Les questions financières en éducation sont souvent abordées sur le plan politique et très rarement sur le plan pédagogique. Ici, ce n’est pas un comptable qui écrit ces lignes, mais bien un enseignant, un pédagogue.
par Adam L. Desjardins, enseignant en informatique au Collège Beaubois
Cette préoccupation à propos de la mise en place d’un « makerspace », ou atelier de fabrication numérique (terme privilégié par l’Office québécois de la langue française, 2014), au sein de notre institution d’enseignement, je l’ai toujours eue dans le cadre mes cours de programmation. J’ose croire que mes collègues enseignant d’autres disciplines « dispendieuses » ont également le même souci d’utiliser les ressources judicieusement.
Prenez par exemple un projet en arts plastiques : les élèves pourraient créer des sculptures en bronze! Il y a là tout un potentiel interdisciplinaire : histoire, chimie, physique… Par contre, pour une petite sculpture d’environ 15 cm de côté, il vous faudra acheter au moins 300 $ de bronze. C’est sans compter le reste des matériaux, de l’équipement qu’il faudra acquérir ainsi que les différentes modifications à apporter aux installations physiques puisque qu’on aura besoin d’un four pour couler du métal… Et les assurances dans tout ça? Bref, est-ce la meilleure attribution des ressources? Si on n’a plus les fonds nécessaires le reste de l’année scolaire, ne serait-ce que pour acheter des crayons de couleur, la réponse me semble évidente. Toutefois, si l’intention pédagogique du cours est spécifiquement celle de l’apprentissage de la sculpture en bronze, il faudra bien concevoir une telle œuvre et y investir les ressources nécessaires.
Le cadre des études générales n’est normalement pas un lieu où nous visons des apprentissages hautement spécialisées. Les programmes de formation laissent une certaine marge de manœuvre à l’enseignant quant au choix des stratégies pédagogiques. Ainsi, dans le cadre du cours d’arts plastiques, peut-être que d’investir 1 $ par élève dans une ou deux mains de papier et quelques crayons à mine s’avère être un excellent choix rapport qualité-prix ou, comme je me permets de le souligner dans mon titre, rapport « potentiel pédagogique / prix ». Cette question ne peut se permettre d’être ignorée considérant le vaste choix didactique qui ne cesse de s’accroître avec le temps.
Donc, en premier lieu, il conviendra d’évaluer le potentiel pédagogique de différents outils, matériaux, logiciels, etc. que l’on peut retrouver dans un atelier de fabrication numérique. J’appellerai l’ensemble de ces choses utiles à l’apprentissage des « objets pédagogiques ». Cette évaluation du potentiel ne peut reposer que sur l’objet lui-même car sans adopter une posture complètement marxiste pour établir la valeur des choses, nous devons nous y référer en partie pour éviter un gaspillage de ressources. En effet, dans cette grille de lecture, l’or n’aurait pas de valeur en soi; c’est le travail nécessaire pour l’extraire du sol qui lui confèrerait sa valeur. Il en irait de même pour n’importe quel autre produit. Donc, dans la même mesure, l’objet « crayon-papier » à 1 $ aurait-il plus de potentiel pédagogique que l’objet « 30 kg de bronze » à 300 $? La réponse se base sur le contexte défini par le triangle pédagogique : nous devons tenir compte des apprentissages à effectuer, des apprenants et de l’enseignant. Autrement, il est facile d’errer comme ce fut le cas avec beaucoup d’enseignants et le TBI qui leur était imposé. Ceux-ci se sont retrouvés avec cet objet dans leur classe avec très peu ou même aucune formation préalable. Potentiel pédagogique du TBI dans ce contexte : nul. Inversement, dans les mains d’un enseignant bien formé et dans un contexte d’apprentissage précis, cet outil peut devenir d’une efficacité sans précédent. Je pourrais d’ailleurs citer mon fils qui me parle du « tableau magique » de sa classe de maternelle. Pour y comprendre la météo, le calendrier et moult autres choses difficiles à conceptualiser à cet âge sans un bon support visuel, effectivement le TBI devient presque magique dans ce contexte.
Ainsi, pour faire une dernière comparaison, prenons un très ancien objet pédagogique : le bac à sable. Coût : presque nul. Potentiel pédagogique : énorme si c’est Thalès de Milet qui tient le bâton.
Comment évaluer le potentiel pédagogique
L’évaluation du potentiel pédagogique peut se faire à posteriori, nous savons en théorie comment faire cela le plus solidement possible sur le plan scientifique: faire des études longitudinales comparatives. Notre problème si situe toutefois dans l’évaluation à priori.
Comment faire le bon choix? La littérature pédagogique peut certes nous éclairer ainsi que l’expérience d’autres collègues partagée sur les médias sociaux mais lorsque nous voulons être de véritables pionniers, des pédagogues innovants, il faut expérimenter. Sans chambouler un programme de formation au complet, lorsqu’il est possible de le faire, il faut réserver un moment à l’expérimentation semi-dirigée (ou la moins dirigée possible). C’est ce qui m’a permis de mieux comprendre le potentiel pédagogique du contrôleur Arduino dans mes cours de programmation. Cet outil est très utilisé au niveau de la formation technique post-secondaire mais très peu au secondaire. Je voulais vérifier si cet outil pouvait apporter un bénéfice dans le cadre du cours 5e secondaire. Jusqu’à présent, c’est un succès. D’ailleurs, la phase d’expérimentation permet de voir les limites tant au niveau technique que sur le plan de la capacité d’apprentissage des élèves. Elle peut également orienter la construction d’activités dirigées où les objectifs d’apprentissage sont clairement définis.
Bref, il ne faut pas négliger ce que les élèves peuvent nous apporter comme information quant au choix de l’objet pédagogique. Rien de mieux que de leur fournir l’outil, quelques démonstrations de base et ensuite leur dire : « Maintenant, faites quelque chose avec ça; peu importe la chose mais impressionnez-moi! »
—
Cet article fait partie du dossier « La mise en place d’un atelier de fabrication numérique (makerspace) », dont voici la liste des articles en ordre antéchronologique.