Au Québec, le cégep – ou collège d’enseignement général et professionnel – est un maillon essentiel entre l’école secondaire et l’université. Deux ans pour les programmes préuniversitaires, trois ans pour les techniques : l’objectif reste le même – offrir à la fois une formation intellectuelle de qualité et une transition vers la vie adulte.
Mais au-delà de cette fonction bien connue, les cégeps sont aussi des lieux de recherche. Le Conseil supérieur de l’éducation (CSÉ) y consacre son plus récent avis, intitulé Recherche et formation au collégial : une synergie à promouvoir, publié à l’automne 2025. Ce document jette un éclairage nouveau sur un pan encore trop peu valorisé de la mission collégiale : la recherche.
Voici cinq faits saillants qui permettent de mieux saisir le rôle de la recherche dans les cégeps québécois.
1. Non, la recherche n’est pas réservée aux universités
Contrairement à une idée répandue, la recherche ne se limite pas aux universités. Depuis 1993, la recherche appliquée et pédagogique fait officiellement partie de la mission des cégeps. Et l’histoire remonte même plus loin : dès la création du réseau collégial en 1967, la recherche pédagogique s’impose comme un levier d’innovation en enseignement.
Pourtant, cette mission reste parfois mal comprise, comme le souligne le Conseil supérieur de l’éducation :
« Aux yeux du Conseil, la recherche tend à se situer comme une activité en marge de la mission de formation des établissements d’enseignement, bien que des initiatives du milieu collégial témoignent d’une préoccupation accrue à cet égard. »
Ce n’est pas qu’un détail administratif; c’est le moteur qui propulse la qualité. Lorsque les cégeps mènent des recherches, ils ne font pas qu’ajouter une ligne à leur énoncé de mission : ils enrichissent directement la formation des étudiants avec des savoirs de pointe, alimentent le développement économique local et consolident leur rôle de pôles d’innovation essentiels pour le Québec.
2. Au-delà du laboratoire : une diversité de domaines
Lorsqu’on évoque la recherche, l’image du laboratoire scientifique vient souvent à l’esprit. Or, la recherche collégiale est particulièrement diversifiée. Elle couvre quatre grands champs :
- La recherche appliquée : pour trouver des solutions concrètes à des problèmes pratiques;
- La recherche fondamentale : pour acquérir de nouvelles connaissances théoriques;
- La recherche en éducation (pédagogie) : pour améliorer l’enseignement et l’apprentissage;
- La recherche-création : pour produire de nouveaux savoirs par la pratique artistique.
Cette diversité est incarnée par les 59 Centres collégiaux de transfert de technologie (CCTT) répartis à travers le Québec. Et ne vous laissez pas tromper par leur nom : ils ne se limitent pas à la technologie. On en compte 48 en innovation technologique (CCTT-IT) et 11 en pratiques sociales novatrices (CCTT-PSN), qui s’attaquent à des enjeux sociaux.
Un exemple frappant de cette diversité est le Centre de recherche, d’innovation et de transfert en arts du cirque (devenu le Centre de recherche sur le potentiel humain en 2024), qui illustre parfaitement la vitalité de la recherche-création au collégial.
Cette richesse de domaines démontre l’agilité du réseau collégial à répondre à un large éventail de besoins sociétaux. De l’innovation industrielle aux défis d’inclusion sociale, en passant par l’expression culturelle, les cégeps prouvent qu’ils sont des acteurs engagés dans la résolution des enjeux complexes de notre temps.
3. Une participation étudiante en croissance
La recherche au cégep n’est pas qu’une affaire de professeurs. Des milliers d’étudiants y participent activement chaque année. Les chiffres de 2022-2023 sont éloquents :
- 523 étudiants ont participé directement aux travaux des CCTT.
- 346 étudiants y ont effectué un stage.
- 20 064 étudiants ont été rejoints par des activités d’information ou de formation organisées par les CCTT.
