Docteure en anthropologie, Nadine Forget-Dubois a publié récemment, pour le compte du Conseil supérieur de l’éducation, un intéressant document faisant état de la recherche en lien avec l’utilisation des écrans numériques. Un domaine où valeurs sociales et études scientifiques s’affrontent à l’occasion…
Hugo (nom fictif), 28 ans, a quitté son emploi pour cause de surmenage. Debout quotidiennement vers 13 heures, depuis trois mois, il passe ses journées à jouer devant son écran d’ordinateur avec seulement une légère pause de 30 minutes pour le souper. Après discussions avec ses parents au terme de ses rendez-vous avec une psychologue, il décide d’aller suivre des cours de voile et retourne au gym pour se mettre en forme. Une semaine avant son départ pour les cours, il s’inflige une blessure au ligament croisé du genou. Dans son cas, quelle activité aura été la plus dangereuse?
L’anecdote est extrême et quelque peu loufoque, certes. Mais au Québec, nombre de parents s’interrogent encore sur le temps passé par leurs enfants devant leurs écrans. Le CEFRIO rapporte qu’en 2019, 96 % des jeunes Québécois de 6 à 17 ans avaient accès à plus d’un appareil électronique. Qu’est-ce qui, scientifiquement démontré, est vraiment dommageable pour la santé mentale ou physique quand on regarde l’écran d’un cellulaire, d’une tablette ou d’un ordinateur trop longtemps? Des chercheurs souhaitent éclaircir la question.
Des conclusions surprenantes
« Distraction, désengagement des relations personnelles, manquement aux responsabilités, oisiveté, tout cela causé par l’omniprésence de certains petits objets portatifs… » On parle bien du dernier iPod? Mais non! C’était ce qu’on pensait au XVIIIe siècle en Angleterre de ce qui pouvait arriver principalement aux femmes qui lisaient des romans-feuilletons. Alors, serait-ce de la résistance à de nouveaux médias?
Dans « Les discours sur le temps d’écran : valeurs sociales et études scientifiques », document de recherche commandé par le Conseil supérieur de l’éducation (CSE), Nadine Forget-Dubois a consulté près de 70 ouvrages principalement québécois, canadiens et américains, ainsi que certains rapports de l’Organisation mondiale de la santé. Elle a subdivisé ceux-ci en catégories :
- le temps d’écran et ses répercussions sur le bien-être
- la santé mentale et le bien-être physique
- son influence sur les relations sociales et le langage
Pour chaque élément étudié, Mme Forget-Dubois est allée voir ce que les scientifiques avaient trouvé.
« Plusieurs recensions récentes font état d’études des symptômes de dépression, de l’estime de soi, des idéations suicidaires, de l’anxiété et d’autres problèmes internalisés ainsi que de perception du bien-être (Kardefelt-Winther, 2019; Odgers et Jensen, 2020; Orben, 2020). » Cependant, la chercheure démontre clairement que les études portant sur de grandes cohortes, par exemple 500 000 participants suivis sur plusieurs années, tendent à montrer qu’il y a une faible corrélation entre le temps d’écran et les mesures liées à la dépression et aux idées suicidaires, soit une variation de 1 % seulement. Est-ce donc que d’autres facteurs sont en cause dans ces résultats et qu’ils restent toujours à découvrir?
Elle fait le même exercice avec les autres sphères du temps d’écran pour conclure que les études scientifiques tendent à démontrer que les maux sont moins mauvais qu’on le pense. C’est le cas pour la santé physique. Selon l’universitaire, « les liens entre l’activité physique, les comportements alimentaires et les indicateurs de santé physique d’une part, et le temps d’écran d’autre part, ne sont ni clairs ni directs. »
L’aspect social
Reste que voir son enfant enfermé plusieurs heures dans sa chambre est questionnable.
Matthew Johnson, directeur de l’éducation chez HabiloMédias, parle plutôt de veiller à la qualité de ce qui est regardé et non seulement d’en faire une question de temps. Utiliser un écran peut aussi être créatif. « On peut créer des œuvres d’art ou de la musique ou encore garder contact avec des amis et des membres de la famille. » Une recherche d’HabiloMédias intitulée « Jeunes Canadiens dans un monde branché » démontrait d’ailleurs en 2015 que les enfants utilisent les réseaux sociaux pour entretenir des relations autant avec la famille qu’avec les amis.
Avant de parler de dépendance aux écrans, il faut s’assurer que le terme correspond aux critères associés à la dépendance à certaines substances illicites par exemple, tels un désir puissant à l’utiliser, des difficultés à maîtriser son utilisation, un sevrage physiologique difficile ou l’abandon d’autres sources de plaisir et d’intérêts.
Toujours selon Mme Forget-Dubois, toutes ces études ont en commun de vouloir ce qui est le mieux pour l’épanouissement des enfants et des jeunes. Gérer les écrans de manière constructive, être présent lors des activités en ligne avec eux et demeurer attentif à un usage problématique sont « en phase avec l’univers numérique complexe et fascinant qui est leur quotidien ».
Gérer les écrans de manière constructive, être présent lors des activités en ligne avec eux et demeurer attentif à un usage problématique sont « en phase avec l’univers numérique complexe et fascinant qui est leur quotidien ».