Par Marc-André Girard et Margarida Romero
La nouveauté technologique entraîne souvent des situations et des problèmes inconnus de premier abord. En effet, la complexité des outils technologiques entraîne souvent des problèmes organisationnels ou pédagogiques. Pouvons-nous imaginer quelqu’un qui n’ait jamais connu de problème informatique? Dans notre entourage, autant les enseignants que leurs élèves rencontrent des problèmes ponctuels avec les outils technologiques. D’ailleurs, on rigole souvent qu’avec l’utilisation d’une approche pédago-numérique, il est nécessaire d’avoir un plan A et un plan B de contingence (voire des plans C et D…!).
Face à l’utilisation de ces nouveaux outils et le lot d’imprévus qu’ils entraînent, quelles sont les attitudes gagnantes à développer chez les enseignants lorsqu’il est question d’intégrer les TIC en classe? Nous faisons le pari que la maîtrise de l’outil technologique n’est pas primordiale. Ainsi, l’appétence pour le numérique et la pertinence pédagogique de son intégration ne sont pas liées uniquement à des connaissances technologiques, elles sont surtout liées à des attitudes et à des stratégies pour gérer la nouveauté et l’ambigüité en classe :
La tolérance à l’ambiguïté
Dans un premier temps, il importe de développer une plus grande tolérance à l’ambigüité. Cette attitude reflète à la fois la confiance qu’un enseignant a en ses propres capacités et moyens et celle qu’il éprouve envers le contexte d’apprentissage, envers l’organisation (école, université, etc.) et envers ses apprenants. En effet, un enseignant confiant et ayant une bonne estime de soi en contexte professionnel est en meilleure position pour persévérer dans l’implantation d’une tâche pédago-numérique avec ses élèves. Il sait que les choses, malgré qu’elles soient certainement bien planifiées, peuvent ne pas se dérouler comme prévues. Il sait aussi qu’il pourra puiser dans ses ressources personnelles et dans son expérience pour se sortir d’une situation fâcheuse.
Également, il fait confiance au contexte pour obtenir la collaboration de ses élèves lorsque l’activité ne se déroule pas selon les attentes et pour obtenir l’aide escomptée dans l’action. Cette aide peut provenir d’un plan B ou d’un plan C, prévu à l’avance ou alors d’un collègue : un technicien en informatique, un collègue techno-compétent, la direction, etc. Dans ce dernier cas, on parle de résolution collaborative de problèmes, une compétence du 21e siècle à développer chez les élèves, mais également chez les professionnels de l’éducation provenant de tous les horizons et même chez les autres acteurs qui gravitent autour de la sphère scolaire comme les parents et les professionnels.
La tolérance à l’ambigüité s’exprime aussi quant à la préférence d’un professionnel de l’éducation ou d’un élève lorsqu’il est question de réaliser une tâche. Préfèrent-ils recevoir des consignes claires et explicites plutôt profiter d’une certaine marge créatrice. La deuxième avenue est souvent exploitée avec les nouveaux outils didactiques comme la programmation et la robotique vu les milliers de possibilités qui sont envisageables. En effet, il n’existe pas vraiment de recettes permettant l’accomplissement de ces tâches et les possibilités créatrices sont élevées.
Pour intégrer harmonieusement les TIC en classe, le besoin d’être rassuré grâce à des recettes pédagogiques ou technologiques doit laisser tranquillement place aux perspectives créatives de la profession enseignante ou du rôle de l’apprenant. Il est donc implicitement question de développement de l’autonomie chez ce dernier dans le rôle qu’il a à jouer envers ses propres apprentissages. Au niveau de l’enseignant, il s’agit également d’assumer son autonomie professionnelle grâce à une série de décisions à prendre.
