J’aimerais vous partager aujourd’hui un mémoire bien particulier. Je vous laisse d’abord le lire, puis à la toute fin, je vous révèle qui l’a écrit, à qui il a été soumis, et en quelle année…
Ensuite, j’aimerais bien avoir vos impressions!
Bonne lecture!
Branchons les décrocheurs
Une école « dropout » :
L’école d’aujourd’hui est parfaitement adaptée à la fin du dix-neuvième siècle mais n’est plus du tout dans la course pour le troisième millénaire.
Toutes ses structures administratives, organisationnelles et pédagogiques sont conçues sur un modèle collectif ou de masse de type industriel, comme cela se faisait dans les usines à la fin du siècle dernier.
De leur côté, les éducateurs doivent, pour être pédagogiquement efficaces, enseigner selon un modèle préceptoral ou préindustriel, fondé sur la relation de personne à personne, des programmes d’études logiquement structurés, divisés en milliers d’objectifs d’ordre notionnel.
Pendant ce temps, les élèves grappillent l’information un peu partout, à l’école, dans la vie, dans les médias, sur un mode postindustriel, celui de l’ère de l’information. Ils apprennent de façon non linéaire, impressionniste, en zappant sur tout ce qui les intéresse, une foule de flashes appartenant à des rationnels multiples. Ils développent des processus mentaux peut-être valables mais difficilement compatibles avec l’apprentissage scolaire.
Au-delà de tous les bobos partout dénoncés, le mal le plus grave dont souffre le système scolaire québécois, et il n’est pas le seul, est donc une inadéquation presque totale à l’évolution socio-économique et au mode d’apprentissage des jeunes de notre temps.
Ce ne sont pas nos écoliers qui sont “dropouts”, ce ne sont pas nos administrateurs dépassés et nos enseignants surmenés qui décrochent, c’est l’école tout entière qui est “dropout” par rapport aux réalités de notre monde et de notre jeunesse.
Une réforme structurelle
Si réforme il doit y avoir en ce domaine, que ce ne soient pas encore des emplâtres sur des jambes de bois, mais une vraie réorganisation structurelle.
Pas seulement des transferts de pouvoir à partir des commissions scolaires ou du ministère de l’Éducation comme d’aucuns le voudraient : ce ne serait que le réarrangement des fauteuils sur le pont du Titanic.
Pas non plus l’explosion du système scolaire collectivisé en faveur d’une scolarisation individuelle à la carte, car le tissu social serait déchiré, l’inégalité serait instaurée en principe et les coûts seraient astronomiques.
Nous proposons plutôt une restructuration horizontale impliquant tous les partenaires de l’éducation. Tout en gardant des classes traditionnelles et une administration collective, il est possible de gérer l’individualisation et la personnalisation de l’enseignement et de l’apprentissage pour tenir compte de la diversité des membres des groupes-classes. C’est une réalité avec laquelle l’école doit composer à une époque où l’on rassemble, sur les mêmes bancs, des élèves d’origine linguistique, ethnique, culturelle ou sociale différente, souffrant même de divers handicaps ou dotés de talents diversifiés.
Il s’agit de rendre le système scolaire adaptable :
• à divers projets éducatifs proposés par les parents;
• à divers modes d’administration et de gestion;
• à divers modes d’enseignement : méthodes, approches, utilisation de divers instruments;
• à divers modes d’évaluation des apprentissages;
• à divers modes d’apprentissage chez les élèves : styles d’apprentissage, rythmes, intérêts, talents, moyens d’information, stimulations sensorimotrices; apprentissage individuel, en petits groupes, en grands groupes…
Et ce système devrait pouvoir s’arrimer à la réalité évolutive du monde du travail, des affaires, de la culture, de la politique, des loisirs — autrement dit avec toutes les facettes de la société.
Une école branchée
Nous affirmons que cette adaptation est possible dès maintenant, grâce aux interventions adaptées de bons maîtres et à l’utilisation judicieuses des nouvelles technologies de l’information et des communications, c’est-à-dire, en clair, à l’ordinateur muni des extensions nécessaires pour en faire des postes de travail multimédias, connectés à des réseaux internes et externes et dotés de logiciels de gestion et des contenus adéquats.
Toutefois, il ne peut y avoir ni apprentissage ni éducation avec la technologie seule. Il faut des interventions pédagogiques mieux adaptées aux apprenants, leur présenter une vision sociale et des projets de vie proposés en modèles.
Il faut aussi un formation au traitement de l’information. Le fait de zapper ou de surfer sur des autoroutes de l’information n’est pas nécessairement formateur. Il faut rendre les élèves capables d’élaborer un raisonnement, de concevoir un texte, de monter une argumentation serrée, d’analyser un texte, d’apprécier de la bonne littérature, de bien manipuler la langue, de résoudre des problèmes et de raisonner avec rigueur.
Pour cela, il faudrait :
• Que chaque élève dans une classe puisse avoir accès, à court terme, pendant le tiers du temps de classe (les deux autres tiers étant consacrés à l’apprentissage en groupes ou petits groupes) à un système informatisé, avec accès aux ressources bibliographiques ou multimédias lui permettant un apprentissage individualisé et personnalisé. À long terme, les outils doivent être continuellement disponibles lorsqu’ils deviennent nécessaires et utiles.
• Que chaque enseignant bénéficie d’un outil complet connecté et portatif de bureautique professorale supportant des logiciels de gestion des programmes d’enseignement, des instruments et moyens éducatifs, de la mise en classe, de l’évaluation, intégrant diverses méthodes ou approches.
• Que chaque administrateur soit équipé d’un système branché avec des logiciels de gestion diversifiés de projets éducatifs, de gestion administrative, de gestion de l’évaluation.
