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Implanter des outils d’aide technologique en milieu défavorisé : l’expérience d’une enseignante de français de 1re secondaire

Mme Dominique a intégré pour la première fois dans sa classe une élève ayant droit à un ordinateur portable en 2007. « À cette époque, j’avais trente-deux élèves! » se rappelle l’enseignante. « Je voyais difficilement comment j’allais m’en occuper… ». Voici où elle en est aujourd'hui.
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Mme Dominique a intégré pour la première fois dans sa classe une élève ayant droit à un ordinateur portable en 2007. « À cette époque, j’avais trente-deux élèves! » se rappelle l’enseignante. « Je voyais difficilement comment j’allais m’en occuper… ». Voici où elle en est aujourd’hui.

Par Pierre-Yves Longval, orthopédagogue
École secondaire Henri-Bourassa

La classe change, évolue, se transforme au fil du temps. Les enseignants doivent perpétuellement se renouveler pour rester au diapason des changements sociaux, que ce soit en ayant recours à des méthodes pédagogiques adaptées à leur clientèle ou à des outils didactiques sans cesse réinventés. L’intégration des outils numériques est l’un des grands défis de la tâche enseignante. Chaque enseignant vit cette transition d’une façon qui lui est propre et qui est influencée notamment par le contexte socio-économique, les ressources offertes par l’école, les difficultés des élèves devant faire l’objet de mesures de compensation et, aussi, selon son propre rapport aux outils informatiques. Les histoires à succès côtoient les moins enviables, au rythme de l’agencement de variables qu’on contrôle parfois difficilement. Voici le récit de professionnel(le)s de l’école secondaire Henri-Bourassa, à Montréal-Nord, et leur expérience d’intégration de la technologie en enseignement.

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Dominique Patenaude enseigne le français en première secondaire. Elle a cette année trois groupes à effectifs réduits (10 élèves par groupe, environ), composés d’élèves ayant des difficultés d’apprentissage sans avoir de difficultés de comportement. Elle utilise les outils numériques principalement pour compenser des difficultés d’apprentissage en lecture et en écriture de ses élèves (correcteurs automatiques, dictionnaires virtuels, synthèse vocale, prédicteurs de mots, etc.). Dominique enseigne depuis vingt et un ans. 

Dominique a intégré pour la première fois dans sa classe une élève ayant droit à un ordinateur portable en 2007. À l’époque des plans d’intervention écrits à la main et des communications « papier » dans un pigeonnier, cette jeune fille de première secondaire est arrivée en classe comme une ambassadrice, avec son ordinateur portable de trois centimètres d’épaisseur. « À cette époque, j’avais trente-deux élèves! » se rappelle l’enseignante. « Je voyais difficilement comment j’allais m’en occuper… ». Elle se rappelle avoir été soutenue par un orthopédagogue spécialisé qui allait chercher l’élève en classe pour l’emmener dans son bureau afin de l’aider à exécuter les tâches nécessitant l’utilisation de l’ordinateur. « Je m’en lavais un peu les mains! » admet-elle en se remémorant cette époque. 

Aujourd’hui, Dominique ne s’en lave plus les mains. Au contraire, elle les plonge maintenant, sans retenue, dans la soupe numérique. Dans certains de ses groupes, elle peut avoir à utiliser les outils technologiques pour plus de la moitié des élèves de la classe, selon la tâche qu’ils ont à effectuer.

Selon l’enseignante, et dans son cas spécifique, la transition vers l’utilisation des logiciels adaptés et des divers outils s’est faite tranquillement, sans trop de heurts. Chaque année, elle voyait toujours un élève de plus pour qui elle devait envisager d’employer une solution de rechange numérique en lien avec une difficulté d’apprentissage. « J’ai voulu comprendre les difficultés que les élèves pouvaient vivre », lance passionnément Dominique, en précisant qu’avant de connaître ce que les logiciels peuvent faire pour l’élève, il faut comprendre les difficultés qui en justifient l’utilisation. « Autrement, on applique sans savoir ce que l’on fait. »

Prendre le temps d’autonomiser les élèves pour gagner du temps

Si elle apprécie l’apport indéniable et de plus en plus indispensable des technologies dans son enseignement, la titulaire de première secondaire nomme toutefois des obstacles à l’intégration de ces dernières. L’irritant principal, confie-t-elle, est l’ajout de temps de travail à un agenda déjà surchargé. « On est toujours dans l’action, ça va vite! ». Elle estime qu’il lui faut le double du temps de préparation pour construire une activité. En effet, intégrer les logiciels d’aide à la lecture et à l’écriture ne se fait pas tout seul : lorsqu’ils ne le sont pas déjà, il faut numériser les documents, les organiser, s’assurer que les ordinateurs fonctionnent bien et s’assurer que l’élève soit capable d’y avoir accès.

