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Rencontre avec Louis Mercier, linguiste primé et contributeur du Dictionnaire Usito

Le nom de Louis Mercier ne vous est peut-être pas familier. Si je précise qu’il est l’un des linguistes qui a contribué au développement du dictionnaire d’usage québécois Usito? Ah oui! M. Mercier a reçu un Prix du Québec en novembre dernier. Il s’agit de la plus haute distinction qu’un Québécois puisse recevoir du gouvernement. J’ai voulu en savoir plus sur son parcours et vous le faire découvrir. Entretien avec un amoureux de la langue française. 

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« Chaque mot est porteur de sens. Notre langue nous définit. »

Le nom de Louis Mercier ne vous est peut-être pas familier. Si je précise qu’il est l’un des linguistes qui a contribué au développement du dictionnaire d’usage québécois Usito? Ah oui! M. Mercier a reçu un Prix du Québec en novembre dernier. Il s’agit de la plus haute distinction qu’un Québécois puisse recevoir du gouvernement. J’ai voulu en savoir plus sur son parcours et vous le faire découvrir. Entretien avec un amoureux de la langue française. 

Louis Mercier a reçu en novembre 2022 le prix Georges-Émile-Lapalme. Il s’agit de l’un des prix du Québec remis annuellement par le gouvernement de la province. Il est accordé à une personne ayant contribué de façon exceptionnelle, tout au cours de sa carrière, à la qualité et au rayonnement de la langue française parlée ou écrite au Québec. Pour la petite histoire, Georges-Émile Lapalme a été le premier titulaire du ministère de la Culture, qu’on appelait à l’époque le ministère des Affaires culturelles, de 1961 à 1964. Il était lui-même un ardent défenseur de la langue française.

En plein cœur de l’hiver québécois, moment parfait pour souligner les particularités de la langue française utilisée ici, je me suis entretenue avec M. Mercier via Zoom alors qu’il se trouvait dans sa maison de campagne. Ce fût donc l’occasion d’aborder les liens étroits entre la langue, la société et la culture, mais aussi l’influence du numérique sur l’évolution de la langue et sa diffusion surtout.

M. Mercier a fait ses études de linguistique (baccalauréat, maîtrise et doctorat) à l’Université Laval et réalisé ses études doctorales à l’université de Sorbonne Nouvelle – Paris 3. À Québec, au début de sa carrière, il s’est rapidement intégré à l’équipe du Trésor de la langue française au Québec. Il a participé à la rédaction du Dictionnaire historique du français québécois et au Dictionnaire du français Plus. De 1994 à 2015, il a été professeur de linguistique à l’Université de Sherbrooke et directeur du Centre de recherche interuniversitaire sur le français en usage au Québec. Il a participé pendant une douzaine d’années à la rédaction d’Usito, le dictionnaire du français standard en usage au Québec, et il continue de contribuer avec l’équipe. Parallèlement, à titre de projet personnel, il développe un dictionnaire historique des noms français des oiseaux du monde, dont près de 600 articles sont déjà accessibles en ligne.

École branchée : D’où vient votre amour pour la langue française?

Louis Mercier : Souvent, ce sont nos premières passions qui nous guident. Je me souviens qu’enfant, j’ai toujours été fasciné par le nom des plantes et le nom des oiseaux. Je voulais tous les connaître. J’étais aussi intrigué par les différents accents et les expressions que j’entendais autour de moi. J’avais une curiosité pour la langue. En arrivant à l’Université Laval, je me suis dit que j’allais enfin trouver des réponses à toutes mes questions au sujet du français.

É.B. : Je dirais même que vous avez un amour plus particulier du français en usage au Québec. Est-ce exact?

L.M. : Il est certain que nous avons tous un attachement particulier envers notre langue maternelle. Pour moi, c’est le français québécois. C’est la langue qui est à la base de notre identité et de notre culture. Notre rapport au monde s’établit à travers la langue. Chaque région a ses particularités qui la définissent. C’est moins vrai aujourd’hui, parce les gens bougent beaucoup sur le territoire, la transmission du patrimoine linguistique entre les générations est plus difficile et la langue tend à s’uniformiser. Néanmoins, il y a encore des particularités régionales qui sont une richesse. 

Suggestion : Demandez à vos élèves de parler avec des aînés autour d’eux pour découvrir des expressions linguistiques qu’ils ne connaissent pas ou qui sont de moins en moins utilisées. Constituez un dictionnaire de classe des expressions québécoises d’aujourd’hui et d’hier.

É.B. : Je ne veux pas entrer dans des discussions politiques, mais croyez-vous que nous en faisons assez pour la promotion du français au Québec? Sinon, que pourrions-nous faire de plus?

