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L’eldorado pédagogique (1re partie)

Il ne suffit que de quelques minutes d’immersion dans la culture scolaire française pour comprendre pourquoi les enseignants français affectionnent autant « pédagogiquement » leurs confrères québécois.

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Dans mon premier texte de cette série, publié au début de mon séjour à l’Université de Nice, je me questionnais à savoir pourquoi les enseignants français affectionnent autant « pédagogiquement » leurs confrères québécois. À leur contact, j’ai rapidement compris ce qui explique ce phénomène! En effet, il ne suffit que de quelques minutes d’immersion dans la culture scolaire pour comprendre…

Pour les Français, le Québec a toujours été le nouveau monde, et ce, depuis bientôt un demi-siècle! Aujourd’hui, pour eux, le Québec est en quelque sorte un « eldorado pédagogique », c’est-à-dire un territoire où tout fonctionne pédagogiquement à merveille et où les enseignants ont une grande liberté d’action professionnelle. Évidemment, comme dans n’importe quelle situation, on a tendance à croire que le gazon est toujours plus vert chez ses cousins, mais néanmoins, la vision édulcorée que plusieurs professionnels de l’éducation français ont de leurs collègues québécois m’aura fait réfléchir et me permet de tirer quelques conclusions suite à mon voyage au pays de nos ancêtres.

Un système décentralisé

Dans un premier temps, le système scolaire québécois est relativement décentralisé. Je me souviens de la première fois que j’ai lu un texte de l’OCDE[1] qui qualifiait le Québec de système scolaire décentralisé. J’avais trouvé cela très drôle! Je croyais, à tort, que l’éducation québécoise était très politisée et centralisée. Il faut bien s’immerger dans une autre culture scolaire, comme celle de la France, pour se rendre compte qu’en fait, notre système n’est pas aussi centralisé qu’on le pense! Pour sa part, le système français est non seulement fortement centralisé et politisé, il est également très hiérarchisé. Pour reprendre le jargon francophone valide autant au Québec qu’en France, les décisions y sont imposées « top-down » ou « à partir d’en haut », à savoir que ce sont les décideurs qui prennent les décisions et qui les imposent au reste du système. Selon ce que j’en comprends, il s’agit d’un fait davantage culturel et non pas de quelque chose propre au système éducatif.

Au cours de diverses discussions tenues à bâton rompu avec des enseignants, j’ai pu faire l’observation suivante : dès l’obtention de leur permanence dans la profession, ils se qualifient eux-mêmes fièrement de « fonctionnaires ». Il y a donc une fierté d’être au service de la population sous l’égide de l’État. Non pas que ce ne soit pas le cas au Québec, mais force est d’admettre que, même si les bénéfices associés à la permanence sont semblables et que la fierté d’exercer la profession est comparable, il n’en demeure pas moins qu’il est peu fréquent que les enseignants québécois s’affichent en tant que fonctionnaires…

L’autonomie professionnelle des enseignants

En effet, en France, le pouvoir décisionnel est concentré dans les mains des représentants de l’Éducation nationale, soit la classe dirigeante des Académies. Évidemment, le représentant par excellence de cette hiérarchie scolaire est l’inspecteur de l’Éducation nationale. Ce dernier est à pied d’œuvre sur le terrain et s’efforce de relier le rectorat et les enseignants au sein du même giron, toujours en tant que dignes représentants de l’Éducation nationale française. Au Québec, il y a les commissions scolaires et leurs hauts-dirigeants, mais personne ne s’affiche comme étant le représentant du ministère de l’Éducation dans nos écoles! Il n’y a pas d’inspecteurs non plus. La question qui m’a été posée, vous la devinez, est la suivante : « … et qui s’assure de la qualité de l’éducation dans les classes ainsi que du respect des programmes d’enseignement »? Difficile d’éviter de répondre à cette question sans aborder la notion d’autonomie professionnelle des enseignants québécois! C’est exactement en abordant ce sujet avec des étrangers qui exercent la même profession qu’on réalise que les enseignants québécois jouissent de la confiance des décideurs et qu’ils ont bien peu de comptes à rendre à ces derniers!

