Une réponse au texte « Les compétences du XXIe siècle », publié dans Le Devoir le 2 mars 2019 par le chroniqueur Normand Baillargeon.
Par Marc-André Girard
Auteur du livre « Une école bien ancrée dans le 21e siècle »
Doctorant en éducation, Université de Sherbrooke
Et Margarida Romero
Directrice du Laboratoire d’innovation et numérique pour l’éducation
Université Nice Sophia Antipolis, membre de l’Université Côte d’Azur
L’humain démontre ses compétences dans tous les contextes où il mobilise ses connaissances dans diverses situations authentiques, et ce, depuis toujours. Les compétences sont une manifestation de l’esprit humain et elles ont toujours été centrales dans l’exercice d’une pléthore d’activités de nature scolaire ou autres. L’appellation des « compétences du 21e siècle » (comprenant la collaboration, la pensée critique, la créativité, la compréhension du langage des technologies de l’information et de la communication, etc.) n’est probablement pas la meilleure appellation possible, car elle pourrait laisser croire que ces dernières ont émergé exclusivement au 21e siècle. Effectivement, à titre d’exemple, la collaboration est importante en éducation depuis la nuit des temps et la créativité n’a rien de neuf non plus.
Au-delà d’une appellation controversée
Ces compétences pour le 21e siècle sont mobilisées, ensemble, essentiellement à trois fins.
Dans un premier temps, oui, le but avoué est bel et bien de « repenser de fond en comble l’éducation (…) afin de bien préparer les nouvelles générations à habiter ce monde en perpétuelle transformation qui sera le leur ». En effet, le monde de l’éducation a bel et bien besoin d’une certaine actualisation, puisque certaines approches pédagogiques et formules organisationnelles scolaires sont issues tout droit de l’époque coloniale britannique, un contexte marqué par une organisation très structurée, mais faiblement complexe si elle est comparée avec l’état actuel du monde globalisé et la plupart des situations professionnelles qui en découlent.
De plus, au-delà de ce chantier de rénovation scolaire qui semble désormais incontournable, développer les compétences pour le 21e siècle chez les élèves vise à leur permettre de savoir résoudre des problématiques complexes qui émergent (par exemple, les grandes migrations humaines) ou dont ils héritent de notre génération (par exemple, le réchauffement climatique). Il nous semble incontournable que les élèves apprennent à co-construire diverses solutions et à dépasser les limites actuelles d’un système éducatif voué à la performance individuelle décontextualisée, pour exiger davantage d’eux et ainsi permettre qu’au-delà des savoirs fondamentaux, ils puissent savoir les mobiliser dans des situations authentiques marquées d’une certaine complexité.
Enfin, un dernier objectif d’implantation des compétences pour le 21e siècle à l’école est de contribuer de manière significative au développement d’un esprit critique chez nos jeunes. Nous voulons qu’ils apprennent à penser et à critiquer leur propre démarche réflexive, certes, mais aussi qu’ils apprennent à discriminer les exaoctets d’information qui leur seront balancés au cerveau au cours de leur vie.
Bien que nous comprenions les réserves de M. Baillargeon sur l’utilisation du terme, il faut reconnaître qu’il s’agit d’un vocabulaire sur lequel plusieurs intervenants scolaires ou politiques s’entendent et qui représente sommairement ce qu’il a à expliquer. Ainsi, l’appellation fait référence aux compétences-clés pour l’épanouissement personnel et professionnel dans un contexte donné, représenté par l’acronyme VUCA : volatilité, incertitude (en anglais : uncertainty), complexité et ambiguïté. Dans un contexte VUCA, les connaissances ne sont pas suffisantes et doivent être accompagnées de compétences transversales pour pouvoir agir dans des situations davantage complexes et incertaines.
Ça, les Finlandais l’ont bien compris en choisissant d’écarter l’approche disciplinaire au profit de l’approche transversale…
Une école bien ancrée dans le 21e siècle
En soutien aux stratégies pédagogiques déployées pour contribuer aux compétences de nos élèves, nous croyons que l’école a également un travail à accomplir, principalement à trois égards :
- Elle doit repenser les espaces pédagogiques pour faciliter la collaboration, certes, mais aussi, devenir un lieu de rassemblement où il fait bon vivre. De plus en plus d’écoles travaillent en ce sens. Entre autres, les bibliothèques scolaires deviennent, pour plusieurs, l’épicentre de ces changements offrant à la fois de grands espaces, des ressources technologiques et un accès facilité à la connaissance.
- Elle doit donner accès aux outils les plus adaptés pour la création et la résolution de problématiques authentiques, lesquelles surviendront potentiellement dans les études supérieures de nos élèves ainsi que sur le marché du travail où ils évolueront. Nous pensons, entre autres, à des logiciels de conception 3D, de dessin vectoriel comme nous pensons aussi à des appareils portatifs et même, à des machines à coudre.
- Elle doit revoir l’aménagement du temps scolaire. Est-ce que toute l’activité étudiante doit nécessairement être régie par des cloches qui sonnent à des intervalles réguliers, annonçant le début ou la fin d’une période? Peut-être devrait-on revoir le Régime pédagogique prescrivant les 900 heures de cours annuellement ou les étaler pour une fréquentation scolaire échelonnée sur une année complète où tous les élèves pourraient fréquenter l’école, sans égard aux vacances? Oui, une école accessible 365 jours par année peut être à envisager, notamment dans les quartiers défavorisés.
Essentiellement, les compétences pour le 21e siècle sont un appel au décloisonnement des approches pédagogiques et des structures organisationnelles ainsi qu’à l’ouverture de l’école sur une approche participative où les acteurs éducatifs collaborent avec les acteurs de terrain. Pour travailler ces compétences, il faut diversifier les approches pédagogiques et éviter l’effet de monoculture d’une seule approche pour retrouver une diversité de méthodologies permettant tant l’acquisition des fondamentaux comme la mobilisation des compétences dans des situations d’apprentissage d’une certaine complexité.
Cette approche par compétences pour le 21e siècle fait appel à une vision transversale et à la nécessité de cesser le morcellement des contenus pédagogiques pour enfin envisager les problématiques ou les thématiques dans leur globalité.
Attention au dogmatisme!
Enfin, il nous semble incontournable de mentionner que les réflexions en éducation, dans leur rapport au savoir, doivent être évolutives et considérées comme étant en constante mutation. À partir du moment où un sujet est considéré comme étant inadmissible par la « recherche crédible » par manque de données probantes, nous cessons d’en reconnaître la complexité et faisons un pas de plus vers le dogmatisme. À notre avis, c’est davantage cela qui est une « avance qui donne du retard » en éducation. En effet, depuis des dizaines d’années, on voit l’émergence d’une pensée souvent réductionniste qui tranche de façon binaire et manichéiste : ce qui est bon ou non en éducation, ce qui est fondé ou relève du mythe et de la légende, etc. Ne faudrait-il pas se fier au jugement professionnel de l’enseignant qui détermine ce qui est le mieux pour les élèves au moment propice, ce qui, de facto, n’exclut aucunement les conclusions de la recherche en éducation?
À ce titre, nous estimons que les compétences pour le 21e siècle sont, justement, un tremplin de choix pour le monde scolaire vers une école bienveillante, à l’avant-garde des besoins de nos jeunes.