Par Mario Richard, Marilyn Baillargeon et Steve Bissonnette de l’Université TÉLUQ.
Le Québec connaît une pénurie enseignante sans précédent. Afin de pourvoir des postes qui demeurent vacants, les milieux scolaires font massivement appel à des personnes non légalement qualifiées (NLQ) ne détenant pas de brevet d’enseignement.
Plus du quart des enseignants qui ont travaillé au cours de l’année 2020-2021 étaient non légalement qualifiés, selon les plus récentes données du ministère de l’Éducation et du Vérificateur général du Québec. Rien n’indique que les choses se sont améliorées depuis, bien au contraire. « Il s’agit de plus de 30 000 enseignants, principalement des suppléants, qui ont travaillé l’équivalent de 8,3 % des jours totaux travaillés par l’ensemble des enseignants. »
La baisse des admissions dans les programmes de formation des maitres et l’accélération des départs à la retraite des enseignants expérimentés d’ici 2030 risquent de rendre cette pénurie encore plus critique.
Face à cette situation, le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) a pris position en novembre 2023, reconnaissant les enseignants non légalement qualifiés comme une ressource essentielle. « Le Québec dispose d’un bassin de personnes susceptibles de changer de carrière ou de régulariser leur situation pour enseigner. »
Toutefois, afin d’assurer la qualité de l’enseignement offert aux élèves, il est essentiel de former adéquatement ces enseignants. Dans une enquête publiée récemment par deux chercheuses de l’Université TÉLUQ, sur les enseignants non légalement qualifiés au Québec, 84 % des répondants ont indiqué souhaiter suivre une formation qui les conduirait au brevet.
Quel genre de formation est souhaitable et surtout, réaliste ? En tant que professeurs chercheurs en enseignement à l’université TÉLUQ, oeuvrant en formation continue des enseignants, c’est à cette question que nous allons tenter de répondre dans cet article.
Des formations offertes par des universités
Quelques universités ont pris l’initiative de développer des formations adaptées, en réponse à la demande du ministre de l’Éducation d’élaborer des programmes courts menant au brevet d’enseignement.
L’Université de Sherbrooke a mis en place le parcours PROF au premier cycle. L’UQAM expérimente quant à elle un diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) dans le cadre d’un projet pilote pour l’enseignement primaire, tandis que l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) propose une formation similaire axée sur l’enseignement au secondaire.
De son côté, l’Université TÉLUQ a développé un DESS en éducation préscolaire et enseignement primaire spécialement conçu pour accélérer la formation de mise à niveau des enseignants NLQ. Ce programme, offert à distance et en collaboration avec les établissements scolaires, est particulièrement adapté aux enseignants sans brevet détenant un baccalauréat dans une discipline pertinente. Le parcours, offert à temps partiel, permet de concilier travail, études et vie personnelle.
Depuis sa mise en œuvre en 2019, ce programme de 30 crédits de deuxième cycle a permis à des centaines d’enseignants d’une cinquantaine de centres de services scolaires de bénéficier d’un accompagnement personnalisé et d’une formation adaptée à leur contexte professionnel.
Les formations de courte durée sont mieux adaptées
Ces programmes ont tous en commun d’être d’une durée plus courte que le baccalauréat en enseignement traditionnellement enseigné dans les universités québécoises.
Les diplômés de ces nouveaux programmes pourront ainsi obtenir leur brevet d’enseignement à la suite d’un amendement au projet de loi 23 sur la gouvernance en éducation, adopté en décembre 2023.
Cette situation en préoccupe plusieurs dans le milieu de l’enseignement, dont l’Association des doyens et directeurs pour l’étude et la recherche en éducation au Québec (ADEREQ). On estime que ces programmes n’ont jamais été évalués avant d’être reconnus officiellement par le gouvernement. Il y a aussi des remous politiques : selon la députée solidaire Ruba Ghazal, on ne peut résoudre la pénurie de main-d’œuvre « en ignorant tous les mécanismes qui existent ».
Nous estimons de notre côté que des arguments majeurs militent en faveur de ces formations de courte durée.
D’une part, elles répondent aux besoins spécifiques des adultes, offrant reconnaissance des acquis, flexibilité et soutien nécessaire à ceux qui jonglent entre diverses responsabilités. Selon le CSE, les programmes de baccalauréat et de maîtrise qualifiante ne répondent pas aux besoins de formation d’adultes, « notamment en matière de reconnaissance des acquis et des compétences ainsi que d’accommodements pour la conciliation travail-famille-études ».
D’autre part, les données de recherche sont encourageantes. En effet, des chercheurs américains ont comparé, grâce à une méta-analyse de 12 études réalisées entre 1998 et 2015, les résultats des élèves encadrés par des enseignants ayant suivi une formation alternative de courte durée, à ceux d’enseignants ayant complété une formation traditionnelle de plus longue durée.
Les résultats montrent globalement un effet positif et significatif des formations alternatives comparativement aux formations traditionnelles en enseignement. Ces données positives ont été reconfirmées par une étude américaine publiée en 2023 dans laquelle les effets du programme alternatif Teach for America (TFA) ont été analysés sur une période de plus de 10 ans. TFA est un organisme à but non lucratif qui offre une formation abrégée à de futurs enseignants qui s’engagent ensuite à œuvrer dans des écoles de milieux défavorisés.
De meilleurs résultats pour les élèves
Avec la collaboration du Bureau de statistiques et d’imputabilité du Centre de services scolaire (CSS) Marguerite-Bourgeoys, nous avons analysé les performances des élèves encadrés par des enseignants du DESS en éducation préscolaire et enseignement primaire de l’Université TÉLUQ au cours de l’année 2022-2023.
Avant même d’avoir complété leur formation, une majorité de ces enseignants ont conduit leurs élèves à de meilleurs résultats scolaires par rapport à leurs homologues qualifiés. En effet, près des deux tiers (64 %) de leurs élèves ont obtenu des notes de fin d’année supérieures en français et 57 % en mathématiques, comparativement à celles des élèves de même niveau et du même indice de milieu socioéconomique qui sont suivis par des enseignants détenant un brevet.
Bien que ces données soient préliminaires et issues d’un échantillon limité (14 enseignants étudiants), ces résultats vont dans le même sens que les données probantes obtenues par les études anglo-saxonnes.
Dans le contexte de pénurie qui prévaut actuellement, le Québec ne peut que se réjouir du fait que des personnes souhaitent se réorienter vers l’enseignement. Ceci vient confirmer, comme le soutient le CSE, que la diversification des voies d’accès à la profession peut contribuer à soutenir une formation de qualité pour les milliers de personnes sans brevet qui enseignent déjà quotidiennement aux élèves et, de surcroît, à valoriser leur apport et leur expérience.
Par Mario Richard, professeur titulaire, Marilyn Baillargeon, professeure, et Steve Bissonnette, professeur titulaire au département d’éducation, de l’Université TÉLUQ
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.