Par Hugo G. Lapierre, Université de Montréal et Normand Roy, Université de Montréal
Le 12 novembre dernier, le gouvernement du Québec a dévoilé son guide intitulé « L’utilisation pédagogique, éthique et légale de l’intelligence artificielle générative », spécifiquement destiné au personnel enseignant.
Cette initiative s’inscrit dans une tendance mondiale croissante visant à intégrer l’intelligence artificielle (IA) dans les programmes éducatifs. C’est une réponse directe à la nécessité de préparer les élèves à évoluer dans un monde où l’IA joue un rôle de plus en plus prépondérant. En anticipant cette transformation, le guide cherche à fournir aux personnes enseignantes les outils nécessaires pour naviguer dans cette nouvelle ère technologique, tout en abordant les enjeux éthiques et légaux qui y sont liés.
Dans ce contexte, la littératie en IA – c’est-à-dire la capacité à comprendre les principes, le fonctionnement et les implications de l’IA – devient une compétence incontournable qui englobe la compréhension des enjeux techniques, éthiques et sociétaux associés à ces technologies, ainsi que de leur impact potentiel sur les individus et les sociétés.
Elle inclut donc la capacité à reconnaître comment les systèmes d’IA fonctionnent, à identifier leurs forces et leurs limites, et à réfléchir aux conséquences de leur utilisation sur les plans personnel, professionnel et sociétal.
Développer la littératie en IA dès le primaire
Plusieurs chercheurs soutiennent qu’il serait particulièrement important, voire urgent, de consentir des ressources afin de bien préparer les jeunes générations à l’IA et, pour ce faire, d’aborder l’IA à l’école, dès le primaire. Les enfants grandissent en effet entourés de logiciels dotés de capacités d’IA qui sont largement accessibles via les téléphones intelligents et les tablettes tactiles avec lesquels ils se trouvent souvent en contact.
Sans une compréhension suffisante de l’IA, les enfants sont à risque de devenir plus vulnérables à la désinformation, à l’hypertrucage (« deepfake ») et au piratage informatique, affirment d’autres chercheurs.
Il devient donc impératif d’adopter une double approche : non seulement comprendre le fonctionnement de l’IA, mais aussi acquérir les compétences nécessaires pour évoluer dans un monde où cette technologie transforme profondément les pratiques et les interactions quotidiennes.
Dans ce contexte, l’école peut jouer un rôle clé pour réduire les inégalités numériques et donner aux élèves un accès équitable aux outils basés sur l’intelligence artificielle. Les disparités socioéconomiques influencent considérablement l’accès aux technologies ainsi qu’à leur utilisation éducative.
Les écoles situées dans des milieux favorisés disposent généralement de meilleures ressources technologiques, ce qui permet aux élèves de ces milieux de développer des compétences plus avancées et une plus grande confiance dans leur utilisation des nouveaux outils en IA. À l’inverse, les élèves issus de milieux défavorisés risquent d’avoir un accès plus limité à ces technologies et de ne pas acquérir les compétences nécessaires pour utiliser efficacement l’IA, renforçant ainsi un « deuxième niveau » de fracture numérique.
Points de repère pour le personnel enseignant
Le guide publié par le gouvernement du Québec vise à encadrer l’utilisation de l’IA par les milieux éducatifs en fournissant des points de repère au personnel enseignant pour déterminer si l’IA devrait être utilisée en classe. Ce guide propose trois dimensions à prendre en compte :
- Pertinence pédagogique : Cette dimension invite les personnes enseignantes à réfléchir sur la valeur ajoutée de l’utilisation de l’IA dans leurs pratiques éducatives. Il identifie des questions, telles que : « En quoi l’utilisation de l’IA soutient-elle les objectifs d’apprentissage de mes élèves? » ou « Puis-je utiliser l’IA pour différencier mes approches pédagogiques selon les besoins des élèves? »
- Principes éthiques : Les personnes enseignantes sont également encouragées à réfléchir sur des aspects tels que la sobriété numérique et l’équité. Plusieurs questions de réflexion sont proposées relativement à ces aspects : « L’utilisation de l’IA que j’envisage favorise-t-elle l’inclusion et l’équité dans ma classe? » ou encore : « Comment sensibiliser les élèves aux impacts environnementaux de l’IA? »
- Obligations légales : Une troisième dimension porte sur les règles juridiques à respecter, comme la protection des renseignements personnels ou les droits d’auteur. Par exemple : « Les données des élèves seront-elles protégées si j’utilise un outil basé sur l’IA? » ou « Est-ce que l’outil d’IA respecte les exigences légales de mon organisme scolaire? »
L’utilisation de ChatGPT en classe
Une question qui revient fréquemment dans les milieux scolaires est la possibilité pour les élèves de recourir à ChatGPT lors d’activités pédagogiques. Le guide propose une démarche structurée pour répondre à ce type de questionnement.
