Quand un enseignant d’histoire visite le musée d’Auschwitz, les émotions ressenties sont particulièrement fortes et lui rappellent à quel point sa profession peut avoir un impact positif majeur pour éviter les erreurs du passé.
De retour d’un voyage dans un ancien territoire soviétique (avant la crise actuelle, bien entendu!), notre collaborateur partage ses réflexions et les parallèles qu’il fait avec l’éducation. Plusieurs idées trouvent particulièrement écho dans la situation actuelle. Suite d’hier.
Dans exactement 9 kilomètres, j’arriverai à Auschwitz, 75 années après la libération de ses camps par l’Armée rouge. À ce même moment, le violon d’Itzhak Perlman joue la trame sonore de la Liste de Schindler à plein volume dans ma tête.
Mes émotions sont mitigées. Je suis un ancien enseignant d’histoire et j’ai enseigné le cours d’histoire du 20e siècle à plusieurs reprises. J’ai, entre autres, abordé les guerres mondiales, certes, mais aussi l’Holocauste. J’ai toujours trouvé cela particulièrement rassurant de constater à quel point nos jeunes ne comprennent pas comment l’humanité a pu se rendre là, comment elle a pu franchir une ligne rouge tracée du sang de nos ancêtres. Ils sont nés à l’ère de l’ouverture des frontières et des campagnes de sensibilisation contre l’intimidation, l’homophobie, le racisme et j’en passe : j’ose croire que l’humanité est entre bonnes mains et qu’elle apprend, enfin, des erreurs du passé.
Donc, me voilà devant le fameux portique « ARBEIT MACHT FREI » (bel et bien écrit en majuscules) ou ironiquement, « le travail rend libre », gracieuseté de l’infâme Rudolph Höss, ancien directeur d’Auschwitz I. J’avale déjà de travers et j’ai les jambes un peu molles. Je suis à la fois excité d’être là, car c’est un rêve d’enseignant d’histoire, mais en même temps, j’ai deux sentiments contradictoires au premier : d’une part, je me sens voyeur d’un désastre humain d’une ampleur incommensurable et, d’autre part, je me sens triste de faire partie de cette humanité, ou plutôt de cette situation déshumanisante.
Comme mes élèves, même si je l’ai expliqué quelques centaines de fois, je me pose la même question : comment en sommes-nous arrivés là? Comment les Nazis ont-ils pu consacrer une bonne partie de leur génie à faire le mal et tenter de trouver la façon la plus efficace pour commettre des meurtres de masse? Ça me dépasse! Seulement dans les camps d’Auschwitz, on parle d’environ 1 500 000 meurtres en quelques années seulement.
Pour me consoler dans ma peine, je me dis que je ne peux rien faire pour ces personnes, si ce n’est que d’honorer leur mémoire.
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Plus j’y pense, plus j’ai tort. Je peux faire quelque chose pour eux. Évidemment, je ne peux les ramener à la vie et les réinsérer dans la société qui les a vus disparaître, mais je peux contribuer à faire en sorte que ces situations-là ne se reproduisent plus. Mais je ne peux y arriver seul et je le sais bien.
Or, je peux compter sur la force du nombre.
En tant qu’enseignant, j’ai l’immense privilège d’avoir accès à des jeunes qui sont à l’âge où leur esprit, leur intellect et leurs valeurs sont façonnables. Je peux les éduquer, les « élever » au sens où on rend autrui toujours meilleur dans une perspective de mentalité de croissance. Les valeurs d’ouverture, de tolérance et de respect, je peux les faire vivre, leur donner un sens dans l’esprit de nos élèves. Je peux les rendre tangibles et faire en sorte que les jeunes les incarnent réellement. Oui, je sais, ce n’est pas facile d’enseigner des valeurs, de développer des compétences humaines, des savoirs-être, etc. Il y a un programme à couvrir et de la « matière à passer ». Or, à quoi bon enseigner, par exemple, les sciences, les maths ou les langues si cela est pour être utilisé sans éthique? Il faut non seulement enseigner le contenu, mais surtout le cadre dans lequel ce contenu doit être utilisé et les limites à respecter. Également, la question n’est pas de distinguer les contenus disciplinaires et les compétences humaines à enseigner : les deux peuvent se faire en même temps.
Les parents ont aussi un rôle important à jouer puisque le transfert dans la vie des jeunes se fera à leurs côté.
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Pendant que je reviens de Birkenau et que je marche à travers des baraques effondrées, je discute avec David, notre guide, qui nous a donné plusieurs détails à glacer le sang à propos de ce que se dressait devant nos yeux. Je lui demande s’il gagne sa vie à guider des touristes au sein des camps de la mort à Auschwitz. Il me répond que oui. Il est originaire de la banlieue de Chicago et sa mère est polonaise d’origine juive. Au décès de son père, cette dernière est revenue vivre à Cracovie et il a décidé de la suivre. Il me dit qu’à chaque année, le camp, devenu musée aujourd’hui, accueille environ deux millions de visiteurs. C’est sa façon de contribuer à la mémoire collective pour ainsi faire en sorte que de telles atrocités ne se reproduisent plus jamais.
Une fois de plus, ça me rappelle que la force du nombre en éducation peut contribuer à créer un monde inclusif et tolérant.