Et malgré une préparation impeccable, il faut anticiper que l’élève aura peut-être besoin d’aide pour les manipulations informatiques. Dominique se retrouve donc souvent devant des élèves qui ont peut-être la capacité d’effectuer une tâche, mais qui sont freinés par un manque de compétences techniques. « Ils ne maîtrisent souvent pas les fonctions de base, comme créer un dossier pour enregistrer leurs textes. On doit souvent le réexpliquer, » précise-t-elle. « Je donne des capsules en récupération parce qu’en classe, je n’y arrive pas » ajoute-t-elle.

L’enseignante investit donc du temps pour augmenter l’autonomie de ses élèves en lien avec l’utilisation de leurs outils, et ce, de façon explicite lors de périodes de récupération qui ont lieu sur l’heure du midi ou après l’école. Heureusement, cette stratégie fonctionne.

Un contexte socio-économique à considérer

Un autre défi auquel Dominique Patenaude fait face provient du contexte socio-économique complexe du quartier au sein duquel elle travaille (Montréal-Nord). Provenant des quatre coins du monde et luttant souvent pour subvenir à leurs besoins de base, des familles démunies lui confient leurs enfants afin qu’ils puissent apprendre. « Les parents travaillent fort et sont parfois en mode “survie”. Plusieurs de mes élèves, principalement ceux qui proviennent du secteur de l’accueil, n’ont jamais eu de contact avec un ordinateur », indique-t-elle. « Nous vivons une barrière de langue et une barrière de vécu. » Elle considère que c’est très important de mettre en lumière l’influence directe du contexte sur la réussite d’un plan numérique. Il est impossible, dans sa réalité professionnelle, d’en faire abstraction.

Cela dit, l’enseignante est encouragée par les effets positifs de l’utilisation des technologies pour les élèves qui en ont besoin. Les difficultés en lecture sont donc très bien compensées par les logiciels de synthèse vocale, et les différents types de dictionnaires numériques et correcteurs automatiques favorisent la production de textes cohérents et lisibles.

La cohésion entre enseignants et intervenants : des facteurs de succès

Selon Dominique Patenaude, il faut continuer de favoriser l’intégration des aides technologiques en travaillant ensemble, entre intervenants, pour rendre la démarche universelle et cohésive. « Il faut avoir une routine solide. Pas juste avec les élèves : entre nous, entre enseignants » dit-elle. « Si les élèves développaient la même routine d’utilisation de l’ordinateur de la même façon, dans tous les cours, ils l’assimileraient beaucoup plus vite. »

Outre le concept de participation et de cohésion entre enseignants dans les pratiques numériques, l’enseignante inclut aussi l’organisation scolaire dans ses réflexions et souhaite que le temps investi à développer les compétences informatiques chez les élèves soit reconnue. En guise de conseil, elle ajoute à l’intention des jeunes enseignants : « Informez vos directions du temps que vous investissez pour ces adaptations et demandez-leur de vous soutenir. Demandez de l’aide aux intervenants de l’école afin qu’ils s’investissent avec vous pour les élèves qui bénéficient de ces outils. Ne restez pas seuls avec cette gestion. »

Finalement, elle rappelle l’importance de prendre le temps de lire les dossiers d’aide et de consulter les plans d’interventions avant de tenter d’intégrer quelque outil d’aide que ce soit. Elle souligne également la pertinence de consulter les intervenants responsables de ces dossiers et de les inviter à s’impliquer dans des actions concertées et concrètes.

C’est ainsi que Dominique Patenaude perçoit l’évolution du numérique, dans son contexte, dans son école. Pour elle, la réussite du passage au numérique, de ce projet de société inéluctable auquel tous les enseignants seront confrontés tôt ou tard, réside dans la capacité d’un milieu à travailler en équipe.

Nous vous présenterons d’autres visions d’enseignants de cette école au cours des prochains mois!

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