L’interdiction complète des téléphones cellulaires à l’école pour la rentrée 2025 fait couler beaucoup d’encre au Québec depuis l’annonce officielle la semaine dernière par le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, qui plus est en plein Sommet du numérique en éducation.
De retour de l’événement, l’équipe de l’École branchée, organisme qui, rappelons-le, est dédié au développement professionnel du personnel scolaire à l’ère du numérique, propose une lecture nuancée de cette mesure, invitant à dépasser la simple posture d’interdiction pour réfléchir collectivement à l’éducation au numérique à l’école.
En fait, c’est la mission sociale de l’école qui est directement concernée par cette interdiction : les acteurs de l’éducation ont la responsabilité de former des citoyens éthiques, critiques et autonomes, ce qui est particulièrement important en cette ère du numérique. Cela implique, à notre avis, d’accompagner les élèves vers un usage réfléchi et éclairé des technologies — qu’il s’agisse de leurs appareils personnels ou de ceux fournis par l’école. (À cet effet, nous vous invitons à lire ou relire notre précédente prise de position : Débat sur « les écrans » : La mission de l’école est liée à la compétence numérique)
Bien que les dérives liées à l’utilisation des téléphones cellulaires en milieu scolaire soient reconnues, L’École branchée soulève une question de fond : interdire, est-ce véritablement éduquer? À ses yeux, le rôle de l’école ne peut se limiter à bannir les outils technologiques, mais doit plutôt s’inscrire dans une logique d’encadrement réfléchi et de développement de la compétence numérique et d’une citoyenneté éthique.
Dans cette perspective, l’équipe met en garde contre le risque de simplement déplacer le problème hors des murs de l’école, sans réellement s’y attaquer. Les élèves pourraient, par exemple, quitter le terrain scolaire pour utiliser leurs appareils ailleurs, soulevant des enjeux de sécurité et de supervision, notamment au secondaire. Cette réalité, déjà observée dans d’autres contextes de réglementation, préoccupe autant les familles que les directions d’école.
Instaurer un climat de dialogue et de confiance où les jeunes peuvent être entendus et jouer un rôle actif dans la définition de leur environnement scolaire semble définitivement une approche essentielle pour une solution durable. Et si cette interdiction était transformée en tremplin vers une approche plus éducative et collaborative du numérique?
Après tout, les conflits et tensions liés aux réseaux sociaux et aux communications numériques ne s’arrêtent pas aux portes de l’école. Les répercussions d’un message échangé en soirée peuvent se faire sentir dès le lendemain en classe. Ce constat milite en faveur d’une éducation proactive et structurée, plutôt que d’une gestion réactive par l’interdiction.
Ainsi, loin de rejeter d’emblée la décision ministérielle, l’École branchée y voit l’occasion de redéfinir les finalités du numérique à l’école et d’amorcer une démarche collective fondée sur la responsabilisation, l’intention pédagogique et le bien-être des jeunes.
🔧 Pistes d’action concrètes
Voici des recommandations qui ont le potentiel de devenir de véritables leviers pour repenser l’usage du numérique dans les écoles.
1. Créer un comité école-famille-élèves
- Former un groupe de réflexion réunissant membres du personnel scolaire, élèves et parents pour analyser les besoins réels liés à l’usage de l’appareil mobile personnel des élèves à l’école, rappeler les usages pédagogiques du numérique et coconstruire des balises adaptées au contexte local.
2. Encadrer les usages, pas seulement interdire
- Préférer des règlements clairs et pédagogiques à une interdiction générale : “à quoi sert l’appareil, quand et pourquoi”.
- Mettre en place un contrat d’utilisation du numérique par élève, avec accompagnement pour organiser leur interface (ex. : iPad scolaire) et déterminer les utilisations appropriées et non appropriées, incluant celle de l’intelligence artificielle.
3. Offrir des alternatives aux écrans pendant les pauses
- Créer des espaces et des activités engageantes : clubs étudiants, radio étudiante, activités sportives ou créatives, zones de détente.
- Favoriser un leadership positif des élèves pour qu’ils proposent eux-mêmes des idées entrepreneuriales ou de développement durables dans lesquelles s’investir.
4. Éduquer à la citoyenneté numérique
- Intégrer des moments de discussion, notamment à l’intérieur du cours de Culture et citoyenneté québécois (CCQ), sur :
- la gestion du temps d’écran
- l’esprit critique face aux contenus
- la communication en ligne vs. en personne
- Faire de chaque utilisation d’un appareil numérique un geste intentionnel et réfléchi.
5. Ouvrir un dialogue franc avec les parents
- Proposer aux familles des questions simples pour amorcer la discussion avec leur enfant pour mieux comprendre l’impact de l’interdiction des cellulaires à l’école sur leur quotidien :
- À quoi sert ton téléphone dans ta journée?
- Qu’est-ce qui va te manquer quand tu n’y auras plus accès?
- Quelles sont tes habitudes d’utilisation de ton cellulaire et celles de tes amis(es) durant les pauses ou l’heure du dîner?
- Envisager l’envoi d’un guide de discussion et d’encadrement familial ou d’un aide-mémoire sur les bonnes pratiques numériques pour les guider vers un usage équilibré.
6. Mieux soutenir les enseignant(e)s
- Éviter que le fardeau de l’encadrement du numérique repose uniquement sur eux.
- Offrir des formations sur l’intégration pédagogique du numérique et de l’intelligence artificielle.
- Créer une culture d’équipe autour de l’usage réfléchi des technologies et être des modèles pour leurs élèves.
7. Identifier des espaces-temps dédiés à la communication parent-élève
- Aménager des moments ou des lieux où les élèves peuvent communiquer avec leurs parents ou leurs employeurs (secrétariat, zone de retrait).
- Réduire les interruptions liées à des appels reçus pendant les heures de classe.
8. Soutenir la cohérence dans les usages numériques à l’école
- Clarifier l’usage des autres appareils (Chromebook, iPad, ordinateurs).
- Éviter les usages de types « récompenses numériques » sans valeur éducative.
- S’assurer que chaque usage en classe ou au service de garde soit approprié et lié à un objectif éducatif ou pédagogique.
Une invitation à coconstruire des solutions
En bref, l’équipe de l’École branchée appelle à saisir cette décision comme une occasion d’ouvrir un dialogue structuré entre l’école, les familles… et sans oublier les élèves. Pour qu’une telle mesure ait un réel impact, il faut en discuter collectivement, mettre en place des alternatives réfléchies, redonner du sens aux règles, et surtout, mobiliser les jeunes comme acteurs de leur milieu de vie.
L’équipe souligne que la collaboration école-famille-élèves est essentielle, tout comme la formation des adultes pour accompagner les usages numériques de façon cohérente. Elle insiste : il ne s’agit pas seulement d’interdire, mais d’éduquer, d’encadrer et de transformer cette contrainte en levier d’innovation éducative.
Si le dialogue est ouvert dans votre milieu et que vous souhaitez partager votre démarche avec notre équipe et nos lecteurs, écrivez-nous!