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Entrevue avec Benoît Duguay : Être branché… Ou ne pas être ?

Internet, téléphones cellulaires, consoles de jeux vidéos, BlackBerry : les nouvelles technologies sont en train de changer nos vies. Mais jusqu’où peuvent-elles nous mener? À l’hyperconsommation? À la multiplication de nos « amitiés »? À l’abandon de notre vie privée? Professeur à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Benoît Duguay étudie les pratiques et les phénomènes liés à la consommation. Il a publié en novembre 20009 le troisième volume d’une trilogie sur le sujet : Consommation et nouvelles technologies : Au monde de l’hyper, aux Éditions Liber.

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Internet, téléphones cellulaires, consoles de jeux vidéos, BlackBerry : les nouvelles technologies sont en train de changer nos vies. Mais jusqu’où peuvent-elles nous mener? À l’hyperconsommation? À la multiplication de nos « amitiés »? À l’abandon de notre vie privée?

Professeur à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Benoît Duguay étudie les pratiques et les phénomènes liés à la consommation. Il a publié en novembre 20009 le troisième volume d’une trilogie sur le sujet : Consommation et nouvelles technologies : Au monde de l’hyper, aux Éditions Liber.

Cet entretien a été initialement publié dans le magazine RND. L’Infobourg a obtenu la permission de la directrice, Danielle Hébert, pour le reproduire ici.

Des objets « style de vie »

Brigitte Trudel : Les nouvelles technologies ont-elles transformé notre manière de consommer?

Benoît Duguay : Oui, énormément. D’abord, elles ont entraîné la création de nombreux produits : téléphones intelligents, consoles de jeux, etc. Or, qui dit davantage de produits sur le marché dut plus de consommation. Sans compter que les outils technologiques évoluent rapidement et changent constamment de modèle, ce qui amène les gens à consommer de façon exagérée.

De plus, ces outils nous permettent désormais d’explorer et d’acheminer presque n’importe quelle marchandise à toute heure du jour et de la nuit.

BT : Est-ce la forte demande des consommateurs qui incite les producteurs à proposer toujours plus de nouveautés dans le domaine?

BD : Les spécialistes du marketing aiment nourrir cette illusion en répétant que ce n’est pas le marché qui crée les besoins. Je ne suis pas d’accord. Le cycle de la consommation commence bel et bien chez le producteur. C’est lui qui développe les produits et qui fait naître chez les gens le désir de se les procurer. Évidemment, si une entreprise veut se positionner favorablement par rapport aux autres, elle soit améliorer ses produits. Les nouvelles technos, puisqu’elles progressent très rapidement, sont propices à ces développements continuels. On leur ajoute même des fonctions non essentielles qui les éloignent de leurs buts premiers. Un téléphone cellulaire doit-il pouvoir, en plus de la possibilité de prendre des photos, stocker 6 000 pièces musicales?

BT : Pourtant, les consommateurs sont friands de ces gadgets.

BD : Oui, parce que la consommation est étroitement liée à l’estime de soi. Or, les outils technologiques et toutes les options qu’ils proposent sont fortement associés à une image personnelle positive : la publicité en a fait des objets cultes, des objets «style de vie». C’est le cas du populaire iPhone. Souvent on les achète pour faire partie d’un groupe, d’un clan, C’est vrai aussi pour certains adultes.

Techno-riches et techno-pauvres : le fossé numérique

BT : Peut-on penser qu’un jour on achètera tout par Internet? Le commerce électronique risque-t-il de devenir un monopole?

BD : Non. Il est en pleine croissance, mais il ne remplacera pas les établissements de briques et de béton parce que, d’une part on associe certains risques – au commerce électronique. D’autre part, parce que les éléments de plaisir qui définissent la consommation – se divertir, fureter – et la gratification immédiate que procure un achat dans le monde réel ne s’obtiennent pas en magasinant sur Internet. Cela dit, des opérations commerciales chiffrées en milliards de dollars s’effectuent maintenant sur le Web plutôt qu’en personne. Normal, puisqu’il n’y a pas de plaisir associé à ces transactions fonctionnelles. Si on peut les accélérer et les rendre plus faciles grâce aux nouvelles technos, tant mieux.

BT : Les nouvelles technos nous ont-elles vraiment permis d’être plus productifs, plus efficaces?

BD : Bien sûr. Nous pouvons produire davantage et à moindre coût, ce qui a favorisé l’ouverture des marchés. Malheureusement, plutôt que de profiter de cet élan pour ramener certaines populations à un niveau de vie acceptable, les grandes entreprises, poussées par la recherche du profit, ont continué à vendre des produits de plus en plus luxueux, accessibles seulement aux pays riches, Résultat : nous voilà, en Occident, avec une capacité de production excédentaire pendant qu’ailleurs sur la planète certains n’ont ni eau courante, ni électricité. La récession que nous avons connue n’est d’ailleurs pas étrangère à cette course folle vers le profit à tout prix.

