Par Cathia Papi, Université TÉLUQ
Les jeunes sont nombreux à perdre certains acquis scolaires pendant la période estivale. Il s’agit d’une réalité qui préoccupe certains parents, et à laquelle nous a sensibilisés la pandémie de Covid-19.
En 2021 justement, le ministère de l’Éducation du Québec a instauré des mesures dans le cadre de son Plan de relance afin de lutter contre cette tendance appelée au Québec « la glissade de l’été ».
La locution est une traduction de l’anglais « summer slide », qui désigne l’oubli, durant les vacances estivales, des apprentissages réalisés durant l’année scolaire. Bien qu’on y accorde une attention accrue depuis la pandémie, le phénomène est en réalité étudié depuis 1906 dans les pays anglo-saxons.
Sociologue de formation et professeure en éducation à l’Université TÉLUQ, j’ai mené une recherche sur les dispositifs mis en place pour contrer la glissade de l’été entre 2021 et 2023 au Québec. J’ai consacré cinq chapitres de mon récent ouvrage Favoriser l’apprentissage et le bien-être (2024) à ce sujet.
La glissade de l’été ou l’oubli estival
Héritées des traditions de chasse et d’agriculture, et jouant désormais un rôle important pour l’industrie du tourisme, les vacances scolaires d’été tendent à durer environ deux mois dans de nombreux pays, ce qui est relativement long.
Il est ainsi observé qu’environ 2/3 à ¾ des élèves oublient, au cours de l’été, une partie des apprentissages réalisés pendant l’année. Cet oubli équivaut à environ un mois d’apprentissages et concerne davantage les enfants issus de milieux à faibles revenus.
Des dispositifs pour contrer l’oubli estival
Des dispositifs visant à contrer cet oubli sont mis en place et étudiés depuis plusieurs décennies, notamment aux États-Unis où 29 milliards de dollars ont été accordés à la lutte contre la glissade de l’été en 2021. Parmi les dispositifs présentés dans les recherches, certains visent par exemple à favoriser la lecture des enfants pendant l’été en offrant des ressources aux familles, tandis que d’autres s’apparentent plus à des cours d’été portant sur les disciplines dans lesquelles les élèves ont des difficultés. Bien que modestes, les résultats semblent généralement positifs.
Une première étude canadienne a été menée en Ontario dans le cadre du Ontario Summer Learning Program (2010-2015). Le programme soutenait les élèves ayant les résultats les plus faibles en leur offrant 45 heures de littératie ou de numératie réparties sur trois à quatre semaines pendant l’été. À cela s’ajoutaient des activités de divertissement et des collations, voire des repas.
Sans résoudre l’intégralité du problème, le dispositif a permis de contrer partiellement l’oubli estival des enfants. Il a également favorisé le développement de leur confiance en eux et celui du soutien parental.
Lutte contre la glissade de l’été au Québec
Les cours d’été ou les cahiers de vacances existent depuis longtemps au Québec. En revanche, la récente décision du gouvernement d’instaurer des mesures afin de lutter contre la glissade de l’été est inédite. C’est effectivement la première fois qu’un territoire francophone finance des services visant à soutenir le maintien des acquis scolaires pendant les vacances.
Depuis 2021, les instances régionales de concertations (IRC) sont invitées à travailler avec les organismes communautaires pour proposer des dispositifs estivaux venant contrer la glissade de l’été. De nombreuses activités sont ainsi mises en place dans l’ensemble du Québec. Certaines sont proposées aux familles. Des ressources ou conseils sont alors donnés pour encourager les parents à accompagner leurs enfants dans différents apprentissages, comme la pratique de la lecture.
D’autres activités de soutien sont désormais incluses dans les camps de jour, comme des animations et moments consacrés à la lecture ou aux sciences.
Des dispositifs venant répondre aux besoins précis d’un public particulier sont également parfois mis en place, notamment en concertation avec les écoles ou centres de service scolaire.
Dans tous les cas, activités d’apprentissage et jeux sont fréquemment combinés afin de stimuler l’intérêt et la motivation des jeunes qui travaillent ainsi au maintien de leurs acquis sans toujours s’en rendre compte.
Des initiatives à poursuivre ?
Les mesures prises pour contrer la glissade de l’été au Québec ont été instaurées dans le contexte de pandémie. Elles visaient à favoriser non seulement un maintien des acquis, mais aussi un certain rattrapage scolaire. Dans la mesure où la pandémie est derrière nous, la pertinence de cette mesure pourrait être remise en question.
Contre une telle perspective, on ne doit pas oublier, d’une part, que des pertes d’apprentissages sont observées depuis plus d’un siècle pendant la période estivale, indépendamment du contexte pandémique et, d’autre part, que de nouveaux évènements sont susceptibles de perturber la scolarité des élèves.
Le plan de rattrapage devant pallier la grève enseignante de 2023 prévoit justement le développement de dispositifs estivaux. Les IRC peuvent ainsi désormais proposer des projets favorisant le rattrapage scolaire en plus de ceux visant à contrer la glissade de l’été.
Cela devrait permettre de mieux distinguer ce qui se prête à de grands groupes (comme la mise à dispositions de matériel ou de livres, les animations entourant la lecture ou les sciences en camp de jour par exemple), et ce qui vise des objectifs plus précis, notamment les activités destinées à soutenir des élèves rencontrant des difficultés dans une discipline particulière.
Dans ce cas, des dispositifs particuliers, se rapprochant autant que possible du tutorat intensif, pourraient être privilégiés afin d’obtenir les meilleurs résultats possibles.
L’étude de camps centrés sur la lecture, en petits groupes, animés par des professionnelles de l’éducation, proposant des activités pédagogiques et ludiques pendant trois semaines dans un CSS, m’a d’ailleurs permis de faire ressortir que 61 % des participants avaient non seulement maintenu leur niveau, mais aussi progressé en seulement 12 matinées.
Le bien-être des enfants et adolescents a été fortement mis à mal pendant la pandémie, comme le fait entre autres ressortir la hausse de l’absentéisme scolaire. Pour contrer cette tendance, il apparait essentiel de s’intéresser aux services que nous offrons à nos enfants pendant la période estivale, et de leur permettre de consolider leurs apprentissages et leur bien-être.
Par Cathia Papi, Professeure, CURAPP-ESS, Université TÉLUQ
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.