Par Brigitte Guillet, enseignante au primaire, École Hamel, Commission scolaire des Hautes-Rivières. Titulaire d’un DESS en éducation (Université de Sherbrooke) et d’un certificat de 1er cycle en Intégration des logiciels-outils dans l’enseignement (TÉLUQ) et étudiante au programme-court de 2e cycle en Technologie Éducative (TÉLUQ).
Après une adaptation forcée des enseignants en matière d’utilisation des outils numériques durant la pandémie à la Covid-19, le retour en classe pour l’année 21-22 s’est fait de différentes manières pour plusieurs en matière de numérique. Plus que jamais, il sera important pour les écoles de maximiser les formations des enseignants en matière de numérique afin de contrer la croissance de la fracture numérique en éducation.
1. Établir une liste des besoins réels des enseignants et du personnel scolaire en matière de numérique
- Recueillir les données sur les besoins des enseignants en posant des questions précises sur leurs niveaux de compétence et d’aisance avec des outils numériques précis.
- Proposer une liste de formation susceptible de les intéresser : comme plusieurs peuvent encore être néophytes par rapport à certaines technologies ou outils numériques, il se peut qu’il leur soit difficile de nommer avec précision leurs besoins de formation.
- Démontrer comment la formation sera utile dans le quotidien de l’enseignant et comment il sera possible de l’appliquer concrètement en classe avec les élèves : cela peut diriger plus facilement les choix des enseignants en leur permettant de choisir en cohérence avec leurs pratiques pédagogiques actuelles.
- Inclure les autres membres du personnel scolaire qui composent l’école : adjointes administratives, éducatrices du service de garde, techniciennes en éducation spécialisée, etc.
2. Offrir des formations adaptées aux besoins des enseignants et du personnel scolaire.
- Séparer les enseignants par type de besoins et niveau de compétence pour permettre de maximiser les formations.
- Prévoir des libérations par petits groupes et les coordonner dans des moments-clés afin de maximiser les ressources (formateurs et suppléants) et de permettre des échanges plus riches.
- Prévoir des moments de libération pour la formation à distance, soit avec un conseiller pédagogique ou pour se former sur des plateformes disponibles en ligne.
- Prévoir du matériel en version papier pour soutenir les apprentissages des enseignants : un cartable de ressources et de tutoriels et un babillard de partage des nouvelles du numérique peuvent être placés à des endroits stratégiques.
3. Éduquer autant les élèves que les enseignants à la nécessité d’intégrer le numérique en classe.
- Valoriser la technologie comme un outil de travail ayant une valeur ajoutée autant motivationnelle, pédagogique que pratique.
- Proposer une intégration du numérique à la hauteur du savoir-faire de chacun : un petit pas pour chaque enseignant est en grand pas pour l’ensemble des élèves du réseau éducatif!
- Créer une banque de pratique ou de partage interactive entre les différents membres de l’école (canaux TEAMS, HyperDoc, groupe Facebook, blogue, forum de discussion partagé…).
- Fournir une liste de « pratiques gagnantes numériques » à instaurer au quotidien.
- Éduquer à la citoyenneté numérique : développer le sens critique de chacun et les rendre plus responsables dans l’utilisation des technologies.
4. Inclure les visées pédagogiques concernant le développement du numérique et les besoins en formation dans le Plan de réussite de l’école (MEES, 2005).
- Développer une gradation dans les apprentissages numériques des élèves et des enseignants.
- S’assurer une cohérence et une cohésion au niveau de toute l’école.
- S’assurer que tous les enseignants participent et s’investissent dans la formation numérique (tant la leur que celle des élèves).
- Permettre une répartition logique et efficace des formations des enseignants.
Vaincre la fracture numérique
Le concept de fracture numérique, introduit dans les années 1990 par l’OCDE, a depuis fait l’objet de nombreuses recherches dans le monde. En 2003, le Centre de Données et de Recherche du Canada (Looker et Thiessen, 2003) indiquait déjà que leur étude portant sur les facteurs-clés de la fracture numérique « fait ressortir le rôle important qui peut être joué par les écoles en ce qui a trait à la promotion de l’accès aux TIC et de l’utilisation de ces dernières ». Ils concluaient alors qu’il était important que l’école crée davantage d’occasions d’utilisation des TIC tout en les incluant, de manière pertinente, à même les tâches scolaires comme outil de travail.
De récentes études de l’OCDE ont démontré que les enseignants, durant les périodes d’enseignement à distance, ont été forcés de s’adapter aux outils numériques sans nécessairement bénéficier d’un soutien planifié et soutenu (Remiers et Scheiders, 2020a et b). Cela aurait créé beaucoup de stress et d’anxiété chez plusieurs, qui ont été forcés d’évoluer hors de leur zone proximale de développement.
