Ça y est, l’ordre traditionnel des choses est inversé; les plus jeunes font désormais la morale à leurs ancêtres. Depuis la nuit des temps, il semblait inéluctable que cette morale se fasse nécessairement dans le sens traditionnel : des plus vieux vers les plus jeunes. C’est pratiquement le cas dans tous les systèmes scolaires : les uns, plus expérimentés et mieux instruits éduquent la postérité. Nos jeunes nous servent désormais notre propre médecine. Après la « classe inversée », assistons-nous à l’ « éducation inversée »?
Greta Thunberg vient mettre du sable dans l’engrenage. En matière d’environnement, elle n’accepte pas de se faire dicter le pas par des adultes qui n’ont pas su démontrer avoir fait le nécessaire pour sauver la planète. Le point de non-retour est atteint : le cycle de la confiance, longtemps mis à rude épreuve, s’est finalement brisé et la jeune femme prend les choses en main. En fait, des millions de jeunes issus des quatre coins du monde prennent désormais les choses en main.
Greta met en jeu ce qui lui est le plus cher : sa démarche d’éducation. Depuis un peu plus d’un an, la jeune activiste fait la grève scolaire les vendredis après-midi pour aller protester au parlement suédois contre ce qu’elle estime être le désengagement des décideurs pour résoudre de façon durable la crise climatique.
Trois réflexions s’imposent.
Un espace « sécurisant et fertile »?
Dans un premier temps, comment une jeune peut-elle s’absenter de l’école l’équivalent d’un après-midi par semaine et, aussi, comment peut-elle oser manquer l’école pour traverser l’Atlantique en voilier et aller militer en Amérique du Nord? La réponse est facile! Si nous considérons qu’« éduquer, c’est donner à la génération suivante un espace sécurisant et fertile (…) » (Gopnik, 2017), les jeunes pourraient être tentés de poser la question qui tue : quel est cet espace sécurisant et fertile? À quoi ça sert d’aller en classe, apprendre des choses, développer des compétences pour ensuite tout réinvestir dans un monde qui se dérègle? À quoi ça sert d’apprendre à résoudre des problématiques complexes si tout est perdu d’avance? Je vous rappelle qu’on parle ici d’un dérèglement climatique. Ce que nous tenons pour acquis depuis des lustres est en train de changer et de menacer l’humanité entière. Pourquoi aller à l’école si leur vie est menacée? À quoi bon aller à l’école s’ils sont d’abord occupés à survivre? Ils mettent en jeu ce qu’ils devraient avoir et qu’ils estiment ne plus avoir : un futur.
Libres de penser et d’agir?
En second lieu, nous les éduquons à développer leur esprit critique et à développer leur compétence à collaborer, à se mobiliser et à se responsabiliser. Nous voulons en faire des citoyens libres de penser et d’agir dans un système démocratique, alors que nous leur imposons une dictature climatique. Lorsqu’ils transfèrent ces compétences dans des contextes authentiques ou qu’ils transforment leurs connaissances et les mettent au service de leurs actions, nous les critiquons ou remettons en question leur démarche. Cela est profondément paradoxal, non?
Fini, le temps de reporter au suivant?
Troisièmement, les adultes comprennent mal les aspirations de ces jeunes pour qui ils se sont sacrifiés. Ces enfants gâtés se plaignent de quoi au juste? En fait, ils protestent par souci d’équité. Nous les avons élevés dans un monde dans lequel ils ne pourront vraisemblablement pas jouir des mêmes bénéfices que leurs parents. Ces parents pouvaient toujours profiter de la vie sans se soucier des conséquences climatiques de leurs gestes, mais nos jeunes n’ont plus ce luxe. La longue chaine où les conséquences de nos actions sont portées au suivant vient de se rompre. Nos jeunes militent pour le climat, certes, mais surtout, ils militent pour un principe élémentaire d’équité.
(…) à défaut d’avoir fait ce qu’il fallait pour préserver l’équilibre climatique, nous leur avons fourni les bons outils pour prendre leur place dans un monde où les adultes prennent parfois toute la place.
Ceux qui marcheront dans la rue aujourd’hui ou ailleurs, le font pour les bonnes raisons, et ce, que cela plaise ou non aux adultes. En fait, nous devrions être fiers d’eux. Même, nous devrions être fiers de nous : à défaut d’avoir fait ce qu’il fallait pour préserver l’équilibre climatique, nous leur avons fourni les bons outils pour prendre leur place dans un monde où les adultes prennent parfois toute la place. Nos jeunes ont un courage que nous n’avons pas. Ils prennent la situation en main. C’est une bonne nouvelle! N’est-ce pas pour cela que nous sommes en éducation? Ils ont été mis au monde et il faut désormais les écouter.
Gopnik, A. (2017). Halte au surinvestissement parental! (Interview par Audrey Minart). Sciences Humaines, 297(11), 30–33.