Redéfinir le rapport à l’erreur
Ragaillardis de cette confiance qu’ils témoignent l’un à l’autre et en vertu de celles qu’ils portent envers leurs propres compétences, l’enseignant et l’apprenant acceptent que la « techno-perfection » n’existe pas. Là où le flou créatif existe, il y a nécessairement l’existence du processus de la pensée design qui signifie, entre autres, que des erreurs de parcours surviendront inévitablement. Ces erreurs sont des occasions de réfléchir à sa propre démarche d’enseignement ou d’apprentissage, certes, mais aussi, représentent un signe que les choses ne fonctionnent tout simplement pas.
Ce qui importe le plus, ce n’est pas réellement l’erreur en tant que telle, mais surtout la rétroaction obtenue. On sait qu’il y a erreur parce qu’on a reçu une rétroaction d’un pair (enseignant ou apprenant), d’un objet (le robot ne fonctionne pas et je dois trouver mon erreur de programmation) ou d’une démarche menée par soi-même grâce à des outils (procéduriers, corrigés, etc.).
Bref, l’erreur, c’est souvent un passage obligé dans l’apprentissage, mais surtout, une occasion par excellence pour apprendre!
La curiosité et le goût des découvertes
La curiosité est l’un des moteurs de l’apprentissage dès la petite enfance. Les bébés sont par nature curieux, et ce, à un point tel qu’il faut bien veiller à ne pas laisser trainer des trousses robotiques avec de trop petites pièces! Cette appétence et curiosité pour la nouveauté est parfois perdue en grandissant. Les enfants apprennent à se contrôler et à ne pas toucher à un point tel qu’ils se le font dire tant à l’école qu’à la maison. Ils peuvent même parfois être punis pour leur excès de curiosité, ce qui les incite à croire que leur goût d’apprendre doit être modéré pour éviter, par exemple, de briser des outils rares, précieux et coûteux.
Les enfants apprennent à prendre leurs distances des outils technologiques, ce qui a pour effet, une fois adultes, de faire apparaitre le sentiment d’incompétence face à la technologie. La curiosité, face à des conséquences négatives, peut être inhibée. Une fois que le rapport à la nouveauté technologique est brisé, il est plus difficile de faire apprendre par une démarche d’exploration intuitive, les mécanismes de curiosité naturelle ayant été désactivés. Il est important de rallumer cette curiosité à l’aide d’instructions claires, de recettes pédagogiques éprouvées et de formations pratiques. Ainsi, pour apprendre et pour appréhender la nouveauté technologique, il faut oser se lancer, tout en gardant une forte tolérance à l’ambigüité et une résilience permettant de faire face aux problèmes évoqués auparavant.
Et si on changeait de posture?
Lorsqu’on entend un collègue enseignant se dire « je suis nul avec les technologies », il est important de pouvoir l’aider à identifier l’étiquette qu’il s’est fixé par le biais de ses expériences antérieures. L’approche dynamique et la mentalité de croissance rejettent les étiquettes fixes (« je suis nul », « je suis doué », « il est meilleur que moi », etc.); elles considèrent que l’être humain est avant tout un agent de changement capable de s’investir de manière variable et d’obtenir des résultats en fonction de son engagement.
Face aux technologies, il faudrait arrêter de dire « je suis nul » et dépasser le besoin de maîtriser la situation pédagogique dans ses moins détails pour être en contrôle total. Il faudrait plutôt faire davantage de place à la tolérance à l’ambigüité. Accepter de ne pas être en contrôle et lâcher prise tant d’un point de vue technologique que pédagogique. Fini la « surplanification » et « l’hypercontrôle » à la minute près. Il s’agit là d’habitudes chronophages témoignant de la difficulté que trop d’enseignants éprouvent à se faire confiance ou à faire confiance à leurs élèves et même à leurs collègues.
Cela dit, bien évidemment, il faut pouvoir se faire confiance et diversifier tant les approches pédagogiques que les nouveautés technologiques en allant au-delà de la maîtrise centrée sur l’enseignant. Viser la création d’une communauté d’apprentissage dans la classe et dans l’école qui laisse place à l’apprentissage par l’erreur, de manière collaborative, et toujours en cultivant la curiosité comme moteur d’apprentissage tout au long de la vie des élèves et des enseignants!