En juin 2021, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) a proposé différentes pistes pour contrer la fracture numérique grandissante dans un document synthèse sur les inégalités numériques et technologiques. Entre autres, elle propose de « Soutenir la transition numérique dans les établissements publics », ceci incluant les nombreuses écoles du Québec. En effet, les investissements prévus par le Plan d’action numérique (MEES, 2018) devraient apporter une certaine uniformité au niveau des infrastructures. Toutefois, il importe de fournir aux enseignants les conditions nécessaires pour se former adéquatement afin de rendre l’intégration des technologies en enseignement plus efficace, cohérent et significatif.
L’importance de la formation des enseignants
Pour ce faire, il est important de réfléchir à la formation des enseignants pour établir un plan assez précis de ce qui est nécessaire dans chacune des écoles. En effet, la planification des formations par les directions doit se faire selon les besoins qui émanent des enseignants (article 96.20 de la LIP). Par contre, il est parfois difficile, pour les enseignants, de se positionner sur leurs propres besoins en matière de développement numérique. Ils ne connaissent pas nécessairement les formations qui sont disponibles, la forme qu’elles peuvent prendre ou le sujet sur lesquelles elles peuvent porter.
Encore plus important maintenant avec la pénurie grandissante d’enseignants est de coordonner judicieusement les moments qui seront prévus dans leur tâche enseignante pour suivre ses formations et de prévoir les personnes-ressources nécessaires pour les épauler. Une discussion entre les différents membres de l’équipe-école s’impose donc et le rôle de la direction en tant que leader technopédagogique de l’école sera plus que jamais sollicité!
« Pour que chacune et chacun comprenne la logique de l’ensemble et en quoi son action y contribue, la réflexion collective devrait définir l’ensemble des rôles et des responsabilités dans une perspective systémique, sans oublier le rôle des leaders pédagogiques. »
(MEES, 2020)
Les élèves comme ressources technopédagogiques
Plusieurs classes et écoles ont déjà mis de l’avant cette pratique pédagogique novatrice : un petit groupe d’élèves formés spécifiquement pour assurer un soutien technologique de première ligne dans l’école. Ces élèves ont pour mission d’aller aider ponctuellement dans les classes et d’offrir un soutien additionnel aux enseignants et aux élèves en matière de technologie. En plus de procurer un immense sentiment de fierté aux élèves qui en font partie, cette « escouade » permet de développer leurs compétences technologiques et ceux de leurs pairs tout en favorisant des interactions sociales positives.
Également, cette escouade spécialisée est très utile pour diminuer le taux de stress ou d’anxiété des enseignants qui sont, eux aussi, en plein apprentissage du numérique en même temps que leurs élèves! Comme les élèves sont plus naturellement motivés par l’apprentissage du numérique (Viau, 2007) et étant nés dans cette ère d’interactivité, il est plus facile pour eux d’acquérir un certain niveau de compétence avec les technologies.
Par opposition, la plupart des enseignants sont plutôt, par leur âge, « des immigrants du numérique » (Prensky 2001). Donc, même s’il est difficile d’accepter, pour plusieurs enseignants, qu’on ne peut pas détenir le savoir-faire numérique mieux que les élèves, l’apprentissage de la technologie offre une occasion parfaite de placer l’élève au centre de ses apprentissages. On lui donne alors la possibilité de partager ses connaissances et compétences numériques avec ses pairs et les enseignants de son école.
Pour terminer
Bien que le Cadre de référence de la compétence numérique (MEES, 2019) soit « l’une des meilleures politiques au monde pour l’usage du numérique en éducation » (CRIFPE, 2017), il est important également de s’assurer que tous sachent utiliser adéquatement les technologies comme outils pédagogiques. La mise en place de stratégies par les acteurs de changements principaux doit alors soutenir le travail des enseignants en apportant une offre et des ressources de formation adéquates. Il est donc important de développer les compétences numériques des enseignants grâce à des formations adaptées à chacun.
D’ailleurs, le Rapport sur les besoins en éducation (MEES, 2020) soulève que « l’école doit notamment donner aux personnes l’occasion d’apprendre à se servir correctement des outils technologiques qu’elles auront à utiliser ». Cet énoncé doit concerner autant le personnel scolaire qui utilise les outils numériques pour exécuter leurs tâches quotidiennes que les élèves qui auront à se servir de plusieurs outils technologiques dans leur futur emploi.
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