L.M. : Dans certaines régions du Québec, il est difficile de sentir que le français puisse être menacé. Pourtant, il suffit d’aller dans d’autres régions pour sentir la fragilité de la langue. Voilà pourquoi il faut être vigilant pour ne pas céder à la pression de l’anglais. Dans ce contexte, c’est clair qu’il ne faut pas baisser la garde dans la défense et la promotion du français.

Selon moi, l’accueil et l’encadrement des immigrants est un point important pour la survie du français au Québec. Pour cela, il faut mettre en place des conditions favorables pour qu’ils puissent suivre des cours de francisation. Ces gens doivent gagner leur vie, ce n’est pas si facile de concilier toutes leurs obligations avec l’apprentissage d’une nouvelle langue. L’accès à la formation doit être facilité. 

É.B. : Comment voyez-vous l’apport du numérique dans la diffusion de la langue française? 

L.M. : L’apport du numérique, c’est une plus large diffusion, et ce, pour toutes les productions en langue française, auprès de publics beaucoup plus vastes. La diffusion peut aussi être plus ciblée et nichée. Prenons l’exemple du dictionnaire Usito. Il compte un peu plus de 2 millions d’usagers, dont 500 000 qui ne sont pas au Québec ni au Canada. C’est quand même important pour la diffusion du français tel qu’on le vit au Québec. Le numérique est extrêmement précieux en ce sens.

Voici un autre exemple concret : grâce au numérique, je peux aller chercher toutes les références dont j’ai besoin en ligne. Je peux travailler à partir de ma maison sans avoir à me déplacer. Au début de ma carrière, cela aurait été tout à fait impossible.

É.B. : Comment le numérique influence-t-il l’évolution de la langue?

L.M. : Le numérique a permis l’explosion des réseaux sociaux avec un type de communication plus ciblé qui permet une efficacité d’échange très rapide, dans l’instantanéité. Ce type de communication favorise la création d’un argot (NDLR. vocabulaire et habitudes de langage propres à un milieu fermé, dont certains mots passent dans la langue commune.) et c’est tout à fait normal. Les argots se renouvellent de génération en génération, mais ils n’ébranlent pas la langue française. Ils peuvent laisser des expressions qui vont s’inscrire dans le temps, mais la langue aurait besoin de beaucoup plus pour se transformer en profondeur. L’argot d’aujourd’hui est plus de l’oral que l’on met à l’écrit et il correspond tout à fait à notre époque. 

É.B. : Parlez-nous du dictionnaire Usito? Comment est né ce projet? 

L.M. : Le projet a été mis en place dans les années 1990. J’ai joint le groupe au début des années 2000. Le projet au départ était de faire un dictionnaire de la langue française entièrement numérique et confectionné dans un environnement entièrement numérique. Une banque de donnée textuelle de 50 millions de mots a été constituée et utilisée pour identifier les mots à traiter en priorité dans le dictionnaire. L’objectif était d’offrir aux Québécois un dictionnaire général de la langue française qui tienne compte de l’usage de langue française au Québec, du contexte nord-américain et de notre société. 

Les dictionnaires Larousse et Le Robert sont d’excellents dictionnaires, mais ils n’ont pas été créés pour le public québécois. Ils répondent d’abord au besoin de la société française. Dans toutes les catégories de mots, il y a une perspective qui exclut les particularités de l’expérience québécoise. Des noms d’oiseaux nord-américains n’y sont pas, par exemple. Je me rappelle que, quand je suis arrivé à l’université dans les années 1970, on disait encore que des mots comme « poudrerie » et « banc de neige » n’étaient pas de bons mots… Ils témoignent pourtant d’une réalité bien québécoise et ils sont en usage ici. Le français du Québec, ce n’est pas le français de France additionné de québécismes, c’est un ensemble de mots à notre image. C’est donc nécessaire d’avoir notre propre dictionnaire qui s’ancre dans notre réalité à nous.

« Le français, ce n’est pas la langue des Français. C’est la langue parlée par tous les Francophones où qu’ils vivent dans le monde. Chacun a une variété du français ancrée dans son expérience. Nous avons tous une base commune qui est enrichie de mots et d’expression qui correspondent à notre histoire. »

É.B. : Comment le projet du Dictionnaire Usito se déploie-t-il aujourd’hui? 

L.M. : Comme tous les produits numériques, c’est un produit qui est en constante évolution. Une petite équipe de rédaction fait une veille des médias et effectue des mises à jour lorsque nécessaire; des mots s’ajoutent, des définitions changent. On peut penser aux mots « woke » et « complotiste ». Un travail d’intégration de citation d’auteurs est aussi en cours. Usito a été financé par le gouvernement du Québec au tout début (NDLR : le projet s’appelait Franqus, au départ). Depuis quelques années, il est porté par l’Université de Sherbrooke, qui en assure la continuité. Ce qu’on peut souhaiter, c’est qu’il y aura toujours des gens qui voudront porter le projet.