Figés!

Cela dit, j’ai eu l’incroyable chance de présenter quelques innovations pédagogiques québécoises qui intéressent les enseignants français au plus haut point, particulièrement (mais non exclusivement) celles concernant les ateliers de fabrication numérique, les percées en intelligence artificielle et l’utilisation des outils numériques en mode 1:1.

Lorsque j’ai présenté ce que des enseignants de notre école font, au même titre que ce que d’autres enseignants font dans des écoles tant primaires que secondaires, les bouches étaient grandes ouvertes. Les expressions faciales de mon audience étaient figées à un point tel que lors de ma première allocution, je me suis interrompu :

  • « Est-ce que tout va bien? »

Quelques courageux m’ont réconforté :

  • « Oui, ça va. C’est juste très loin de notre réalité! »

Un autre renchérit avec une pointe de sarcasme :

  • « Oui, c’est vrai! On se bat toujours pour avoir des crayons dans mon école! »

Je corrigeai le tir :

  • « Qu’on se comprenne bien. Au Québec aussi la question du financement de nos écoles est un enjeu, mais ce n’est pas de cela que je vous parle! Je vous parle des tendances scolaires que l’Amérique du nord adopte. Ce n’est donc pas juste au Québec. Nous sommes en ébullition scolaire, certes, mais le Canada anglais et les États-Unis aussi. Ce que je vous présente aujourd’hui, c’est ce qui sera chez vous plus vite que vous ne pourrez le croire! Au Québec, en quelque sorte, nous avons été pris par surprise à quelques égards et nous peinons toujours à nous adapter au changement dicté par la société et les nouvelles percées scientifiques! Je vous le dis, cela vous frappera de plein fouet. »

L’eldorado pédagogique québécois venait de passer du rose au gris tandis que l’envie et l’excitation cédaient le pas à quelques inquiétudes et appréhensions…

[1] OCDE (2015), Perspectives des politiques de l’éducation 2015 : Les réformes en marche, Éditions OCDE. http://dx.doi.org/10.1787/9789264227330-fr

 

Cet article fait partie d’une série publiée par notre auteur et collaborateur Marc-André Girard, dans le cadre de sa participation au Laboratoire d’innovation et du numérique en éducation (LINE) à l’Université de Nice Sophia Antipolis.

Vous pouvez lire l’ensemble des articles de cette série ici.

À propos de l'auteur

Marc-André Girard
Marc-André Girard
Marc-André Girard est détenteur d’un baccalauréat en enseignement des sciences humaines (1999), d’une maitrise en didactique de l’histoire (2003), d’une maitrise en gestion de l’éducation (2013) et d’un doctorat en éducation (2022). Il s’est spécialisé en gestion du changement en milieu scolaire ainsi qu’en leadership pédagogique. Il s’intéresse également aux compétences du 21e siècle à développer en éducation. Il occupe un poste de direction dans une école publique et donne des conférences sur le leadership en éducation, les approches pédagonumériques, le changement en milieu scolaire ainsi que sur la professionnalisation de l’enseignement. Il a participé à des expéditions pédagogiques en France, en Finlande, en Suède, au Danemark et au Maroc. En septembre 2014, il a publié le livre « Le changement en milieu scolaire québécois » aux Éditions Reynald Goulet et, en 2019, il a publié une trilogie portant sur l'école du 21e siècle chez le même éditeur. Il collabore fréquemment à L’École branchée sur les questions relatives à l’éducation. Il est très impliqué dans tout ce qui entoure le développement professionnel des enseignants et des directions d'école ainsi que l’intégration des TIC à l’éducation. En mars 2016, il a reçu un prix CHAPO de l’AQUOPS pour l’ensemble de son implication. Il est récipiendaire de la bourse Régent-Fortin 2022 octroyée par l’ADERAE pour la contribution importante de ses études doctorales au développement de la pratique et des savoirs en administration de l’éducation.

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