
Par Isabelle Carignan, Ph.D., Université TÉLUQ ; Annie Roy-Charland, Université de Moncton et Marie-Christine Beaudry, Université du Québec à Montréal (UQAM)
L’organisation d’activités culturelles dans le milieu scolaire peut être considérée comme une tâche supplémentaire pour de nombreux enseignants. En effet, sortir du cadre habituel pour assister à une pièce de théâtre ou inviter un artiste dans sa classe est souvent perçu comme une surcharge de travail plutôt qu’une possibilité d’aller plus loin dans son enseignement.
Dans un contexte minoritaire francophone, comme celui de la communauté franco-ontarienne, ces défis prennent une dimension encore plus grande. Pourquoi ? Parce que dans ce cadre, le milieu culturel francophone se bat au quotidien pour sa survie, tentant de démontrer sa pertinence et sa richesse dans une société majoritairement anglophone.
Il est donc essentiel d’innover et de faire preuve de créativité pour favoriser la construction identitaire des élèves francophones provenant d’un milieu anglo-dominant. En d’autres termes, il faut déployer les efforts nécessaires pour développer un sentiment d’appartenance à la culture francophone dans un contexte où le français n’est pas la langue majoritaire.
Nous sommes un groupe de chercheures multidisciplinaires qui s’intéressent à la littératie, à la culture à l’école, à la relation famille-école-communauté et à la psychologie. Nous menons actuellement une étude, en partenariat avec le Théâtre du Nouvel-Ontario (TNO), qui vise notamment à documenter un projet dont l’objectif est de favoriser la collaboration entre le milieu culturel et le milieu scolaire, en milieu francophone minoritaire.
Démocratiser le milieu culturel
Une initiative spéciale a été menée par le TNO, un organisme culturel de Sudbury, dans la province de l’Ontario.
Dans le cadre de sa programmation 2024-2025, le TNO a eu l’idée originale de mettre de l’avant des membres de la communauté – jeunes et adultes de tous les âges – en tant que porte-paroles des pièces de théâtre.
Ces personnes ont prêté leur visage (d’abord caché) pour les affiches promotionnelles des spectacles. Les visages de la communauté ont par la suite été découverts lors du dévoilement de la programmation théâtrale.
Des élèves du primaire ainsi que des membres de la communauté, dont le recteur et vice-chancelier de l’Université de Sudbury, Serge Miville, ont prêté leur visage pour l’une des pièces de théâtre à l’affiche.
Les membres de la communauté deviennent ici des agents facilitateurs pour favoriser la promotion de la culture.
La collaboration famille-communauté est aussi mise de l’avant pour les jeunes, qui deviennent des porte-paroles. Sans l’implication de parents engagés, cette expérience enrichissante est impossible.
Cette proximité entre la communauté et le milieu culturel permet au grand public de constater que le théâtre peut être accessible à tous et n’est pas seulement réservé à une élite intellectuelle.

Qu’est-ce qu’un agent facilitateur ?
Un agent facilitateur est une personne-clé qui joue, par exemple, un rôle de liaison et qui facilite la communication entre le milieu scolaire et le milieu culturel. L’agent facilitateur peut être un parent, un enseignant, ou encore un conseiller pédagogique, et agit comme un pont. En d’autres mots, l’agent facilitateur permet à l’information de circuler, aux initiatives de se concrétiser et aux collaborations de naitre.
Ces agents facilitateurs, passionnés de culture, sont comme des responsables des relations publiques : ils diffusent l’information, suscitent l’intérêt et proposent des modalités concrètes de participation.
En contexte francophone minoritaire, cette « courroie de transmission » est essentielle pour créer des liens entre les différents milieux et développer des projets culturels porteurs de sens pour la survie de la langue française.
Rejoindre son public
Dans le cadre de l’initiative du TNO, l’une des pièces de la programmation était Clémentine, une histoire (vraie).
Pour promouvoir davantage la pièce destinée au jeune public, la porte-parole, alors âgée de 11 ans, s’est prêtée au jeu d’enregistrer une capsule audio dans les studios de la radio Le Loup FM de Sudbury.