É.B. : Qu’est-ce que cela signifie pour vous que le ministère de l’Éducation du Québec autorise maintenant ce dictionnaire lors des épreuves locales et ministérielles de français?

L.M. : C’était vraiment l’objectif du projet de donner au Québec une référence linguistique. On ne peut que se réjouir que le gouvernement du Québec reconnaisse la pertinence de l’ouvrage pour servir de référence. Et dans les faits, il n’y a aucun autre ouvrage qui serait aussi pertinent pour les élèves.

On peut également remercier les professeurs qui se sont investis dans la création du dictionnaire et l’Université de Sherbrooke qui offre ce dictionnaire numérique gratuitement à l’ensemble de la population.

É.B. : Que représente pour vous le Prix Georges-Émile-Lapalme que vous avez reçu l’automne dernier?

L.M. : J’en suis très fier. C’est une reconnaissance de mon travail depuis la fin des années 1970. C’est aussi une reconnaissance de tous les linguistes québécois qui travaillent à la description et à la valorisation du français au Québec. Je reçois donc le prix au nom de tous les gens qui travaillent dans le même sens que moi.

É.B. : Vous ne semblez pas prêt de la retraite, quels sont vos prochains projets?

L.M. : Je suis bien à la retraite, mais j’ai des projets pour me garder actif, que j’avance à mon rythme, comme mon dictionnaire historique des noms français des oiseaux du monde. Grâce au numérique, je peux diffuser les articles au fur et à mesure qu’ils sont écrits.

En rafale : 

  • Votre mot préféré et un mot que vous aimez moins.
    • J’ai un faible pour les mots québécois qui ont résisté aux tentatives de les remplacer par des mots français de France, comme le mot « chevreuil » qu’on voulait remplacer par « cerf de Virginie » ou les mots « poudrerie » et « banc de neige » qu’on n’acceptait pas avant. Ils sont tellement ancrés culturellement qu’ils traversent le temps.
    • De même, j’aime mieux les mots qui ont une vibration culturelle que les mots techniques. Par exemple, j’aime mieux le nom d’oiseau « mésange » que « plectrophane ».

« LA LANGUE N’EST PAS NEUTRE. CHAQUE MOT EST PORTEUR DE SENS. LE MOT QUE J’AIME MOINS EST LE MOT “GUERRE”. CE N’EST PAS LE MOT EN LUI-MÊME QUI EST LAID, MAIS CE À QUOI IL FAIT RÉFÉRENCE. »

  • Un mot qui est une adaptation d’un mot étranger que vous auriez aimé inventer.
    • Je pense tout de suite au mot « courriel ». Normalement, je n’aime pas trop les mots-valise, mais celui-ci est tellement réussi qu’on l’oublie.
    • J’aime la traduction de « black Friday » par « vendredi fou ». Je trouve cela brillant comme adaptation, car on ne s’est pas contenté de traduire bêtement l’expression.
    • Je pense aussi au mot « balado » qui est une création pure pour le mot « podcast ». 
  • Un mot que nous sous-estimons.
    • J’ai un faible pour les mots qui se prononcent de la même façon à l’oral, qu’ils soient au féminin ou au masculin. Sur le plan linguistique, c’est ce qu’on appelle la neutralisation des genres plutôt que la mise en opposition. Prenons le mot « auteur/auteure », par exemple. Or, on entend de plus en plus le mot « autrice » qui remplace « auteure ». Dans le contexte social actuel, c’est un mot qui a une valeur d’affirmation et je comprends l’affirmation de genre, tout à fait approprié pour l’époque.

« Sur le plan linguistique, chaque fois qu’on accentue l’opposition entre les genres, on remet des briques sur l’opposition. Pour moi, la solution devrait être d’aller vers la neutralisation et l’écriture épicène chaque fois que c’est possible. »

Regarder cette vidéo pour en connaître davantage sur Louis Mercier :

Crédit photo : Photo officielle de M. Mercier : Éric Labonté.

Photo de la cérémonie : Pierre Soulard.

À propos de l'auteur

Martine Rioux
Martine Rioux
Martine Rioux est rédactrice et gestionnaire de projets d’éditions numériques. Au fil de ses expériences, elle a développé une solide expertise en lien avec la transformation numérique dans divers secteurs d’activités (éducation, culture, administration publique, etc.). Elle maîtrise les subtilités de l’univers numérique, ses enjeux, ses possibilités et sait les vulgariser en deux clics de souris. Elle est notamment rédactrice en chef des médias de l’École branchée. Son rêve : que chacun ait accès à la technologie et puisse l'utiliser comme outil d’apprentissage et d’ouverture sur le monde.

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