BT : Le développement des nouvelles technologies aurait donc contribué à creuser l’écart entre les riches et les pauvres?

BD : Hélas! Oui, et les exclusions engendrées par ce fossé sont très graves. Les nouvelles technos ont une place centrale dans nos sociétés. Au point où les pays dans le besoin n’arriveront jamais à un degré de développement acceptable si on ne les équipe pas de façon minimale sur le plan numérique. Cela dit, même dans nos sociétés industrialisées, des citoyens souffrent de ce fossé, particulièrement sur le plan de l’éducation. Les nouvelles technos représentent désormais un outil d’apprentissage incontournable. Or, certains foyers québécois ne possèdent pas encore d’ordinateur. Pourtant, l’installation d’un modèle de base ne devrait-elle pas être aussi courante que le téléphone dans nos maisons?

BT : Être « branché » de nos jours est donc si nécessaire?

BD : La réponse varie selon la génération. Les personnes retraitées, celles qui ont réalisé une large part de leur apprentissage et qui ont connu une carrière productive avant l’avènement de l’informatique ne vont pas s’appauvrir par qu’ils n’ont pas d’ordinateur. Cet outil est apparu trop tard dans leur existence pour qu’elles soient pénalisées. Par contre, le travailleur moyen d’aujourd’hui, lui, n’a plus le choix. La connaissance des nouvelles technos et une certaine maîtrise de celles-ci sont essentielles. Celui qui ne satisfait pas à ces exigences s’en trouve lourdement défavorisé. Heureusement, les croisements entre les différents produits électroniques – le téléphone et Internet, l’ordinateur et la télévision – devraient favoriser une plus grande démocratisation de ces outils dans l’avenir.

« Mon cher journal », « Chers amis virtuels »

BT : Les nouvelles technologies sont elles des produits de consommation plus dangereux que les autres?

BD : Tous les produits de consommation peuvent être dangereux. Prenez l’automobile : elle peux faucher des vies. Pour ce qui est des nouvelles technologies, le danger vient surtout du fait que les utilisateurs ne sont pas conscients de leur portée. Facebook, par exemple, est devenu pour certains ce qu’était, à une autre époque, le journal intime. Ce dernier, toutefois, était verrouillé et dissimulé sous le matelas. Ce qui n’est pas le cas avec Facebook. Prenez l’histoire de cette dame en arrêt de travail qui s’est vu retirer ses prestations d’assurance invalidité après avoir publié certaines photos sur sa page Facebook. Elle arguait pour sa défense : « Ces photos, c’est mon espace personnel. » Attention! Internet ne peut en aucun cas être un espace privé. Au contraire, c’est le lieu le plus public qui soit. Sachez que ce que vous y déposez sera un jour ou l’autre vu par un tiers auquel l’information n’était pas destinée, et ce, même si vous en restreignez l’usage. La consigne est simple : on ne place pas un mot, pas une photo sur le Web qu’on n’afficherait pas au vu et au su de tous, dans un lieu public.

BT : Pourquoi les réseaux sociaux comme Twitter et Facebook sont-ils aussi présents dans la société actuelle?

BD : Dans le domaine des communications, Internet et ces réseaux sociaux représentent le plus grand bouleversement qu’a connu notre monde en trente ou quarante ans. Au point où le mot « communication » est dorénavant associé à Internet en premier lieu. Avec le Web, l’information s’est mise à circuler beaucoup plus rapidement qu’auparavant. Facebook, les blogues et autres Twitter ajoutent à cette rapidité, et de plus ont permis à la population d’agir comme autant de petits journalistes. Résultat : Barack Obama s’est fait élire en misant sur ces technologies. Des évènements comme la mort de la jeune manifestante de 26 ans, Neda Aghasoltan, tuée par balle en Iran, ou la saga Tiger Woods n’auraient peut-être pas eu d’échos publics sans les réseaux sociaux auxquels les médias ont eu recours pour obtenir de l’information.

BT : Le discours ambiant mise aussi sur le pouvoir qu’ont Internet et les réseaux de renforcer nos liens. Qu’en pensez-vous?

