Par Nicole Arsenault,
Déléguée pédagogique,
École branchée
Lors du congrès 2025 de l’Association canadienne d’éducation de langue française (ACELF), les échanges autour de la francophonie en contexte minoritaire et de la construction identitaire ont occupé une place centrale. Parmi les ateliers au programme, nous avons notamment participé à celui intitulé « Quand l’oral est au service de la socialisation et de l’interaction à l’intermédiaire », animé par Valérie Vielfaure. Cette dernière est conseillère pédagogique en français — immersion avec le Bureau de l’éducation française du Manitoba, et compte plus de 25 ans d’expérience dans l’enseignement.
Riche d’un parcours international, Valérie a récemment quitté la salle de classe pour accompagner d’autres enseignants dans leurs pratiques. Son message, empreint de bienveillance et de réalisme, portait sur la puissance de l’oral comme levier d’apprentissage, particulièrement en contexte minoritaire, où la langue française doit constamment être vécue, pratiquée et valorisée.
L’oral : un outil pour lire, écrire… et s’ouvrir aux autres
Dès les premières minutes, la conférencière a rappelé que l’oral soutient la lecture et l’écriture : il permet d’explorer, de reformuler et de construire le sens avant même de coucher les mots sur papier. Dans un environnement où les occasions de parler français sont moins fréquentes, il devient essentiel d’outiller les élèves pour qu’ils osent s’exprimer, même imparfaitement.
Pour y arriver, Valérie a proposé de « dédramatiser l’oral », une expression notamment chère au chercheur et professeur titulaire en didactique du français à l’UQTR, Christian Dumais, duquel elle s’inspire beaucoup. Puisque l’oral est souvent perçu par les élèves comme une épreuve plutôt qu’un moment d’échange, elle base ses idées sur ses expériences comme enseignante et selon les recherches de Dumais. Elle invite donc les enseignants à normaliser l’erreur, à modéliser eux-mêmes des hésitations, des reprises ou des pauses : « L’oral, c’est vivant. L’erreur est une étape naturelle de l’apprentissage. »
Identifier les obstacles pour mieux les contourner
Avant de bâtir la confiance, il faut comprendre ce qui freine la prise de parole. Valérie a recensé plusieurs obstacles fréquents :
- le manque de vocabulaire ou de référents culturels;
- la peur du jugement ou du ridicule;
- un climat de classe peu sécurisant;
- le manque de motivation ou de pratique;
- les attentes irréalistes (« il faut être parfait », « il faut parler seulement en français », « il faut être drôle »).

Ces constats résonnent fortement en milieu minoritaire, où l’identité linguistique des élèves se forge entre fierté et insécurité. Pour contrer ces freins, Valérie propose de créer un espace sécurisant et ludique où chacun peut parler sans craindre l’erreur ni le jugement des autres.
Jeux, improvisation et discussions authentiques
Lors de son atelier, Valérie a partagé plusieurs stratégies concrètes pour faire parler les élèves au quotidien :
- Le jeu Zip Zap : les élèves sont assis en cercle, le meneur du jeu est au centre. Si ce dernier dit « Zip » en pointant un élève, ce dernier doit dire le nom de l’élève à sa gauche. S’il dit « Zap », il faut nommer la personne de droite, en ajoutant progressivement des caractéristiques physiques ou linguistiques. Ce jeu brise la glace, encourage la spontanéité et crée un esprit de groupe.
- Les jeux de rôle : inspirés d’images, de mises en situation ou de personnages inventés (comme un rat qui parle à un chef de cuisine!), ils offrent aux élèves l’occasion d’explorer différentes façons de s’exprimer tout en s’amusant.
- L’improvisation guidée : en donnant un script de départ, les élèves sont incités à le modifier pour le rendre plus naturel. Sans s’en rendre compte, ils développent leur fluidité et leur confiance.
- Les discussions autour de textes, chansons ou images : qu’il s’agisse d’un texte littéraire, d’un article d’actualité ou des paroles d’une chanson francophone choisie par les élèves, ces échanges stimulent les réactions personnelles et amènent les élèves à comprendre et à interpréter ensemble ce qu’ils lisent ou entendent.


Pour les enseignants qui cherchent à renouveler leurs pratiques, la conférencière a également mentionné des outils accessibles comme Gynzy (plateforme sans publicité pour trouver des supports visuels et vidéos) et la création de listes de lecture (playlists) francophones pour susciter l’intérêt des jeunes.
Le double rôle de l’oral
L’oral joue un double rôle : il sert à la fois à enseigner et à évaluer.
- Pour l’enseignant, il devient un outil diagnostique : écouter un élève parler permet de vérifier sa compréhension, de cerner ses besoins et de l’amener plus loin dans sa réflexion.
- Pour l’élève, il s’agit d’un moyen de pratiquer, de consolider et d’organiser sa pensée.
Valérie insiste sur l’importance du modelage : l’enseignant montre comment réfléchir à voix haute, organiser ses idées, utiliser des mots de liaison ou formuler une opinion (« à mon avis », « ce que je remarque… »). Des tableaux d’ancrage visibles ou des murs de mots permanents aident aussi à maintenir le vocabulaire vivant dans la classe.
Des liens avec le vécu des élèves
Pour que la parole prenne tout son sens, elle doit résonner avec le vécu des élèves. Valérie encourage à choisir des thèmes contemporains ou des œuvres qui parlent à leur réalité, plutôt que de s’en tenir à du matériel ancien. Les discussions sur les dénouements, les valeurs ou la morale d’une histoire deviennent alors des occasions authentiques de réflexion et de socialisation.
Une activité marquante consiste à travailler sur l’histoire sans fin : les élèves plus âgés inventent et racontent une suite destinée à un public plus jeune. En plus de stimuler la créativité, cet exercice renforce la responsabilité linguistique et la fierté d’être un modèle francophone.
Une vision inclusive et inspirante
Au cœur de la démarche de Valérie, il y a la conviction que l’oral est un outil d’inclusion, de socialisation et de construction identitaire. Parler français à l’école, c’est plus que pratiquer une langue : c’est prendre sa place dans une communauté.
Cet atelier s’alignait parfaitement sur l’esprit du congrès de l’ACELF, où les échanges sur le dynamisme des communautés francophones et la pédagogie en contexte minoritaire ont été nombreux.
L’équipe de l’École branchée, présente comme congressiste, a également eu le plaisir d’animer un atelier et de présenter une pratique réussie autour du dossier Intelligence artificielle et francophonie en contexte minoritaire : risque ou occasion? Ces échanges riches et inspirants témoignent d’un engagement commun : soutenir les acteurs de l’éducation qui font vivre la langue et la culture francophones au quotidien.
Nous tenons à remercier le Programme d’appui à la francophonie canadienne – Secrétariat du Québec aux relations canadiennes pour son soutien financier à l’occasion de notre participation au congrès 2025 de l’ACELF, à Markham.






