Le programme de prévention de la violence par la philo de l’organisme La Traversée a été implanté graduellement à partir de 2001. Cette année, il sera proposé à trois nouvelles écoles de la Commission scolaire Marie-Victorin, sur la Rive-Sud de Montréal, pour un total de 17! Reportage en classe.
Pourquoi ses camarades ignorent-ils Héloïse? Assis en cercle, les 23 élèves de troisième et quatrième année d’Anne-Marie-Fréchette, de l’école innovatrice des Quatre-Saisons, à Longueuil, vont prendre trente minutes pour discuter de la question. Ces enfants de 9 et 10 ans ignorent tout de Socrate, Platon et Aristote, mais ils participent tout de même à une vraie discussion philosophique, à partir de romans écrits pour eux. Après un bref rappel de l’histoire d’Héloïse lue lors de l’atelier précédent, la discussion est lancée. Les enfants sont d’abord invités par leur enseignante à définir ce que signifie « ignorer quelqu’un ». « C’est quand une personne n’arrête pas de nous achaler et qu’on fait comme si elle n’existait pas », commence Émile. Parmi les élèves, certains lèvent leur carton vert pour signifier leur accord. D’autres apportent des compléments de réponse.
Comme un jury
Puis l’enseignante relance la discussion avec une autre question : « Est-ce bien d’ignorer les autres? » Au fil des arguments, Mme Fréchette invite les enfants à préciser leur pensée, fait ressortir les contradictions et pose des questions. Jamais elle ne donne son opinion ou ses propres exemples. « Le plus difficile, quand on anime, c’est de trouver la bonne question », estime Mme Fréchette. Parfois, les enfants eux-mêmes interrogent leurs pairs. Le dialogue se déroule dans le plus grand respect. « L’individu est toujours protégé et il se crée une confiance dans le groupe. L’idée de quelqu’un peut être remise en question, mais on ne s’attaque pas à la personne, indique Mme Fréchette. C’est une règle de base, je remets les pendules à l’heure à chaque début d’année. »
Ces discussions de groupe, les philosophes les ont baptisées « communautés de recherche ». « La plus belle analogie, c’est celle des membres d’un jury, décrit Michel Sasseville, professeur à l’Université Laval, et l’un des créateurs de ce programme de philosophie. Les enfants agissent entre eux un peu comme les membres d’un jury le feraient. Leur mandat n’est pas de défendre un accusé ou de faire en sorte qu’il soit reconnu coupable — les enfants n’ont évidemment pas la pression de déterminer la culpabilité d’une personne —, mais le processus de réflexion est le même. Le rôle des enfants est de comprendre ce qui s’est passé. Pour y arriver, ils doivent réfléchir ensemble et dialoguer. »
Une utilité démontrée
Fin 2008, des chercheurs de l’Université du Québec à Montréal, dirigés par Serge Robert, professeur de philosophie, se sont intéressés à des philosophes en herbe de sixième année. L’étude a conclu que le programme avait contribué de manière importante au développement de la « moralité » des enfants et ce, peu importe leur milieu socio-économique. Les chercheurs ont aussi évalué que les élèves ayant participé au programme avaient de meilleures aptitudes à prévenir la violence et à établir des raisonnements abstraits. On a également découvert qu’ils étaient plus nuancés, plus critiques et moins dogmatiques dans leurs jugements.
Les bénéfices de la philosophie pour enfants ont été étudiés à travers le monde. « Les capacités de calcul, les capacités langagières, les capacités de pensée logique des enfants ont été analysées et il y a toujours un effet significatif important, indique Michel Sasseville. On a aussi constaté que l’estime de soi obtient des gains importants. L’une des raisons, c’est que les enfants qui suivent des cours de philosophie ont droit à la parole et qu’ils sont considérés comme des personnes intelligentes. »
Pour plus d’informations sur la philosophie, on peut aussi consulter ce dossier de Carrefour éducation rédigé dans le cadre de la Journée mondiale de la philosophie.
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