Voilà une nouvelle qui est passée sous le radar récemment. Un premier jalon scientifique a démontré que nos appréhensions concernant les jeunes et les médias sociaux étaient probablement exagérées.
La recherche, menée par le professeur Andrew Przybylski et la doctorante Amy Orben, tous deux rattachés à la prestigieuse Université Oxford, s’est échelonnée sur huit ans et a analysé plus de 12 500 réponses d’adolescents âgés de 10 à 15 ans.
Des impacts psychologiques négatifs mineurs
Essentiellement, la publication Social media’s enduring effect on adolescent life satisfaction démontre que la satisfaction des jeunes face à la vie est davantage axée sur le contexte familial, le cercle d’ami et tout l’aspect scolaire. Je vous rappelle que cela détonne de la conception largement diffusée par les médias et même par des chercheurs en éducation et en psychologie que les médias sociaux puissent causer, à moyen ou long terme, des dépendances, des maladies mentales et même des psychoses. Bien que cela n’est certainement exclu comme scénario, il n’en demeure pas moins que les jeunes semblent bien ancrés dans le présent et surtout, dans le réel. Justement, à cet égard, je me souviens de nos appréhensions, celles craignant que nos jeunes s’affranchissent du réel pour vivre une vie davantage fondée sur le virtuel.
Ce n’est pas tout : une autre étude des mêmes chercheurs publiée dans Nature, The association between adolescent well-being and digital technology use, remet en doute les impacts négatifs prétendus sur la psychologie de nos jeunes quant à l’utilisation des technologies numériques. Pour eux, il y a bel et bien des impacts négatifs, mais ils sont minimes, voire négligeables.
Temps d’écran et santé mentale?
Ce n’est pas tout encore! Przybylski et Orben remettent aussi en question dans Screens, Teens, and Psychological Well-Being: Evidence From Three Time-Use-Diary Studies la corrélation inéluctablement positive entre le temps d’écran et la détérioration de la santé mentale de nos adolescents. Après avoir sondé plus de 17 000 adolescents irlandais, britanniques et américains, ils en viennent à la conclusion que le discours public est alarmiste. Ils rectifient la situation en précisant qu’il y a une corrélation positive, mais elle est, une fois de plus, minime, surtout lors d’une utilisation pendant la journée. La corrélation positive « moins minime » est davantage perceptible lors d’une utilisation vers l’heure du dodo comme l’indiquent souvent les recherches sur la lumière bleue.
Alors, en tant qu’éducateurs et parents, aurions-nous pris peur et exagéré un peu la situation en ce qui concerne nos élèves?
Une question de fossé générationnel?
Ces préjugés qui sont véhiculés depuis des lunes ont révélé plusieurs choses qui me frappent :
- Nos appréhensions dictent notre vision d’un phénomène qui nous échappe, celui de l’intégration des technologies dans le quotidien des jeunes qui à plusieurs égards, pourrait nous donner des leçons d’équilibre;
- Nous sommes malheureusement décalés de la réalité de nos jeunes d’aujourd’hui. Pour nous, être un adolescent s’explique par les expériences que nous avons vécues « dans le temps », avec notre regard résolument nostalgique où « c’était mieux avant »;
- Le fossé se creuse depuis au moins une décennie et il continue de se creuser entre les générations que certains nomment les « natifs du numérique » et les « immigrants du numériques » (à ce sujet, lire Marc Prensky);
- Ce fossé, ce ne sont pas nos jeunes qui le creusent. Ce sont nous, les adultes, qui le creusons. Je crois que c’est important de le mentionner.
Je ne peux m’empêcher de lever mon chapeau à tous ceux qui ont embrassé la réalité des jeunes pour les aider à devenir des citoyens conscients de leur empreinte numérique, sachant faire preuve d’éthique dans leurs rapports réels ou virtuels avec les membres de leurs communautés respectives.
Pendant ce temps, où en est l’utilisation de la technologie dans nos classes? Un article publié le mois dernier par l’américain Benjamin Herold s’amorce de la façon suivante : « malgré un enthousiasme croissant, les enseignants du primaire et du secondaire demeurent sceptiques que les nouvelles technologies transformeront l’école publique ou qu’elles augmenteront le potentiel d’enseignement et d’apprentissage (traduction libre) ». Herold et Education Week ont également mené un sondage auprès de 700 enseignants américains qui reconnaissent que leurs écoles se sont dotées massivement de diverses technologies ces trois dernières années et, en ce qui me concerne, deux éléments préoccupants sont mis en relief :
- Seulement 29 % des enseignants sondés estiment que les technologies peuvent être un levier pour l’innovation pédagogique et les changements de pratiques professionnelles en éducation;
- Les enseignants qui utilisent les technologies font principalement ce qu’ils faisaient avant, mais en ajoutant l’ingrédient technologique pour « épicer » leurs approches traditionnelles.
Voilà qui est préoccupant, non?
Quelles conclusions tirer de toutes ces nouvelles informations?
À mon avis :
- Nous reconnaissons l’apport du technologique en santé, dans les transports publics, dans le médico-légal et dans une multitude d’autres domaines, mais pas en éducation. En éducation, le technologique, c’est une menace.
- Rappelons que, malgré le scandale de l’époque, les TNI sont arrivés massivement dans nos classes à partir de 2011 et les premiers iPads se sont retrouvés entre les mains des élèves un peu après. Dans le même sens, notons que des portables en mode 1 pour 1 sont entre les mains d’élèves depuis la fin du 20e siècle. Dois-je comprendre qu’en 2019, nous sommes toujours à l’étape de « substitution » du modèle SAMR de Ruben Puentedura?
- Pire, nous entretenons des préjugés au sujet desdites technologies en lien avec leur impact chez nos élèves, discours largement repris par les médias, le politique, lequel induit en erreur les parents qui, à son tour, alimentent leur méfiance envers les institutions scolaires et ceux qui y travaillent.
Nous creusons notre propre fossé technologique et pire, nous y entrainons nos élèves. À la base, nous avons pourtant tous une double responsabilité importante : préparer nos élèves pour les défis qui les attendent et faire en sorte que la formation qu’ils reçoivent est en adéquation avec les orientations sociales et culturelles de la société dans laquelle est implantée l’école.
Au moins, il y a du positif dans tout cela : je remarque clairement que dans les colloques, dans les congrès à vocation plus « pédagonumériques », il y a de plus en plus de nouveaux visages. Voilà une nouvelle réjouissante! Des associations de professionnels en éducation, pour les enseignants, la direction, le personnel de soutien, ainsi que des syndicats, mettent de plus en plus fréquemment la technologie à l’avant-plan dans leurs rencontres et dans les activités de formation qu’ils offrent à leurs membres. Une autre excellente nouvelle!
Sur une note humoristique…
Il semble important de se rappeler des paroles sages du groupe québécois Rock et Belles Oreilles datant des années 1980 : « l’ordinateur est notre ami »!
Aussi, si la satire vous amuse, lisez le texte de Rachel Klein, publié il y a un an dans The New Yorker, intitulé « Limiting Your Child’s Fire Time: A Guide for Concerned Paleolithic Parents ». Voilà un texte que j’aurais aimé avoir écrit 😉