L’École branchée vous présente une série d’entrevues avec des acteurs connus et moins connus du monde de l’éducation. Chacun à leur manière, dans l’ombre (ou pas), ils jouent un rôle dans l’écosystème éducatif et numérique. Nous avons décidé de vous les présenter en leur posant quelques questions.
Pour ce premier entretien, nous avons rencontré Maryse Lassonde, présidente du Conseil supérieur de l’Éducation (CSE).
L’École branchée : En quelques phrases, comment décrivez-vous le CSE?
Maryse Lassonde : Le CSE a été créé par le gouvernement du Québec en même temps que le ministère de l’Éducation de la province. C’était une idée de Paul Gérin-Lajoie qui voulait donner une voix à des représentants de la société civile pour qu’ils puissent orienter le MEQ dans ses décisions. C’est une façon de maintenir la démocratie vivante en éducation.
Le CSE compte aujourd’hui une quarantaine d’employés et 110 membres qui siègent sur les comités et commissions. Ces membres, nommés par le Conseil des ministres, offrent une belle représentation de la diversité québécoise. Ils permettent au CSE de livrer des avis au ministre de l’Éducation qui s’appuient sur la science, mais qui sont aussi colorés par la réalité du terrain et les échanges communs.
ÉB : Pour nos lecteurs qui désirent en savoir plus sur vous, comment vous présentez-vous? Quel est votre parcours?
Maryse Lassonde : J’ai travaillé pendant environ 35 ans dans le milieu universitaire, en tant que professeure en neuropsychologie. J’ai toujours donné de mon temps pour faire la promotion de la reconnaissance de la science dans notre société, notamment avec l’ACFAS. En 2012, j’ai été nommée directrice scientifique du Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies. J’ai aussi été présidente de la Société royale du Canada. Finalement, depuis 2018, je suis présidente du CSE. Je prévois prendre ma retraite au cours de l’été prochain.
ÉB : Depuis votre entrée en poste comme présidente, il semble que nous entendons plus souvent parler du CSE sur la place publique. Est-ce un objectif que vous vous êtes donné?
Maryse Lassonde : Personnellement, je trouve que le CSE est une organisation qui mérite d’être encore plus connue. Je m’en fais la fière porte-parole. Par contre, je dois dire que mon arrivée en poste a aussi coïncidé avec l’entrée en fonction de Jean-François Roberge comme ministre de l’Éducation. M. Roberge a spécifiquement formulé une demande pour que le CSE soit plus visible et plus connu, afin de démontrer davantage son apport pour le milieu de l’éducation, et du même coup, le rôle des membres. Une attention particulière est faite au rôle que le CSE peut apporter au niveau de l’enseignement supérieur, car celui-ci n’a pas été vraiment mis en valeur au fil des années.
De plus, le CSE ne doit plus être perçu comme seulement utile pour le ministère de l’Éducation. Nos avis s’adressent de plus en plus à plusieurs ministères, ce qui fait croître la notoriété et la portée du CSE. Par exemple, nous avons déposé des avis sur l’intégration des familles immigrantes et sur le bien-être des enfants. Ce sont des sujets qui touchent directement d’autres ministères.
ÉB : De quelle réalisation êtes-vous le plus fière jusqu’à maintenant?
Maryse Lassonde : Quelle grande question! De façon générale, je dirai que j’apprécie beaucoup la dynamique au sein du CSE. Nous sommes dans l’ouverture et le dialogue. Nous apportons des propositions pour faire évoluer la vision de l’éducation.
Mais, si je dois absolument choisir une production du CSE, je dirai qu’il s’agit du Mémoire sur la liberté académique en enseignement supérieur, déposé en juin 2021. Étant moi-même universitaire, ce sujet me touche beaucoup. Par ailleurs, ce mémoire reflète vraiment bien la pensée du CSE. Nous disons que la censure n’est pas acceptable. Nous soulignons aussi l’importance de la contextualisation pédagogique, du soutien professoral pour une adaptation des pratiques et de la promotion des valeurs d’équité, de diversité et d’inclusion afin de créer un climat serein et propice à la réussite éducative. La liberté académique se vit autant au niveau individuel qu’institutionnel.
ÉB : Quels seront les défis de la prochaine année scolaire selon vous?
Maryse Lassonde : À mon sens, ce sont les mêmes défis qui étaient présents avant la pandémie qui demeurent bien présents en éducation. La pandémie les a seulement exacerbés. Ici, je pense principalement aux défis d’équité pour les élèves, en termes d’accès à différents services, mais aussi d’accès au numérique. Nous avons été baignés dans un univers numérique, mais cela ne veut pas dire que les enjeux en termes d’acquisition de compétences n’existent plus. Les inégalités demeurent bien réelles.