Pour les étudiants, les bénéfices sont immenses. Le rapport du CSE souligne qu’une telle expérience permet de développer des compétences clés comme l’esprit critique et l’autonomie. Elle constitue une excellente préparation pour l’université, aide à clarifier un projet d’études et, pour certains, éveille une véritable vocation pour la recherche.
Le soutien à la relève est d’ailleurs une priorité. Des programmes de bourses spécifiques, comme la Bourse d’initiation à la recherche pour la relève au collégial (BIRC), ont été créés pour encourager les étudiants à faire leurs premiers pas dans le monde de la recherche.
4. Un potentiel encore sous-utilisé chez les enseignants
Les cégeps comptent un bassin important de personnel qualifié pour la recherche : près de 50 % des enseignants détiennent une maîtrise ou un doctorat. Pourtant, leur implication en recherche reste largement volontaire et dépend de libérations de tâches d’enseignement, parfois difficiles à obtenir.
Quel est donc l’obstacle? Le principal défi réside dans la structure de leur travail. La recherche est une activité volontaire qui ne fait pas partie de leur « tâche enseignante » de base. Pour s’y consacrer, un enseignant doit obtenir une libération de sa charge de cours, ce qui représente un enjeu organisationnel et financier majeur. Le Conseil exprime sa position sur cette question :
« Le Conseil réaffirme sa position pour une pratique volontaire de la recherche par le personnel enseignant des collèges qui, en contrepartie, doit être accompagnée de conditions facilitantes et d’une reconnaissance dans la charge de travail de celles et de ceux qui souhaitent l’exercer […] »
Ce bassin de talents représente un potentiel de recherche immense, mais encore sous-exploité. Créer des conditions favorables pour que ces enseignants-chercheurs puissent s’investir davantage dans la recherche permettrait non seulement de faire avancer la science, mais aussi d’enrichir directement la formation qu’ils offrent à leurs étudiants.
5. La recherche collégiale, un véritable écosystème
Loin d’être une activité isolée menée dans l’ombre, la recherche collégiale est en fait un écosystème complexe et bien structuré, même s’il reste méconnu du grand public. Plusieurs acteurs travaillent de concert pour la faire vivre et rayonner.
Voici les principaux joueurs de cet écosystème :
- Les cégeps et leurs CCTT : le cœur opérationnel de la recherche.
- Les ministères : notamment le ministère de l’Enseignement supérieur (MES) et le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie (MEIE), qui assurent le financement et les orientations stratégiques.
- Les organismes subventionnaires : provinciaux (Fonds de recherche du Québec – FRQ) et fédéraux (CRSNG, CRSH), qui financent les projets.
- Les organismes du réseau collégial : la Fédération des cégeps, l’Association pour la recherche au collégial (ARC) et Synchronex (le réseau des CCTT), qui assurent la concertation, la promotion et le soutien.
- Les partenaires externes : universités, entreprises, organismes à but non lucratif (OBNL), avec qui les collèges collaborent étroitement.
Ce maillage soutient la rigueur des projets, assure un financement diversifié et renforce les liens entre les établissements et leur communauté. Le rapport du CSE insiste sur l’importance de rendre cette structure plus visible et compréhensible, tant pour les acteurs internes que pour le grand public.
Une synergie à approfondir
Les collèges québécois ne sont pas que des lieux de passage vers d’autres niveaux d’études. En matière de recherche, ils constituent une force active, ancrée dans les réalités régionales et ouverte à l’innovation.
Le Conseil supérieur de l’éducation rappelle qu’une meilleure articulation entre la recherche et la formation pourrait enrichir l’expérience des étudiantes et des étudiants, tout en consolidant le rôle des cégeps dans l’écosystème de l’enseignement supérieur.
Alors que plusieurs recommandations ont été émises pour renforcer cette synergie, le défi à venir sera de reconnaître pleinement la recherche collégiale, de la soutenir concrètement et de mieux en faire connaître les impacts. Autrement dit, de faire en sorte que la recherche au cégep occupe la place qui lui revient dans le paysage de l’innovation au Québec.






