L’étude est menée par Khaoula Boulaamane, de l’École nationale d’administration publique (ÉNAP), Valéry Psyché et Bianca B-Lamoureux, de l’Université TÉLUQ. Les résultats ont été présentés lors du plus récent Colloque international en éducation organisé par le Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante (CRIFPE), qui s’est tenu les 1ᵉʳ et 2 mai 2025 à Montréal.
Un intérêt manifeste, mais un flou persistant
À travers des entrevues semi-dirigées réalisées auprès de dix gestionnaires œuvrant dans les milieux primaire, secondaire et collégial, l’équipe de recherche a cherché à comprendre les attitudes et attentes des directions à l’égard de l’IA.
Premier constat : si la majorité des directions interrogées associent l’IA à des outils comme ChatGPT, Copilot ou Canva, leur compréhension de ses applications reste souvent vague. « Je ne sais pas ce que ça me permettrait de faire de plus », résume une citation présentée pendant la conférence. « Le vocabulaire reste flou, les compétences limitées et les usages concrets demeurent à définir. Pour plusieurs, l’IA représente davantage une promesse qu’un outil maîtrisé », a résumé Khaoula Boulaamane lors de la conférence.
Des gains potentiels en efficacité administrative
Malgré ces zones grises, l’intérêt est réel. L’IA est perçue comme un levier d’amélioration de la productivité, un outil d’aide à la décision et un moyen de réduire la charge administrative – notamment via l’automatisation de tâches comme la gestion des courriels ou la planification des agendas. Elle pourrait ainsi permettre aux directions de se recentrer sur leur mission pédagogique.
Les forces identifiées dans une analyse SWOT (forces, faiblesses, opportunités, menaces) incluent un leadership favorable, une ouverture à l’expérimentation et la présence de personnes ressources. Le soutien du ministère de l’Éducation, qui a investi 10,6 millions de dollars dans un chantier débuté en mars 2022, est également vu comme un élément facilitateur. Néanmoins, rappelons que ce chantier est essentiellement axé sur des outils d’intelligence numérique et de gestion des données.
Des freins importants à lever
Cependant, plusieurs obstacles freinent l’intégration de l’IA dans les pratiques de gestion. Le manque de connaissances concrètes, la méfiance envers la technologie, l’absence de formations spécifiques et les préoccupations éthiques (protection des données, biais algorithmiques) sont autant de facteurs qui limitent son adoption. « L’IA évolue rapidement, ce qui peut déstabiliser des équipes déjà confrontées à une surcharge de travail et à des compétences numériques inégales », a fait valoir Mme Boulaamane.
L’étude souligne aussi l’absence d’un cadre réglementaire clair. Notamment, le référentiel de compétences en gestion scolaire au Québec, datant de 2008, ne fait aucune mention des technologies numériques. Ce décalage entre les outils disponibles et l’encadrement institutionnel complique l’implantation cohérente de l’IA sur le terrain.
Des recommandations concrètes
Pour soutenir une intégration réfléchie et éthique de l’IA dans la gestion scolaire, les chercheuses formulent deux recommandations principales :
- Mettre en place une stratégie de formation initiale et continue axée sur la protection et la valorisation des données, la compréhension du fonctionnement de l’IA et ses implications éthiques.
- Établir un cadre de gouvernance numérique clair accompagné d’une équipe de soutien dédiée capable de guider les directions de façon structurée.
L’étude met en lumière un paradoxe : les gestionnaires reconnaissent le potentiel transformateur de l’IA, mais manquent d’outils, de vocabulaire et du cadre nécessaire pour passer à l’action. « En attendant une meilleure structuration du soutien et des politiques, l’IA reste un terrain d’expérimentation prudente. Pour plusieurs, la volonté d’apprendre est là — encore faut-il qu’on leur montre comment », conclut la chercheuse.