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Pour une utilisation plus efficace du jeu en éducation

L’utilisation du jeu à des fins pédagogiques gagne en popularité. Attention, cependant, ce n’est pas parce qu’on joue qu’on apprend. Pour apprendre, il faut que les jeux soient conçus pour répondre à des objectifs d’apprentissage clairs. Voici de quoi nuancer les différents discours au sujet de la ludification des apprentissages.

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Par Alexandre Chenette, enseignant et conseiller pédagogique, Centre de services scolaire de Saint-Hyacinthe

« On n’apprend pas mieux en jouant. On apprend mieux si on joue à des jeux bien conçus pour des objectifs d’apprentissage clairs. »

Margarida Romero et Éric Sanchez dans leur ouvrage Apprendre en jouant (2020)

Entre ludophilie et ludophobie

En effet, comme c’est souvent le cas pour plusieurs sujets touchant l’éducation, les débats entourant l’utilisation du jeu à des fins pédagogiques sont parfois très polarisés. 

D’un côté, nous avons des partisans et partisanes de ce qu’on appelle en Europe la ludopédagogie, qui en font l’apologie, voire la promotion, en insistant beaucoup sur les promesses, mais en omettant parfois d’en détailler les nombreux écueils possibles. 

De l’autre côté, certaines personnes dépeignent plutôt l’apprentissage comme un processus sérieux et exigeant, de facto opposé au plaisir et au jeu. Entre ces deux extrêmes, une troisième voie est possible. Si le jeu n’est pas une panacée, il n’est pas à proscrire systématiquement non plus!

Apprendre avant de jouer

La théorie la plus importante à connaître comme pédagogue pour accompagner adéquatement les élèves dans leurs apprentissages est celle de la charge cognitive (cognitive load theory – CLT), telle que popularisée par John Sweller. Puisque nous possédons tous et toutes une mémoire de travail limitée, l’intégration de règles et de mécaniques de jeu durant la phase d’apprentissage peut rapidement mettre plusieurs élèves en état de surcharge cognitive, particulièrement s’il s’agit d’un jeu qu’ils et elles ne maîtrisent pas déjà. 

En effet, si on utilise un jeu pédagogique comme amorce d’un nouveau module, il y a fort à parier que les élèves n’auront pas tous et toutes acquis l’ensemble des apprentissages espérés à la fin de la session de jeu. Plus probablement, les élèves les plus habiles, possédant déjà un grand bagage de connaissances antérieures, auront réussi à greffer à travers le jeu quelques nouveaux apprentissages, mais les autres élèves, et à plus forte raison les élèves en difficulté, auront peut-être consacré davantage leur attention et leur précieuse mémoire de travail au jeu en soi (à ses règles, ses mécaniques, ses stratégies, aux émotions qu’il a déclenchées, etc.).

Il peut donc s’avérer préférable d’amorcer une nouvelle séquence pédagogique par un enseignement explicite des intentions pédagogiques (« Voici ce que nous allons apprendre… ») et des nouveaux contenus disciplinaires. Ensuite, lorsque l’enseignante estime que les élèves sont prêts ou souhaite le vérifier, le jeu peut devenir un outil pédagogique pour mettre en pratique, consolider et valider les apprentissages.

Développer d’autres compétences

Ce qui est parfois difficile à accepter pour les adeptes et partisans du jeu est que pour plusieurs élèves, les jeux pédagogiques ne sont tout simplement pas la façon la plus efficace de faire de nouveaux apprentissages disciplinaires. La qualité des jeux varie énormément, ils sont souvent chronophages, ils ne plaisent pas à tous et même ceux développés par des spécialistes du domaine ratent parfois leur cible lorsqu’ils sont repris dans un nouveau contexte. Alors, pourquoi sont-ils aussi populaires chez les pédagogues?

Comme l’explique Léa Martinez, Ph. D, « apprendre les règles d’un jeu permet en réalité d’acquérir d’autres apprentissages, comme des compétences sociales ou émotionnelles ». Car, rappelons-le, la mission de l’école québécoise est effectivement d’instruire (soutenir le développement cognitif et la maîtrise des connaissances), mais aussi de socialiser (apprendre à mieux vivre ensemble) et de qualifier (faciliter l’intégration à la vie sociale et professionnelle) les jeunes. 

De nombreuses orthopédagogues qui accompagnent les élèves en difficulté ont recours aux jeux pédagogiques pour développer simultanément plusieurs dimensions : traitement de l’information et de l’attention, l’impulsivité/l’inhibition, les habiletés sociales, l’empathie, le développement de stratégies, la résolution de problèmes, la patience, la gestion des émotions, le compromis, la flexibilité mentale pour s’adapter aux changements de situations induits par le jeu, etc. 

Les jeux de société sont aussi très populaires dans les classes de francisation pour permettre aux élèves de mettre à profit leurs apprentissages préalables en parlant et en entendant le français dans un contexte plus authentique, ou à tout le moins plus convivial. 

Planifier des jeux pédagogiques plus efficaces

L’excellent petit livre Apprendre en jouant (2020) nous informe aussi que « dans une méta-analyse, Seaborn et Fels (2015) ont analysé les résultats de 31 publications faisant état de travaux empiriques. Ils ont rapporté que, dans 61 % des études, la ludicisation avait permis d’obtenir les effets attendus, mais pour 39 % d’entre elles, les résultats étaient mitigés ».

Donc, utilisés de façon intentionnelle et réfléchie, les jeux pédagogiques peuvent s’avérer des outils pédagogiques intéressants pour les pédagogues et les élèves. Mais comment éviter les écueils, particulièrement lorsqu’on débute dans cet univers? 

Des questions à se poser

Si les enjeux soulevés plus haut vous interpellent, mais que vous souhaitez néanmoins faire profiter vos élèves des avantages des jeux pédagogiques, voici des questions à considérer en amont. Elles ont été élaborées par des conseillères et des conseillers pédagogiques du RÉCIT dans le cadre des travaux du chantier « Ludiciser l’apprentissage ». Il s’agit d’un aperçu. L’ensemble des questions est disponible sur cette page :  monurl.ca/pedagojeu.

Planification

– Quels apprentissages seront ciblés par le jeu?
– Est-ce que le jeu s’adresse à l’ensemble de mes élèves?
– Comment vais-je vérifier que les apprentissages ont bien été réalisés?

Réalisation

– Est-ce que la complexité du jeu pourrait entraver l’apprentissage?
– Quand et comment seront expliquées les règles et mécaniques du jeu?
– Comment les élèves conserveront-ils des traces de leurs apprentissages?

Debriefing

– Demander aux élèves « Quel est l’essentiel à retenir du jeu pédagogique que vous venez de vivre? ».
– Est-ce que les apprentissages ciblés ont réellement été faits?
– Est-ce que le temps investi en a valu la peine?

Référence

Romero, M. et Sanchez, É. (2020). Apprendre en jouant. Retz.

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