La vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, a déposé le 7 décembre 2022 son rapport pour l’année 2022-2023 à l’Assemblée nationale. Celui-ci contient un chapitre au sujet de l’enseignement à distance durant la pandémie de COVID-19. Manque d’appareils électroniques, soutien technologique insuffisant, directives tardives vers les centres de services scolaires, absence de données sur les retards d’apprentissage accumulés; voici un résumé du rapport et des recommandations.
Le chapitre consacré à la thématique de l’enseignement à distance compte une trentaine de pages. En plus du ministère de l’Éducation du Québec (MEQ), trois CSS ont été audités sur les 72 que compte le Québec, soit le Centre de services scolaire des Hautes-Rivières, le Centre de services scolaire du Pays-des-Bleuets et le Centre de services scolaire des Samares.
En introduction, la vérificatrice rappelle que « la possibilité d’utiliser l’enseignement à distance n’était pas permise avant 2017, moment où elle a été ajoutée à la Loi sur l’instruction publique, mais seulement dans le contexte de projets pilotes. Durant la pandémie, c’est en vertu de décrets ministériels que l’enseignement à distance a été déployé, ce qui a permis de limiter les bris de services éducatifs aux élèves du primaire et du secondaire ».
Pourquoi avoir fait cet audit?
Voici l’explication tirée textuellement du rapport :
« Lors de l’année scolaire 2019-2020, le réseau public accueillait plus de 964 000 élèves inscrits à la formation générale des jeunes, soit 104 000 au préscolaire, 524 000 au primaire et 336 000 au secondaire, et tous ont été touchés par la fermeture abrupte des écoles en mars 2020. De ce nombre, près du quart étaient reconnus par le MEQ comme des élèves handicapés ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage.
Selon diverses études, la fermeture des écoles et l’enseignement à distance ont entraîné des retards d’apprentissage, et ce, particulièrement pour les jeunes en difficulté d’apprentissage ou à risque de décrochage. Ces retards, s’ils ne sont pas comblés par des mesures de rattrapage efficaces, risquent d’avoir un impact sur leur cheminement scolaire, de les mener à l’abandon et de les priver de l’obtention d’un diplôme. Du point de vue collectif, une diminution du taux de réussite scolaire peut aussi nuire à la compétitivité du marché québécois en diminuant l’accès à de la main-d’œuvre qualifiée. »
L’objectif de l’audit était donc de s’assurer que « le MEQ et les centres de services scolaires ont soutenu de façon efficiente et efficace l’enseignement à distance afin de favoriser la réussite scolaire dans le contexte de la pandémie ». En voici quelques grandes lignes.
Constat 1
« Certains centres de services scolaires (CSS) ne disposaient toujours pas de tous les ordinateurs nécessaires à l’enseignement en ligne en cas de fermeture de l’ensemble de leurs écoles après 18 mois de pandémie et le soutien technologique fourni par le ministère de l’Éducation du Québec (MEQ) aux CSS a été insuffisant. »
Concernant la disponibilité des appareils
- À la rentrée scolaire 2020-2021, soit près de six mois après le début de la pandémie, 75 % des CSS n’avaient toujours pas en main les appareils électroniques nécessaires en cas de fermeture de l’ensemble de leurs écoles.
- Le MEQ a alors rendu disponible une enveloppe d’urgence de 150 millions $ pour l’année, sans analyse préalable des besoins.
- Face aux difficultés d’approvisionnement des CSS, le MEQ a lui-même constitué une réserve d’appareils à laquelle les CSS pouvaient recourir :
- En juillet 2020 : 15 000 tablettes et 11 921 ordinateurs portables;
- En novembre 2020, ajout de 21 512 ordinateurs portables.
- En avril 2021, la réserve a été complètement utilisée.
- En octobre 2021, soit plus de 18 mois après le début de la pandémie, 10 CSS n’avaient toujours pas le nombre d’ordinateurs suffisant pour offrir l’enseignement en ligne en cas de fermeture de l’ensemble de leurs écoles.
Concernant la mise en place de l’école virtuelle
- Malgré la mise en ligne de la plateforme l’École ouverte, des modules d’autoformation offerts aux enseignants et réalisés en partenariat avec l’Université TÉLUQ, des webinaires offerts par le RÉCIT, ainsi que la mise en place de la réserve ministérielle, la Vérificatrice estime que le MEQ n’a pas suffisamment tiré parti des ressources déjà présentes dans le réseau scolaire et qu’il aurait dû s’impliquer davantage.
- Comme une école virtuelle nationale n’a pas été mise en place, chacun des CSS a dû mettre en place ce service ou signer une entente de partenariat avec d’autres.
Concernant le soutien technologique offert
- Même avant la pandémie, le soutien technique aux établissements était jugé déficient.
- Le manque de connaissances des élèves, des parents et des enseignants relativement aux technologies utilisées en enseignement en ligne a représenté un défi.
- En l’absence d’un centre national d’appels, le soutien technologique auprès des élèves et des parents a été effectué par les enseignants et les équipes de dépannage mises en place par les CSS.
Concernant l’achat de matériel de vidéoconférence
- En novembre 2020, 42 millions $ d’appareils de vidéoconférence ont été achetés. Ceux-ci devaient notamment être installés dans les classes pour permettre l’enseignement comodal aux élèves du secondaire.