À la lumière des trois dimensions présentées, il semble que plusieurs aspects devraient être pris en considération. Sur le plan de la pertinence pédagogique, un enseignant ou une enseignante pourrait d’abord chercher à mieux cibler à quelle(s) fin(s) éducative(s) répond l’utilisation de ChatGPT afin de s’assurer que l’outil sert réellement les objectifs d’apprentissage.
Sur le plan éthique, il apparaît nécessaire de considérer les implications morales et sociales de l’utilisation d’un tel outil : « Est-ce que les élèves comprennent que ChatGPT peut produire des réponses biaisées ou incorrectes ? Comment est-il possible de les sensibiliser à ces enjeux? »
Finalement, sur le plan légal, une question importante à considérer concerne la protection des données personnelles des élèves : « Est-ce que les informations saisies dans ChatGPT respectent les normes de confidentialité ? Comment la personne enseignante peut-elle s’assurer de leur sécurité? »
Cet exemple de réflexion concernant l’utilisation de ChatGPT met en lumière la portée du guide qui offre un cadre clair et pertinent pour encadrer l’usage de l’IA en contexte éducatif. Il ouvre également la voie à des approfondissements futurs, notamment en ce qui concerne les contenus essentiels en IA que les élèves devraient être en mesure de bien comprendre et avec lesquels il faudrait les familiariser.
Vers une intégration cohérente et efficace
Pour approfondir l’éducation à l’IA, certaines organisations internationales, telles que l’UNESCO, proposent un cadre des compétences visant à guider le développement des connaissances et habiletés des élèves en lien avec l’IA.
L’un des axes clés de ce cadre met l’accent sur le développement de connaissances conceptuelles à propos du fonctionnement de l’IA. Concrètement, cela consiste à initier les élèves à la manière dont les modèles d’apprentissage automatique, qui sous-tendent l’IA, sont créés à partir de données et d’algorithmes. Cette initiation peut se décliner en plusieurs aspects :
Les types d’algorithmes d’apprentissage automatique
Les élèves explorent comment les modèles d’IA identifient des motifs dans les données pour effectuer des prédictions ou extraire des tendances. Comprendre ces mécanismes leur permet de mieux évaluer les capacités et limites des technologies.
Le traitement des données par les modèles d’IA
Une activité pratique, comme classer des images avec des étiquettes, montre l’importance de la qualité des données pour un apprentissage efficace. Cela rend tangibles des concepts souvent abstraits et illustre le rôle crucial des données.
L’identification des mythes relatifs à l’IA
Il est tout aussi essentiel de déconstruire des mythes, comme l’idée que l’IA est entièrement autonome. Les élèves découvrent que l’intervention humaine est indispensable, notamment pour gérer les biais dans les données et concevoir les algorithmes.
Aborder ces contenus complexes demeure cependant un défi considérable, tant pour les personnes enseignantes du primaire que du secondaire. Le manque de ressources « clé en main » constitue un obstacle pour les personnes enseignantes, qui sont souvent peu formées à ces sujets et conséquemment peu confiantes pour les aborder en classe. Cette situation met donc en évidence l’importance de développer des ressources pédagogiques adaptées et accessibles, afin de favoriser une intégration cohérente et efficace de l’éducation à l’IA au sein des programmes éducatifs.
En tant que professeurs en technologies éducatives au Département de psychopédagogie et andragogie à l’Université de Montréal, nous nous penchons sur le rôle clé que l’école peut jouer pour outiller les élèves face à l’omniprésence de l’IA.
Par Hugo G. Lapierre, Professeur adjoint en technologies éducatives, Université de Montréal et Normand Roy, Professeur agrégé, Université de Montréal
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.