L’État de la situation de l’Obvia deviendra un nouveau rendez-vous annuel. Effectivement, il est prévu qu’une nouvelle publication permettra à chaque année de prendre le pouls de la recherche scientifique autour des sept axes de recherche de l’organisation : santé, éducation, travail et l’emploi, éthique et gouvernance, droit, arts et médias, et transition socioécologique.
Le chapitre consacré à l’axe Éducation et capacitation (p. 13 à 19) s’articule autour de deux thématiques : le mariage entre la science des données et les sciences de l’apprentissage, et le potentiel capacitant des IA pour les personnes et les organisations.
Transformation numérique du réseau scolaire
Le réseau scolaire québécois vit présentement une profonde transformation numérique dans le cadre du Plan stratégique 2023-2027 du ministère de l’Éducation. Ce plan vise essentiellement à « valoriser les données en éducation pour permettre à l’ensemble des intervenants de prendre des décisions mieux éclairées ».
Les chercheurs de l’Obvia indique qu’« en focalisant toute son attention sur la transformation numérique de sa gestion des données, l’État a négligé son indispensable parallèle : la transformation numérique de la gestion de l’information gouvernementale (IG). […] Au-delà des énoncés de politiques et de l’acquisition des outils technologiques, la migration de la gestion documentaire (GD) analogique vers la gestion de l’information (GI) numérique piétine en l’absence de pratiques adaptées et affirmées, et de structures de suivi et de reddition de comptes. » Les chercheurs se questionnent aussi sur l’application de la Loi modernisant des dispositions législatives en matière de protection des renseignements personnels (communément appelée Loi 25). Ces considérations peuvent avoir l’air éloignées de l’intelligence artificielle, mais leur prise en charge par les acteurs du milieu de l’éducation influencera ensuite les usages possibles de l’IA (et les limites également), notent-ils.
Enjeux identifiés pour le développement des personnes et des organisations
Parmi les principaux enjeux soulevés par le groupe, on retrouve :
- La nécessité de nommer les compétences numériques qui composent la littératie numérique, préalables à l’intégration responsable de l’IA;
- L’augmentation de la polarisation face aux technologies déjà utilisées à des fins de formation (ex. l’IA comme outil efficace vs le risque accru de plagiat);
- Le besoin de formation et d’expérimentation sur mesure par et pour l’ensemble des actrices et acteurs éducatifs;
- Le défi de création d’un cadre éthique et responsable qui permettrait de maximiser les bénéfices liés à l’utilisation des données tout en préservant l’intégrité et la dignité de chaque individu derrière ces données.
- Le niveau de littératie de données et de littératie numérique qui demeure « assez limité » chez les gestionnaires et les individus en position de leadership dans les organisations alors que ces personnes ont un impact sur l’adoption des technologies et de l’IA, l’usage et la valorisation des données dans la prise de décisions.
- Le besoin (et la difficulté) de mettre à jour continuellement de l’offre de formation afin de tenir compte des nouveautés qui apparaissent constamment (ex. hypertrucage), en plus d’encourager l’adoption d’une posture active plutôt que celle d’une observation passive face aux phénomènes numériques.
Attention aux extrêmes
Les chercheurs notent que plusieurs débats ont cours au sujet de l’usage des technologies en éducation (ex. pour ou contre les écrans en classe). Ils mettent en garde contre la tentation de « proposer des interventions parfois trop simplistes, parfois trop complexes » et appellent à « prendre le recul nécessaire pour mieux circonscrire ces phénomènes récents et émergents ». Du même coup, ils rappellent que la fracture numérique, au lieu de diminuer, a tendance à s’accentuer.
« Le milieu de l’éducation n’est pas à l’abri du phénomène en ne rendant pas toujours accessible à tous des outils technologiques, dont des outils utilisant de l’IA, et en n’intégrant pas dans les programmes de formation l’usage de ces outils. » (Plantard et al., 2023)
Pistes d’action et implications
Des pistes d’action et implications sont présentées à la fin du chapitre.
1- Des ressources ouvertes et libres à produire :
- Accélérer le transfert de connaissances multimodal via les données prometteuses et probantes issues de la recherche interdisciplinaire de l’IA en éducation (p. ex. Guides pratiques en technologies éducatives publiés par l’Association Edteq : Intégration et Conception).
- Impliquer les différentes parties prenantes (direction, personnes enseignantes, apprenantes, parents) dans le développement des politiques et des protocoles encadrant l’utilisation des systèmes d’IA et des données éducatives qui en résultent.
- Mettre en place des cadres réglementaires et éthiques adaptés encadrant l’utilisation de l’IA en éducation, en s’appuyant sur une veille des pratiques locales et internationales.
- Recueillir l’expression des besoins des parties prenantes puis cartographier les demandes et les attentes dans les différents programmes de formation (formation générale des jeunes, formation professionnelle, formation technique, enseignement supérieur, etc.) au regard du développement de la littératie de l’IA.
2- Des dispositifs d’accompagnement à proposer :
- Mettre en place des programmes de formation continue des personnes enseignantes sur les concepts clés de l’IA, son fonctionnement et l’utilisation éthique et critique des technologies d’IA en classe.
- Sensibiliser les personnes apprenantes à l’IA, en les initiant à son fonctionnement et en développant leur esprit critique face à ces technologies.
- Détecter les initiatives existantes et les accompagner dans leur développement via la recherche participative.
3- La présence de personnes expertes :
- Documenter les modalités concrètes mises en place avec des mécanismes de suivi et d’évaluation réguliers par les milieux d’enseignement ou l’entreprise pour l’implémentation d’une IA responsable.
- Concevoir des systèmes d’IA qui minimisent les biais algorithmiques, en diversifiant les jeux de données d’entraînement et en testant rigoureusement les performances sur différents groupes d’utilisateurs.
- Collaborer étroitement avec les établissements d’enseignement scolaires pour s’assurer de l’adéquation entre le projet d’établissement, l’organisation existante, la maturité de l’appropriation par les parties prenantes, les fonctionnalités des systèmes d’IA envisagés et les besoins pédagogiques révélés.
- Recommander l’investissement dans les systèmes d’IA explicables; et sur le développement technologique dans ce domaine qui pourrait faire émerger des systèmes qui évitent ou mitigent certaines difficultés de « sur-transparence ».
*L’axe Éducation et capacitation était sous la responsabilité de Chris Isaac Larnder et Nadia Naffi, en collaboration avec plusieurs autres chercheurs : Viviane Vallerand, Otilia Holgado, Normand Roy, Simon Parent, Nathalie Glais, Bruno Poellhuber, Ann-Louise Davidson, Valéry Psyché, Janvier Ngnoulaye, Christian Desîlets, Laurence Lachapelle-Bégin, Arnold Magdelaine, Elaine Mosconi, Julie Voisin et Didier Paquelin.
En savoir plus : le communiqué de presse publié lors du lancement du rapport
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