- Le MEQ n’a pas été en mesure de fournir ni l’analyse ni la recommandation justifiant cet achat.
- Peu de ces équipements ont finalement été installés par les CSS; d’autant plus que, depuis la fin de l’urgence sanitaire, l’enseignement à distance est de nouveau limité aux projets pilotes, donc marginal.
Concernant la formation des enseignants
- Au début de la pandémie, plusieurs enseignants n’avaient pas les compétences numériques suffisantes pour offrir l’enseignement en ligne.
- Un rapport de recherche commandé par le MEQ indique qu’en 2020, 58 % des enseignants québécois disposaient des compétences pour intégrer des appareils numériques dans leur enseignement, comparativement à 69 % au Canada.
Constat 2
« Le MEQ a tardé à émettre des directives claires aux CSS afin de préciser les services éducatifs minimaux à offrir au primaire et au secondaire. »
- Rapidement après la fermeture des écoles au printemps 2020, l’enseignement à distance a été présenté comme une mesure alternative à l’enseignement en présentiel.
- Près de deux mois se sont toutefois écoulés entre la fermeture des écoles, le 13 mars 2020, et la reprise de l’enseignement en présentiel ou à distance, le 11 mai.
- Les enseignants ont été plusieurs semaines sans avoir l’obligation de fournir leur pleine prestation de travail.
- Le manque d’encadrement national a contribué à une prestation d’enseignement à distance très variable d’un CSS à l’autre.
Constat 3
« Les analyses dont dispose le MEQ ne lui permettent pas d’avoir un portrait complet des retards d’apprentissage afin de mettre en place les mesures de rattrapage appropriées. »
- Dans le contexte où la prestation des services éducatifs offerts aux élèves a été perturbée par la pandémie et a entraîné des retards d’apprentissage, des mesures de rattrapage efficaces sont nécessaires.
- Le MEQ n’a pas encore établi un portrait complet des retards d’apprentissage depuis le début de la pandémie.
- Un mémoire déposé au conseil des ministres de novembre 2020 recommandait de tenir les épreuves ministérielles 2020-2021 (qui ont été annulées) avec une diminution de leur pondération dans la note finale de l’élève, pour assurer « la comparabilité des résultats à l’échelle provinciale ».
- La décision de développer un programme de tutorat de 88 millions $ afin de contrer les retards d’apprentissage n’a pas été basée sur une analyse qui aurait pu faire le lien entre ce montant, les retards d’apprentissage observés et les mesures de rattrapage nécessaires.
- La répartition du financement des mesures de tutorat n’a pas été effectuée en fonction des besoins des élèves. Le MEQ a réparti le budget entre les CSS en accordant à chacun un montant de base auquel il a ajouté un supplément établi au prorata de l’effectif scolaire.
5 recommandations
À la lumière de ces constats, la vérificatrice générale formule cinq recommandations.
Au MEQ et aux CSS, elle recommande de :
- Effectuer un bilan à l’égard des décisions prises et de l’enseignement offert lors de la pandémie de COVID-19 afin de tirer des leçons et d’apporter des améliorations pour faire face à d’éventuelles fermetures de classes dues à une pandémie ou à d’autres événements perturbants.
- S’assurer de répartir les budgets consacrés aux mesures de rattrapage scolaire en fonction des besoins de tous les élèves.
Au MEQ, elle recommande de :
- Réaliser des analyses afin d’avoir un portrait complet des retards d’apprentissage et d’en assurer le suivi.
- Mettre en place les mesures de rattrapage nécessaires.
- Réaliser une analyse adéquate des besoins avant chaque acquisition d’équipement, incluant une consultation des utilisateurs.
Pour la vérificatrice générale, la priorité est que le MEQ fasse les démarches nécessaires pour établir un portrait des retards d’apprentissage, puisque, s’ils ne sont pas comblés par des mesures de rattrapage efficaces, ces retards risquent d’avoir un impact sur le cheminement scolaire des élèves, de les mener à l’abandon et de les priver de l’obtention d’un diplôme.
Des propositions de la Fédération des comités de parents du Québec
Dans un communiqué, la Fédération des comités de parents du Québec a fait des propositions « pour que chaque élève ayant un besoin se voit offrir un service et pour que le milieu scolaire soit mieux outillé » :
- Mettre en place une politique pour encadrer l’école à distance et les seuils minimaux de service éducatif en cas de besoin, en se basant sur l’expertise des centres de services scolaires leader en la matière.
- Informer les parents de leurs droits et les outiller pour accompagner leurs jeunes, notamment en termes d’utilisation du numérique.
- Respecter les règles de subsidiarité pour que chaque milieu ait la souplesse de mettre en place les mesures de soutien pédagogique selon les besoins des élèves, en collaboration avec les parents.
- Créer un Plan de réussite individualisé (PRI) pour chaque élève, une démarche qui permettrait d’impliquer l’élève et tous les adultes qui l’entourent dans sa réussite et de faire le suivi de ses forces, ses défis et ses besoins de façon évolutive, de la maternelle jusqu’à l’obtention du diplôme. Des données de ces PRI pourraient permettre d’avoir un portrait clair des besoins des élèves au niveau national.
En complément :
- Le communiqué de presse de la vérificatrice générale.
- Pandémie : l’enseignement à distance a compromis le cheminement des élèves en difficulté
- Le ministère de l’Éducation ignore l’ampleur des retards d’apprentissage