Des systèmes branchés
Il faudrait donc prévoir :
• Un branchement au Réseau Télématique Scolaire Québécois (RTSQ) et à Internet pour chaque école;
• Un système d’administration pour chaque école (en grande partie déjà existant);
• Un système d’accès et de guidage dans chaque bibliothèque scolaire avec connexion aux autres centres de ressources municipaux et régionaux;
• un téléphone et un modem (ou un fax/modem) dans chaque classe;
• Un système portatif de gestion de bureautique et d’enseignement individualisé pour chaque enseignant;
• Huit systèmes[1] d’apprentissage individualisé mis en réseau et munis de multimédias pour chaque classe;
• Des logiciels de gestion et les contenus éducatifs informatisés adéquats (il faut prévoir à moyen terme un coût équivalent à celui des systèmes matériels);
• Les budgets récurrents pour le renouvellement tous les 3 ou 4 ans des matériels et des logiciels.
Il faut se brancher
Cette restructuration ne pourrait pas se faire sans :
• Que tous les programmes d’enseignement soient revus, non pour y rajouter, mais pour y intégrer les nouvelles technologies de manière à prendre en compte leurs conséquences au niveau des disciplines d’enseignement;
• Que la cage du système pédagogique soit cassée pour permettre des latitudes locales;
• Que les normes de l’organisation scolaire soient allégées;
• Que l’évaluation soit plus souple et tienne compte entre autres de l’acquisition des processus mentaux et pas seulement de notions; qu’elle soit diversifiée et personnalisée;
• Que la formation des maîtres intègre dans toute la didactique les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC); contienne une formation obligatoire à l’utilisation des outils standards et aux inforoutes, ainsi qu’à l’emploi et à la création de scénarios d’apprentissage et l’entraînement à la gestion de l’enseignement personnalisé et en groupes diversifiés.
Cela demandera que les universités soient équipées en conséquence. Sinon, il faudra recourir à des alliances ou à d’autres collaborations : entreprises de matériel et logiciels; des centres de recherche et de développement; des commissions scolaires et des collèges plus expérimentés;…
• Qu’une campagne d’information fasse comprendre que les NTIC ne sont pas là pour voler les jobs dans le système éducatif ni pour réduire le crâne des apprenants à la taille d’un petit pois, mais que leur rôle est d’aider les administrateurs à bien administrer, les enseignants à bien enseigner et les jeunes à bien apprendre dans une école diversifiée qui doit rester branchée sur le vrai monde des affaires, de la science et de la culture.
Un pays branché
Ce que nous proposons ne veut pas révolutionner l’organisation scolaire. Il s’agit de rendre la pédagogie efficace pour qu’elle atteigne chaque enfant et l’aide à se structurer en fonction de ses talents et de ses appétits. Il s’agit de mettre au service de l’école et de sa mission les moyens modernes qui existent et qui sont là pour ça : des moyens de gestion de la diversité des projets éducatifs.
À l’ère de l’information nous voulons faire de tous les partenaires de l’éducation des branchés et non pas des analphabètes des autoroutes de l’information.
Ce serait un investissement bien plus rentable, à moyen terme que les grands projets de béton et d’asphalte. On pourrait éviter les coûts futurs bien plus élevés d’inadaptation professionnelle, sociale et culturelle. Cet investissement pourrait être créateur d’emplois si l’on sait acheter québécois du moins en ce qui concerne les multiples logiciels et didacticiels nécessaires. Les Québécois ont déjà fait leurs preuves dans ces domaines.
Nous proposons en définitive de bâtir un nouveau pays grâce à une école renouvelée, et de faire un pas décisif qui mette le Québec au rang des nations de l’ère de l’information et des communications, autrement dit de faire du Québec un pays branché.
Branchons les décrocheurs!
[1]Cette norme, à court terme, correspondrait à l’équivalent d’un ordinateur pour trois élèves. Il appartiendrait à chaque établissement scolaire de déterminer les modalités de distribution des appareils dans chaque classe. Par exemple, une distribution uniforme pourrait être huit. Cependant, l’expérience démontre que ce ne serait pas la meilleure exploitation des ressources par des élèves de différents niveaux. À long terme, il serait souhaitable de viser un appareil par élève.
Ce mémoire avait été soumis au Secrétariat de la Conférence socio-économique sur l’utilisation des technologies de l’information et des communications en éducation, par un groupe formé de :
- Michel Arcouet, conseiller pédagogique, Commission scolaire des Cantons
- Michel Aubé, professeur, Université de Sherbrooke
- Claude Coulombe, vice-président, Machina Sapiens
- Renée Desautels, professeure, CEGEP Rosemont
- Marcel Labelle, président de REPARTIR, coordonnateur du Secteur des moyens d’enseignement, CECM
- Jacques Latreille, professeur, CEGEP Edouard-Montpetit
- Francis Meynard, rédacteur de REPARTIR, retraité
- Bertrand Morin, professionnel, MEQ
- Gilbert Paquette, professeur, Unité d’enseignement et de recherche Science et technologie, Directeur du laboratoire en informatique cognitive et environnements de formation (LICEF)
- Normand Pinet, retraité
- Isabelle Quentin, PUL
C’était le 26 juin 1995, et ces gens se désignaient comme étant le Groupe REPARTIR…
Alors, vous en dites quoi? Personnellement, ce texte me touche car il exprime la passion et le travail acharné de ces gens, qui se reflètent aujourd’hui dans les actions de nombreuses personnes encore!
Merci à M. Marcel Labelle de l’avoir « déterré » et d’avoir accepté que nous le fassions circuler à nouveau!