Chaque automne, une nouvelle cohorte de finissants débarque devant moi. De nouveaux visages, de nouveaux espoirs. Chaque automne, je reprends le même slogan, qui se veut aussi un défi que je me lance : les cours de français sont palpitants.
Par Marie-Claude Picard, enseignante de français, 5e secondaire, Collège Beaubois
Ainsi, j’ai toujours cru qu’un élève qui déteste le français, surtout en 5e secondaire, ne mettra pas les efforts nécessaires pour s’améliorer. Cependant, comment accrocher des élèves pour qui les participes passés et les subordonnées sont aussi palpitants que l’analyse du dictionnaire? Et je ne parle évidemment pas de mes collègues ici, qui sont à mes yeux les meilleurs qui soient. Je parle ici de revoir les mêmes concepts du primaire jusqu’à la fin du secondaire.
Au cours de mes premières années d’enseignement en 5e secondaire, je perdais rapidement l’attention des élèves dès que j’osais aborder la terrible grammaire. Un bouclier de protestations s’élevait devant moi, obligée de constater que des concepts vus depuis le primaire ennuyaient mes élèves les plus forts et ne servaient pas plus à ceux avec plus de difficultés. Et que dire des devoirs? Bref, la grammaire semblait toujours un poids important, dont je ne pouvais délester mon cours. C’est à ce moment que j’ai découvert Classcraft. Fanatique auparavant de World of Warcraft, son pendant éducatif et québécois m’a semblé un outil destiné à entrer dans ma classe. Cela fait maintenant trois ans. Et je ne reviendrais jamais en arrière.
Mythe 1 : Classcraft est un jeu, donc les yeux des élèves seront encore rivés sur l’écran.
Réalité : Totalement faux! Seul l’enseignant peut avoir accès à un ordinateur et y passer quelques minutes au plus en début de cours.
Mythe 2 : Classcraft et la ludification enlèvent tout sérieux au cours et nivelle par le bas.
Réalité : Jamais auparavant je n’ai vu un élève rédiger un texte facultatif de 10 000 mots , uniquement pour augmenter les points de son avatar.
Mythe 3 : Classcraft, c’est pour les petits.
Réalité : Faux! Je dois avouer que je n’utilise pas toutes les composantes de l’application. Cela dit, des élèves sont déjà venus me demander des pièces d’or supplémentaires pour pouvoir « acheter » un nouvel habit à leur avatar (j’en ai profité pour exiger la rédaction d’un petit texte en échange!)
Qu’est-ce que Classcraft en fait?
Il s’agit d’une application permettant aux élèves d’amasser différents types de points dans le but d’obtenir des pouvoirs en classe. De plus, les élèves sont placés en équipe Classcraft, ce qui favorise l’entraide. D’ailleurs, dès le début de l’année, mes bureaux sont placés en îlots de 6. Classcraft a donc révolutionné aussi l’aménagement de mon local. Les équipes, que je constitue moi-même, sont équilibrées, dans le but de faciliter la gestion de classe.
Certains crieront contre la motivation extrinsèque, mais je crois sincèrement qu’au-delà des privilèges obtenus, Classcraft permet aux élèves de ma classe de cibler des difficultés sur lesquelles travailler et crée un climat de classe convivial et pédagogiquement motivant.
Exemples de pouvoirs obtenus dans ma classe :
- L’élève peut remettre un travail une journée plus tard.
- L’élève peut changer de place pour un cours.
- L’élève peut manger en classe (l’an passé, un élève a amené un homard et des moules, nappe et ustensiles inclus! Ce fut un moment inoubliable!)
- L’élève peut écouter de la musique pendant une période de travail.
Il s’agit ici d’incitatifs aux élèves pour amasser des points. Ces points s’accumulent selon le bon vouloir de l’enseignant. Voici quelques exemples :
- Exercice du site CCDMD réussi à 80% et plus : 75 points (ou XP)
- Rédaction d’un texte de 150 mots : 75 XP
- Défi dictée : au début de l’année, chaque élève décide d’une note à atteindre lors des dictées (selon des contraintes pour éviter que leur défi soit de 50%!). Chaque fois que le défi est relevé, les élèves reçoivent 75XP. De plus, j’organise des concours de dictée en équipe. Sans entrer en détails, je n’ai jamais vu de périodes pendant lesquelles les élèves débattaient autant de règles grammaticales!
