Par Josée Beaudoin, collaboratrice, École en réseau
La pandémie a mis de l’avant de nouvelles façons de faire pour assurer les services aux élèves dans le système scolaire public. L’orthophonie à distance s’est avérée plus que concluante, permettant non seulement d’assurer les services mais également de bonifier les pratiques existantes. À l’heure où les listes d’attente s’étirent en orthophonie scolaire, la clé serait-elle à portée de main?
Kathleen Roy, orthophoniste depuis plus de vingt ans en Montérégie, a commencé son parcours par une carrière de violoniste et d’enseignante, issue de l’École de musique Vincent-d’Indy et de l’Université de Montréal. Elle a dû opter pour une seconde carrière et a choisi de compléter baccalauréat et maîtrise en orthophonie par la suite. « La musique et l’orthophonie ont des similarités en fait, il s’agit de communication, de langage, de la voix aussi », souligne-t-elle.
Le leitmotiv de Kathleen, tout comme celui de nombreuses orthophonistes, c’est d’aider au maximum les jeunes éprouvant des difficultés avec le langage. Car ces difficultés laissent des traces pour toute la vie si on ne s’en occupe pas suffisamment : troubles d’apprentissage, faible estime de soi, relations sociales tendues, isolement, troubles de comportement pour compenser la difficulté à communiquer, etc. Et l’arrivée de la pandémie a amplifié l’urgence d’offrir ces services aux élèves, partout au Québec.
Kathleen Roy, qui n’était pas particulièrement portée sur l’usage du numérique, a rapidement mis au point une approche pour l’orthophonie à distance, dans le contexte où elle devait être en télétravail. Elle a réfléchi au choix des outils, devant rapidement s’approprier d’autres façons d’intervenir. « Je suis sortie de ma zone de confort, c’est sûr, mais c’était la chose à faire pour que les services soient accessibles et répondre aux besoins des jeunes », explique-t-elle.
Le Centre de services scolaire des Patriotes a ainsi créé un service de téléorthophonie dédié aux écoles où aucune orthophoniste n’était présente sur les lieux. Ce service, offert par Kathleen Roy, a été opérationnel cinq (5) jours par semaine en 2020-2021, et il l’est toujours en 2021-2022 en complément aux services offerts en présence. Il s’agit en quelque sorte d’un guichet unique pour des services d’évaluation et de suivi des élèves. Des outils et des plateformes sont utilisés avec du matériel en ligne. Kathleen Roy a mis au point des processus de travail totalement à distance avec les élèves de 8 écoles cette année.
« L’orthophonie à distance, cela se fait depuis longtemps dans le secteur privé, en France notamment et aussi au Québec en clinique privée. Pourquoi ne pas l’introduire dans le secteur public? Je suis originaire de la Côte-Nord, où les distances ne facilitent pas toujours l’offre de services aux élèves. On peut faire beaucoup plus à distance; chaque demie-heure ou heure de déplacement pour l’orthophoniste, ça veut dire des services réduits pour les élèves. »
Aller plus loin avec les élèves
Les résultats observés sont étonnants, non seulement en termes de capacité de services, mais aussi en termes d’effets cliniques. D’une part, les jeunes sont réceptifs à ce mode d’intervention et leur motivation est au rendez-vous. On observe une attention accrue chez les élèves et l’opportunité de consacrer plus de temps à des exercices et suivis d’orthophonie entre les rencontres.
D’autre part, et c’est là un aspect particulièrement noté par Kathleen Roy, l’orthophonie à distance est un atout pour aller plus loin avec des élèves parce que l’observation en milieu de vie permet de bonifier l’évaluation. Le cas d’un enfant très timide en classe a permis dans l’intervention à distance depuis la maison (et avec les parents) de comprendre plus rapidement l’origine des problèmes de langage et ainsi accélérer le soutien à l’élève.
Le cas d’un enfant autiste a permis d’intervenir beaucoup mieux dans le lien à distance, en découvrant que l’enfant avait beaucoup plus de potentiel, et ainsi ajuster le suivi en conséquence. Et bien sûr, il ne faut pas négliger le lien facilité avec les parents dans l’intervention à distance, très apprécié car offrant beaucoup de flexibilité.
Kathleen Roy souligne également l’importance des structures en soutien à la pratique à distance. Pour les plus jeunes élèves (maternelle et premier cycle), la collaboration avec les techniciennes en éducation spécialisée (TES) était requise pour que celles-ci accompagnent l’élève dans le local de l’école prévu pour rencontrer l’orthophoniste à distance, et puissent au besoin manipuler l’ordinateur.
Le mandat de l’orthophoniste scolaire est d’évaluer et de soutenir les élèves bien sûr, mais aussi de mener des activités de prévention, de promotion et de collaboration, de coaching et de transfert de savoirs auprès des enseignants. La pratique à distance permet de gagner du temps pour se consacrer à l’ensemble de ces rôles, au bénéfice des élèves.
Quelles sont les limites de l’orthophonie à distance, y a-t-il des zones sur le plan clinique qui en restreignent la pratique? Pour Kathleen Roy, il est certain que certaines manipulations, comme l’utilisation d’un abaisse-langue, ne se font pas en mode virtuel. Mais elle estime qu’on peut imaginer que le travail de l’orthophoniste scolaire pourrait se faire à 70 % à distance et à 30 % en présence, ce qui permettrait d’assurer une qualité et une quantité de services aux élèves beaucoup plus importante que ce qu’il est possible de faire actuellement : « On est en relation d’aide, les jeunes ont besoin d’orthophonie, trop d’entre eux ne bénéficient pas des services dont ils ont besoin, on n’a pas le temps de bien s’occuper d’eux et c’est dramatique. Le numérique est la solution pour faire enfin exploser les services pour eux. »
Une innovation à généraliser
Kathleen Roy a pu adapter certains processus administratifs pour tenir compte de l’intervention à distance, qu’il s’agisse des pratiques d’enregistrement de séance, des formulaires de consentement des parents ou des outils de tenue de dossier. Elle a testé des plateformes de visioconférence, des exerciseurs en ligne et appris à intégrer de tels outils dans son quotidien. Le leadership du CSS (services complémentaires, juridiques, technologiques, etc.) s’avère ici crucial pour assurer le déploiement des conditions requises.
Comme le souligne Geneviève Lapointe, responsable des services professionnels au CSS des Patriotes, « l’initiative de Kathleen et les résultats atteints avec la téléorthophonie sont majeurs pour notre mission, il est primordial pour nous de soutenir une telle innovation et d’en assurer la généralisation à l’échelle de notre territoire. »
Pour Kathleen, la pandémie aura été un moment d’épanouissement professionnel important, qui permet d’entrevoir des solutions au problème de l’insuffisance de services en orthophonie dans le système scolaire public. Parce qu’à titre de professionnelle de l’orthophonie, un rêve demeure : celui d’éradiquer le plus tôt possible les problèmes de langage qui hypothèquent la vie adulte de milliers de Québécois.