Les tentatives passées d’automatisation du travail enseignant ont la plupart du temps échoué (Rensfeldt et Rahm, 2023). Mais depuis l’émergence des IA génératives comme ChatGPT, les spéculations vont bon train sur leur capacité à transformer — voire remplacer — certaines fonctions en éducation.
Pourtant, rares sont les études qui confrontent ces technologies aux exigences concrètes de la profession enseignante. C’est précisément ce qu’ont souhaité valider Alexandre Lepage, Samira Karim et Florent Michelot de l’Université Concordia. Ils ont présenté leurs conclusions lors du dernier Colloque international en éducation organisé par le Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE), à Montréal.
Un cadre d’analyse : le référentiel de compétences professionnelles
Pour explorer cette question, les chercheurs se sont appuyés sur le référentiel de compétences professionnelles des enseignants du Québec, un document officiel qui structure leur formation et leur développement professionnel. Pour chaque compétence, ils ont identifié des mots-clés, mené une recension des écrits scientifiques et analysé les usages documentés de l’IA en contexte éducatif. Ces éléments ont ensuite été soumis aux trois chercheurs, auteurs de l’étude. Ils ont alors évalué individuellement le niveau de potentiel d’automatisation de chaque compétence : faible, moyen ou élevé. Ils ont finalement comparé leur évaluation pour en arriver à un consensus.
Un métier difficilement automatisable
Le verdict? Sur les 13 compétences évaluées, seulement quatre ont été jugées à haut potentiel d’automatisation :
- Maîtriser la langue d’enseignement
- Planifier les situations d’enseignement et d’apprentissage
- Évaluer les apprentissages
- Agir en accord avec les principes éthiques de la profession
Parmi elles, l’évaluation est la plus discutée dans la littérature, en lien avec les avancées récentes en IA générative capables de produire des rétroactions ou d’analyser des performances. Mais même dans ces cas, les chercheurs insistent : il s’agit d’un regard analytique, pas d’une invitation à automatiser ces tâches sans discernement.
Le reste des compétences – notamment celles liées à la gestion de classe, à l’accompagnement des élèves ou à la collaboration avec les familles – résistera plus longtemps à l’automatisation. Selon les chercheurs, cela s’explique par la complexité du métier, qui repose sur des compétences relationnelles, contextuelles et réflexives difficilement modélisables.

Les limites du référentiel lui-même
Fait intéressant, toujours selon les chercheurs, leur étude a permis de révéler les limites du référentiel professionnel qui a été utilisé comme base de référence. « On se rend compte que le vocabulaire et les descriptions sont souvent trop vagues. Bref, le référentiel reflète mal la réalité du terrain. Il y a un décalage entre les documents ministériels et la réalité sur le terrain. Il est donc difficile d’en faire une évaluation fine et de prétendre que nous avons réellement analysé le quotidien des enseignants. » Ils sont d’avis que ce constat pourrait alimenter une réflexion plus large sur l’identité professionnelle enseignante à l’ère de l’IA.
Et après?
Les chercheurs suggèrent plusieurs pistes pour prolonger la recherche : valider leur outil auprès d’un échantillon d’enseignants, approfondir le concept d’agentivité dans la relation humain-machine, ou encore mieux cerner les impacts systémiques — et imprévus — du recours à l’IA en classe.
Bref, l’intelligence artificielle ne semble pas prête à « réussir son stage IV », en référence aux stages de formation des futurs enseignants. Et même si elle peut soutenir certains aspects du travail, elle ne saurait remplacer la richesse humaine de l’acte d’enseigner.