- Différents concours en classe, comme un concours portant sur des extraits de chansons francophones ou un concours portant sur le jeu Scattergories
- Identification de coquilles dans mes notes de cours : 75XP (Personne n’est parfait, non?)
- Préparation d’examen facultatifs : points variables
La liste pourrait continuer très longtemps. En fait, l’enseignant est le maître de jeu et décide ainsi de l’attribution des points.
Par ailleurs, cette année, j’ai ajouté un élément important, soit la création d’une quête préparatoire à une production écrite. À travers 5 exercices déposés sur Classcraft, encore une fois non obligatoires, les élèves pouvaient explorer les différentes facettes et difficultés de la nouvelle littéraire. Chaque étape complétée permettait d’amasser des points. Et je pouvais ainsi vérifier à travers le processus si les exercices de mes élèves en difficulté avaient été bien faits. Car malgré toutes attentes, mes élèves en difficulté ont vraiment embarqué. Près de la moitié des élèves ont fait la totalité de la quête, et l’ensemble de mes élèves a au moins touché à quelques exercices. Il s’agit tout de même d’une réussite pour moi, car en plus de la rétroaction donnée, mes élèves ont réalisé beaucoup plus de révision à la maison qu’ils l’auraient fait habituellement.
Bref, à travers les différentes activités ci-dessus, Classcraft permet aux élèves de se surpasser et de travailler sur des exercices qu’ils ont choisis en ciblant leurs difficultés (ou en visant l’enrichissement dans le cas de mes élèves plus doués).
Jusqu’à l’évaluation différenciée
Or, pour que les élèves veuillent amasser des points, il faut des incitatifs un peu plus alléchants que les pouvoirs acquis via leur personnage. Voilà pourquoi j’ai décidé d’inclure Classcraft jusque dans mon évaluation. Je me suis toujours dit qu’un élève ayant des difficultés en dictée ne l’était pas nécessairement en production écrite et vice-versa. Surtout que mes dictées ont la réputation d’être plutôt corsées! J’ai donc décidé, en premier lieu, de permettre aux élèves fournissant des efforts substantiels d’obtenir 5% supplémentaire à leur note de production écrite de deuxième étape.
Encore une fois, certains diront que la motivation intrinsèque devrait primer. Or, je réponds toujours que si l’on me trouve une façon de faire travailler autant un élève qui n’aime pas le français, sans un quelconque bénéfice pour lui, je serai la première à m’incliner! Cela dit, pour obtenir ce 5%, mes élèves doivent obtenir des milliers de points Classcraft, qui équivalent à 70 exercices du site CCDMD. Ou à un texte de 10 000 mots. Et depuis trois ans, c’est jusqu’à 80% de mes élèves, selon les cohortes, qui choisissent d’amasser autant de points. En second lieu, mes élèves qui poursuivent l’accumulation de points et se rendent à un niveau supérieur (encore plus de points), peuvent décider de ne pas faire la dictée sommative. Eh oui! La pondération de cette évaluation est alors répartie à travers les autres évaluations. Cette année, cette dernière option a été choisie par près de 20% de mes élèves.
Quels sont les bénéfices pédagogiques?
- La possibilité pour l’élève de faire des choix, ce qui favorise la responsabilisation, nécessaire selon moi pour outiller les élèves pour le futur. Un élève qui choisit de cibler ses faiblesses est beaucoup plus actif au niveau de son apprentissage qu’un élève qui refait un exercice portant sur une notion déjà maîtrisée.
* Petite note importante ici : je suis très consciente que le fonctionnement de ma classe ne pourrait pas s’appliquer au 1er cycle, où les notions sont vues pour la première fois pour la majorité. Il faut se rappeler que mes élèves ont vu les subordonnées depuis la 1re secondaire, ce qui m’offre une certaine latitude.
- Les équipes Classcraft qui favorisent le travail d’équipe, mais aussi la différenciation pédagogique, dans la mesure où mes interventions dans une équipe sont plus ciblées. De plus, je laisse parfois les équipes décider des notions sur lesquelles elles veulent (voire ont besoin) de travailler.
- Une meilleure rétroaction basée sur les exercices choisis tant par l’élève que par moi.
- Une meilleure gestion de classe aidée par la perte de points, oui, mais aussi par le concept de classe en îlots Classcraft.
- Et évidemment, une classe de français plus palpitante!