Cette implication directe a permis de donner un visage familier de la communauté à la campagne et de susciter l’intérêt du public cible de cette pièce, soit les 6 à 10 ans.
L’agent facilitateur ici a été le parent de la porte-parole, qui a également permis à son enfant de faire la promotion de la pièce sur Facebook et Instagram quelques jours avant le spectacle, par l’entremise d’une courte vidéo maison.
Piquer la curiosité
Le parent jouant le rôle d’agent facilitateur a fait aussi le pont avec la direction de l’école pilote participante au projet, l’école publique Hélène-Gravel, pour organiser un concours. De ce fait, des affiches de la pièce Clémentine, une histoire (vraie) ont été placées partout dans l’école avec l’inscription suivante :
Une élève de ton école est ambassadrice de ce spectacle. Qui est-ce ?
Cette approche ludique a capté l’attention des élèves, qui ont tenté de percer le mystère. Un tirage de deux forfaits familiaux a eu lieu et a permis à des élèves d’assister à un spectacle jeunesse du TNO avec leur famille.
Cette collaboration a ensuite mené à des ateliers de médiation culturelle. Ces ateliers sont des activités conçues pour permettre la rencontre entre un public (ici les élèves) et une œuvre (la pièce de théâtre). En d’autres mots, l’objectif est de rendre la culture accessible à tous et de préparer les élèves pour leur sortie théâtrale afin de maximiser leurs apprentissages.
Préparer les élèves à vivre une expérience théâtrale
Dans la continuité de cette démarche, trois classes de 3e et 4e années du primaire ont participé à un atelier de préparation animé par l’équipe du TNO. Grâce à l’implication du parent facilitateur, le contact entre l’école et le milieu théâtral a pu être établi plus facilement.
L’atelier préparait les élèves à leur sortie au théâtre en présentant les thématiques de la pièce, les conventions propres à cet art (scène, lumière, rôle du spectateur, etc.), ainsi qu’une initiation au théâtre d’objets, forme artistique de la pièce Clémentine.
Pour les élèves dont le français n’est pas la langue parlée à la maison, cet accompagnement est d’autant plus précieux.
Une enseignante d’une classe réputée difficile nous a même rapporté que ses élèves n’avaient jamais été aussi concentrés et engagés qu’au cours de cet atelier.
De plus, grâce à un autre parent engagé pour qui la culture francophone est importante, un témoignage d’une élève a pu être réalisé tout de suite après avoir vu Clémentine. L’élève en question a fait part de son appréciation et celle-ci a ensuite été publiée dans Facebook.
Par ailleurs, un article dans le journal franco-ontarien Tapage a été écrit par la porte-parole de Clémentine pour revenir sur son expérience. Son enseignant a ensuite repris cet article pour son propre enseignement du reportage, en 6e année.
L’importance des agents facilitateurs
Pour maximiser l’impact de telles initiatives, il est crucial que les informations circulent efficacement, particulièrement par l’entremise des agents facilitateurs, puisque ceux-ci assurent un relais efficace.
La collaboration proactive entre l’école, la famille, la communauté et le milieu culturel constitue un levier puissant pour renforcer la vitalité de la culture francophone en milieu minoritaire.
Il suffit parfois d’un courriel, d’une idée partagée ou d’un parent engagé pour faire naitre un projet qui marquera les élèves de façon durable.
L’école doit indéniablement devenir un tremplin vers la culture pour assurer l’avenir de la francophonie en contexte minoritaire.
Les auteures tiennent à remercier les cochercheurs pour leur contribution : Marie-Pierre Proulx (directrice artistique) et Maxime Cayouette (médiateur culturel) du Théâtre du Nouvel-Ontario ainsi que Mireille Ménard, conseillère pédagogique du Conseil scolaire du Grand Nord. Merci également à Mme Sylvie Martel, directrice de l’école publique Hélène-Gravel, pour son ouverture d’esprit et sa flexibilité.
Par Isabelle Carignan, Ph.D., Professeure titulaire en éducation, Université TÉLUQ ; Annie Roy-Charland, Professeure titulaire en psychologie, Université de Moncton et Marie-Christine Beaudry, Professeure en didactique du français, Université du Québec à Montréal (UQAM)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.






