par Alexandre Audet
Assis dans les estrades pour un match de hockey “Novice C” de mon plus vieux, je souris. Bien sûr, je suis un père fier de voir sa progéniture être active et jouer un sport auquel j’ai excellé pendant ma jeunesse.
Mais il y a plus que ça.
Cette année, Hockey Canada a décidé que les jeunes d’âge novice (7-8 ans) allaient jouer tous leurs matchs sur des demi-glaces. Mieux encore, pendant les rencontres, on ne garde aucune statistique, impossible de savoir qui a gagné le match ou qui est le meneur des points dans son équipe ou dans la ligue. On s’amuse et on s’améliore.
Alors comment sait-on que les jeunes sont en train de s’améliorer si on n’a pas de chiffres ou de statistiques?
J’observe l’équipe de mon fils et pendant longtemps il ne semble pas y avoir de changements dans leur niveau d’habiletés, jusqu’au jour où il y en a. Un est maintenant capable de faire une passe, un autre est capable de s’arrêter sans tomber et il y a aussi le gardien qui trébuche au bon endroit quand la rondelle se dirige vers lui. Lentement mais sûrement, ils s’améliorent… sans performer.
Si seulement le Ministère de l’Éducation de l’Ontario (et de plusieurs autres provinces) adoptait la même approche. Sortir la compétition et la performance des écoles, plus encore, du discours scolaire.
Pourquoi?
Dans notre société passée et actuelle, on voit la performance comme un signe positif, comme un signe de supériorité physique ou intellectuelle. Et si nous avions tort…
Plusieurs études ont été menées sur la manière d’apprendre. Cependant, il faut faire une distinction entre la performance et l’apprentissage.
La performance à l’école a été longtemps (et est encore dans beaucoup trop d’établissements) valorisée. Si on arrive à la bonne réponse, on sait! Si on a eu A+, 97 % ou 4+ on a appris… et si ce n’était pas le cas?
Comment peut-on vraiment prouver que la performance actuelle mesure un apprentissage réel? Je vous donne la réponse : c’est flou…
Bjork et Bjork (2011) établissent que la performance est ce qui est mesurable et observable pendant l’enseignement et la pratique. Au contraire, l’apprentissage est un ensemble de changements plus ou moins permanents au niveau des connaissances ou de la compréhension d’un objectif d’apprentissage.
Toujours selon Bjork et Bjork, l’apprentissage doit être inféré et la performance actuelle d’un élève dans un sujet peut être très trompeuse par rapport à son apprentissage dans ce même sujet.
Prenons un cas “fictif” où un étudiant étudie toute la nuit la veille d’un gros examen. Une fois l’évaluation terminée, il reçoit ses résultats et a aisément réussi celui-ci. Quelques semaines plus tard, qu’a-t-il retenu à propos de la matière qu’il devait étudier? Très peu. Il a bien performé à l’examen, mais dans les faits, il n’a pas appris grand-chose de durable et de réutilisable/transférable.
Je ne suis pas en train de vous dire que ceux qui obtiennent de bons résultats n’apprennent rien, pas du tout! Je veux seulement vous dire qu’il y a plus de variables à l’équation.
L’apprentissage vous l’aurez deviné est beaucoup plus complexe. L’apprentissage le plus désirable est celui qui sera durable et flexible, c’est-à-dire un apprentissage qu’on pourra transférer dans divers situations et/ou domaines. Donc le A+, le 97 % ou le 4+ ne correspondent pas tout le temps à un apprentissage durable et flexible.
Pour en arriver là, ça prend du temps, beaucoup de temps.
L’apprentissage ça se fait dans la mijoteuse, pas dans la friteuse!
Parlant de choses qui se développent avec le temps, les compétences globales telles que la résolution de problèmes, l’innovation/créativité, la collaboration, la communication et la citoyenneté sont des habiletés qu’on développe tranquillement. La performance comme on la connaît dans la majorité des salles de classe d’aujourd’hui n’a pas sa place dans le développement de ces compétences.
McMillan (2018) mentionne que les étudiants qui sont dans des classes ayant de bons réseaux collaboratifs ont moins peur de se tromper et de faire des erreurs, donc qu’ils sont plus portés à prendre des risques et relever des défis.
Dans le même sens, Kohn (1987) cite la méta analyse de Johnson qui a relevé que 65 études ont conclu que les enfants apprennent mieux dans un milieux coopératif plutôt que compétitif. En outre, plus la tâche d’apprentissage est complexe, moins les enfants dans un environnement compétitif réussissent bien.
En tant que pédagogues, nous sommes le point de départ des changements de mentalité. Arrêtons de parler en terme de notes mais plutôt en terme d’amélioration. Au lieu de dire : “pour avoir une bonne note, tu dois…” Pourquoi ne pas changer de discours et dire : “pour t’améliorer, tu dois…”, “pour pousser plus loin ton apprentissage, tu devrais…” Bref, comme McMillan (2018) le mentionne, nous devons faire en sorte que l’apprentissage devienne plus important que le succès à court terme, c’est le premier pas pour changer les mentalités.
À quoi est-ce que tout cela ressemble dans la pratique ? Il faut d’abord leur laisser la chance de se reprendre suite à une évaluation. Leur donner de la rétroaction descriptive qu’ils utiliseront pour améliorer leurs travaux, pour transférer des connaissances ou des concepts dans un autre contexte. Bref, il faut donner le temps à nos apprenants…d’apprendre.
Donc en cette période des examens, des bulletins et des rencontres de parents; s’il vous plaît, rappelez à vos élèves que leurs résultats actuels ne sont pas des finalités. Qu’ils ne définissent pas qui ils sont ou ce qu’ils deviendront.
Rappelez-leur qu’ils sont dans la mijoteuse.
Sources
Bjork, Elizabeth et Bjork, Robert, Making Things Hard on Yourself, But in a Good Way: Creating Desirable Difficulties to Enhance Learning, 2011
Epstein, David, Range: Why Generalists Triumph in a Specialized World, 2019
Kohn, Alfie, The Case Against Competition, 1987
McMillan, James, Using Students’ Assessment Mistakes and Learning Deficits to Enhance Motivation and Learning, 2018
Article d’abord publié sur Le blog de Prof Audet.