cependant comparable à celui des autres grandes professions dites féminines, soit les infirmières bachelières et les travailleuses sociales.

Il poursuit la réflexion : « L’ensemble des salariés au Québec gagne 44 000 $ en moyenne. En construction, avec un cours de niveau secondaire, le salaire moyen est de 60 944 $. Pour les autres professions universitarisées, il est de 70 000 $. Donc, le salaire n’est pas attrayant. Il faut plusieurs années avant qu’il ne devienne intéressant, et il plafonne très rapidement. En enseignement, les promotions sont inexistantes, la formation continue n’est pas récompensée, ni les heures supplémentaires d’ailleurs. »

La sécurité d’emploi et les longues vacances compensent-elles? À son avis, seulement 55 % en profitent réellement. La précarité est très élevée chez les enseignants, le taux s’élève à près de 40 % en 2013. Pour 55 000 postes permanents, 20 000 ne le sont pas et 16 000 doivent jumeler d’autres tâches. « Ça fait plus de 20 ans qu’on maintient ce taux. Environ 20 % de l’effectif enseigne des matières pour lesquelles il est peu ou pas formé. Et près de 2300 enseignants au Québec n’ont même pas de formation en enseignement! »

Maurice Tardif pose la question : « est-ce ainsi que fonctionnent les professionnels? Dans les autres milieux, ce serait impensable, mais en éducation, on le fait! » L’organisation du travail dans les écoles engendre ces effets pervers, à son avis. « On constate en fait que les enseignants ont le goût de décrocher. Plusieurs enquêtes montrent que près de la moitié ont déjà envisagé de décrocher. Récemment, Houlfort (2010) a montré qu’un sur 4 affirme songer à quitter d’ici les 5 prochaines années. »

« Depuis les années 1980, les enseignants ne sont pas mieux payés, la profession n’est pas plus attractive. » Selon lui, on observe plutôt une détérioration. « Les conditions des enseignants sont, à mon avis, antiprofessionnelles. »

Il conclut sur une note émotive : « Le tiers de l’école publique est malade. Ça se reflète dans la façon dont on traite les enseignants, et au bout du compte, les enfants. »

À propos de l'auteur

Audrey Miller
Audrey Millerhttps://ecolebranchee.com
Directrice générale de l'École branchée, Audrey détient une formation universitaire de 2e cycle en technologies éducatives et un baccalauréat en communication publique. Membre de l'Ordre de l'Excellence en éducation du Québec, elle s'intéresse particulièrement au développement professionnel des enseignants, à l'information à l'ère du numérique et à l'éducation aux médias, tout en s'activant à créer des ponts entre les acteurs de l'écosystème éducatif depuis 1999.

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