BD : Les réseaux sociaux possèdent un côté pratique évident pour garder contact. Grâce à eux et à Internet, je peux échanger quotidiennement avec des membres de ma famille en France, ce qui, avant, m’était impossible pour une simple question de coût. Pour ma famille et moi, les nouvelles technologies sont donc un moyen de communication supplémentaire. Cependant, elles doivent être utilisées comme tel, c’est-à-dire comme un outil qui ne devrait remplacer ne le téléphone ne les rencontres de personne à personne. Même chose au travail : si je discute uniquement par courriel avec mon collègue du bureau d’en face, je dénature l’essence de la communication. Et je suis loin de contribuer au renforcement de nos liens. Quant à la motion d’amis, les réseaux sociaux l’ont redéfinie à leur guise. En effet, peut-on appeler « ami » une vague connaissance rencontrée au coin d’Internet? Peut-on considérer ce genre de relation au même titre que celles que nous entretenons dans le monde réel?

BT : Le monde virtuel peut-il devenir un piège?

BD : Le virtuel comporte en effet des risques, notamment parce que les gens y sont représentés par un avatar. Leur image véritable y est remplacée par une image virtuelle souvent idéalisée. Le danger, c’est de prendre cette image pour la réalité. Autre particularité : quand on entre dans le monde virtuel, on perd la notion de temporalité parce que le temps ne s’y écoule pas au même rythme que dans le monde réel. Cela explique pourquoi certaines personnes consacreront des heures de leur vie personnelle à surfer sur ces technologies, malgré tous les risques de perte de temps et de perte de soi que cela comporte. Au travail, un tel comportement entrave la productivité et des soldes par une perte nette pour la société. Cela dit, le virtuel n’est pas l’apanage d’Internet et des consoles de jeux. Les photographies de mode retouchées, par exemple, font elle aussi partie du monde virtuel et leurs conséquences potentielles sont dommageables.

Dans cinq ans, des dinosaures?

BT : Comment les nouvelles technos sont-elles appelées à se développer?

BD : Elles seront de plus en plus présentes dans notre quotidien et ce que nous en connaissons maintenant aura des airs d’antiquité dans quelques années. D’abord, plus besoin de clavier ne de souris : tout se fera par la voix, Ensuite viendra l’interface neuronale, connectée directement aux nerfs de votre corps. La chose existe déjà sur une base expérimentale, notamment pour des personnes handicapées. Les voitures aussi seront de plus en plus réglées par ordinateurs. C’est déjà commencé. Certains modèles possèdent un système qui freine automatiquement lorsqu’un véhicule se retrouve trop près de celui qui le précède. Ces initiatives visent évidemment à améliorer la sécurité.

L’omniprésence des nouvelles technos dans nos existences futures soulève toutefois des questions : L’humain perdra-t-il des habiletés qu’il possède maintenant au profit de la machine? Lorsque l’ordinateur exécutera presque tout pour moi, que me restera-t-il à faire?

BT : Voilà une perspective plutôt sombre…

BD : Pas du tout. Les nouvelles technologies nous ont permis de réaliser de grands pas en avant et continueront à le faire. Personnellement, je ne voudrais pas vivre sans leur présence et sans profiter de toutes les possibilités qu’elles ont à offrir. Leur rôle dans l’évolution est crucial et elles peuvent s’avérer extrêmement utiles à l’humanité. À condition d’en diriger sainement le développement.

BT : Et qui doit s’en charger?

BD : Chacun d’entre nous. Nous sommes tous responsables. Trop souvent le consommateur est présenté comme une victime de la consommation alors qu’il en est plutôt un complice. Réglementation, code de conduite et d’utilisation des nouvelles technologies : c’est trop facile de jeter la responsabilité et le blâme sur le gouvernement ou sur Facebook alors que c’est à l’individu seul d’assumer ses choix. Rappelez-vous qu’en eux-mêmes, Internet, les consoles de jeux, les BlackBerry et autres téléphones cellulaires ne sont associés à aucun système de valeurs. Il revient à chacun de nous de les inscrire au sein de celui que l’on privilégie et d’éduquer nos enfants en ce sens.

Cet entretien a été initialement publié dans le magazine RND. L’Infobourg a obtenu la permission de la directrice, Danielle Hébert, pour le reproduire ici.

Par Brigitte Trudel, collaboration spéciale

À propos de l'auteur

Martine Rioux
Martine Rioux
Martine Rioux est rédactrice et gestionnaire de projets d’éditions numériques. Au fil de ses expériences, elle a développé une solide expertise en lien avec la transformation numérique dans divers secteurs d’activités (éducation, culture, administration publique, etc.). Elle maîtrise les subtilités de l’univers numérique, ses enjeux, ses possibilités et sait les vulgariser en deux clics de souris. Elle est notamment rédactrice en chef des médias de l’École branchée. Son rêve : que chacun ait accès à la technologie et puisse l'utiliser comme outil d’apprentissage et d’ouverture sur le monde.

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