Les enjeux en lien avec la santé mentale étaient déjà présents avant la pandémie, mais celle-ci les a multipliés de façon disproportionnée. Nous en aurons pour longtemps à nous remettre collectivement. Il devra y avoir des approches systémiques.
Un autre défi, plus administratif celui-là, est l’organisation et la gouvernance du réseau scolaire. Un équilibre doit être trouvé entre les décisions prises centralement au gouvernement et l’autonomie locale. Le gouvernement pilote le système, mais les décisions mur à mur ne sont pas nécessairement adéquates. Les centres de services et les commissions scolaires connaissent mieux que quiconque leurs besoins locaux.
ÉB : Qu’est-ce que la pandémie a changé (de façon durable)?
Maryse Lassonde : La pandémie a prouvé que le système scolaire est capable de beaucoup de flexibilité et de résilience. Tout le système a été capable de s’adapter à la situation assez rapidement. Il faut que cette flexibilité demeure.
De plus, je souhaite que les centres de services et les commissions scolaires gardent leur capacité à offrir de l’enseignement à distance. Cela doit être maintenu dans les services offerts. Il ne faut pas oublier que l’éducation est un droit et un service essentiel. Tout élève ou étudiant devrait y avoir accès peu importe où il se trouve et peu importe sa condition.
ÉB : Concernant l’intégration du numérique à l’école, votre dernier avis était assez clair et soulignait l’urgence d’agir. Quel ingrédient manque-t-il selon vous pour aller plus loin dans cette intégration?
Maryse Lassonde : Il faut arrêter de s’attarder aux outils technologiques eux-mêmes. Ce ne sont pas des gadgets. Il faut amener les enseignants à se les approprier dans un contexte d’enseignement. Ils doivent apprendre à les utiliser à des fins pédagogiques, autant pour l’apprentissage que l’évaluation. D’ailleurs, j’aimerais bien qu’un chantier voit le jour au sein du CSE sur le thème de l’évaluation avec le numérique. Comment peut-on évaluer autrement?
ÉB : Justement, en terminant, sur quoi travaillent les comités du CSE en ce moment? Sur quels thèmes porteront les prochains avis?
Maryse Lassonde : En plus des avis, nous publions aussi des mémoires et des avis réglementaires. Voici la liste de nos principaux comités et commissions ainsi que les thématiques sur lesquelles ils travaillent en ce moment :
- Comité sur l’état et les besoins de l’éducation : Revenir à la normale ? Le système éducatif pendant et après la pandémie de COVID-19 (parution décembre 2021)
- Commission de l’enseignement et de la recherche au collégial: Les nouveaux besoins de formation des étudiantes et des étudiants (parution début 2022)
- Comité interordres de la relève étudiante : Les impacts de la pandémie de COVID-19 dans la transition entre le secondaire et le cégep (parution été 2022)
- Commission de l’enseignement et de la recherche universitaires : La recherche à l’université : réussites, enjeux, responsabilité sociale et défis (parution automne 2022)
- Commission de l’éducation des adultes et de la formation continue : Évaluer la pertinence d’un cadre de qualifications en fonction des particularités de l’éducation des adultes et de la formation continue et du contexte québécois (parution automne 2022)
- Commission de l’éducation préscolaire et de l’enseignement primaire : L’école primaire de demain: une vision novatrice et écosystémique (début des travaux)
- Commission de l’enseignement secondaire: Susciter l’engagement et la curiosité par la diversité et la flexibilité des parcours : prendre en compte le point de vue et l’expérience des élèves (début des travaux).
Biographie :
Maryse Lassonde a obtenu un Ph. D. en neuropsychologie à l’Université Stanford (Californie) en 1977. Elle a été professeure à l’Université du Québec à Trois-Rivières de 1977 à 1988 puis à l’Université de Montréal de 1988 à 2012, où elle est devenue professeure émérite en 2013. Ses recherches ont porté sur des thèmes divers dont les troubles cognitifs associés à l’épilepsie infantile et les effets des commotions cérébrales dans le sport. De plus, elle a édité 7 livres, rédigé plus de 300 articles ou chapitres scientifiques et reçu plusieurs honneurs et prix. Ainsi, elle est fellow de la Société canadienne de psychologie, de l’Académie canadienne des sciences de la santé et de la Société royale du Canada. Elle est également officière de l’Ordre du Canada et chevalière de l’Ordre national du Québec, dont elle a présidé le Conseil de 2008 à 2010.
Mme Lassonde a été présidente de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS) en 1993. Elle a aussi détenu une chaire senior de recherche du Canada en neuropsychologie développementale (2001-2013) et a été présidente de la Société royale du Canada (2015-2017). Enfin, elle a été directrice scientifique du Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies de janvier 2012 à juillet 2018 et est actuellement présidente du Conseil supérieur de l’éducation du Québec.