Par Martine Rioux, en collaboration avec Laurent Di Pasquale, Simon Duguay et Audrey Miller
Au cours des derniers mois, la réflexion entourant l’intégration de l’intelligence artificielle générative (IAG) en éducation et enseignement supérieur au Québec avait été alimentée par différentes publications, comme le rapport Prêt pour l’IA du Conseil de l’Innovation du Québec et l’Énoncé de principes pour une utilisation responsable de l’intelligence artificielle par les organismes publics du ministère de la Cybersécurité et du Numérique.
Après celui du Nouveau-Brunswick, nous savions que le ministère de l’Éducation préparait un guide à l’intention du personnel enseignant. Dans l’attente de celui-ci, il avait été recommandé de ne pas laisser les élèves expérimenter directement l’IAG et les initiatives de formation à ce sujet étaient suspendues à l’intérieur du réseau. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le guide était attendu!
Intitulé L’utilisation pédagogique, éthique et légale de l’intelligence artificielle générative, il « propose des pistes de réflexion et des critères liés à l’utilisation pédagogique, éthique et légale de l’IAG pour orienter le personnel enseignant appartenant aux ordres d’enseignement préscolaire, primaire et secondaire ainsi qu’à ceux de la formation professionnelle et de la formation générale des adultes ».
De ce que nous en comprenons, il reviendra à chaque milieu d’établir ses propres règles d’utilisation et d’approuver certains outils. La responsabilisation de l’enseignant concernant le processus réflexif et son respect des différentes contraintes légales déjà existantes constituent un autre axe important dans la validation d’une intégration de l’IAG.
Le guide s’adresse principalement au personnel enseignant et s’articule d’ailleurs autour des dimensions de la compétence numérique. D’ailleurs, le ministère invite les directions d’établissement à porter « une attention particulière […] à la formation du personnel enseignant à l’IAG ».
Critères pour l’utilisation en contexte pédagogique
Le guide propose trois critères qui pourront orienter les décisions en lien avec l’utilisation de l’IAG en contexte éducatif : la pertinence pédagogique, les principes éthiques et les obligations légales.
A) Une réflexion pédagogique concernant les usages
Le guide donne différentes pistes de réflexion en vue d’un usage pertinent de l’IAG. Il laisse la place à la nuance, en posant les possibilités et les limites de celles-ci. Il aborde autant l’utilisation par le personnel enseignant que par les personnes apprenantes. D’ailleurs, pour guider au mieux l’enseignant, différentes questions réflexives sont proposées pour l’aider à se positionner, et ce, sous trois axes :
- Avant l’utilisation de l’IAG : identifier les objectifs poursuivis et la façon dont l’IAG pourrait y contribuer.
- Pendant l’utilisation de l’IAG : poursuivre les réflexions pendant l’utilisation, en faisant une analyse critique des contenus générés.
- Après l’utilisation de l’IAG : faire un retour réflexif sur le processus vécu.
Chaque enseignant est amené à se positionner, en fonction de son contexte, de ses intentions et de ses pratiques, concernant un usage raisonné. Par exemple, l’enseignant peut utiliser l’IA pour s’aider dans sa planification, pour adapter du matériel ou encore pour créer des exemples à présenter en classe. Cependant, l’enseignant doit s’assurer que sa compétence numérique lui permet de faire le bon choix d’outils et d’usages dans la mobilisation de cette technologie.
Si l’enseignant souhaite utiliser l’IAG avec les élèves, d’autres questions sont aussi à se poser. Des enjeux tels que la motivation des jeunes lors de l’activité, le niveau de leur compétence numérique et l’impact de l’usage sur les apprentissages sont à réfléchir en amont de toute activité. De plus, le guide suggère d’aborder la question de l’utilisation par les élèves avec l’équipe-école avant de leur faire utiliser. Une fois ces réflexions réalisées, l’IA pourrait être utilisée par les élèves, pour faire du remue-méninges, pour créer du contenu, pour s’aider dans la recherche d’informations, etc.
Le guide suggère aussi aux enseignants de partager les résultats de leur expérimentation avec leurs collègues. Était-ce une réussite? Quels ont été les défis? Est-ce que les applications pourraient être transférées à d’autres contextes? Ces pistes permettent de faire progresser la réflexion collective sur l’IA en éducation, que ce soit entre collègues d’une même école ou encore à travers tout le réseau.
B) IA et pratiques évaluatives
« Le personnel enseignant développe, choisit et utilise diverses modalités pour évaluer l’acquisition des connaissances et le développement des compétences chez les personnes apprenantes. L’IAG a le potentiel de soutenir ses pratiques évaluatives, tant sur le plan formatif que sur le plan sommatif, mais elle ne doit en aucun cas remplacer son jugement professionnel, tant dans la conception d’outils d’évaluation que dans le soutien à l’évaluation des personnes apprenantes. »
Le guide nomme la possibilité utilité de l’IAG dans des pratiques d’évaluation, que ce soit pour générer du matériel évaluatif ou encore pour évaluer les élèves. Cependant, les enjeux et limites de ces deux catégories d’usages sont bien différents. Si l’enseignant souhaite utiliser l’IAG pour générer du matériel, il doit user de son jugement professionnel pour évaluer la qualité des évaluations ainsi créées. S’il souhaite l’utiliser pour fournir des rétroactions aux élèves ou encore pour évaluer leurs copies, les enjeux à considérer sont plus importants.
En effet, le guide mentionne que l’utilisation de l’IAG peut mener à des rétroactions inexactes ou inadéquates, d’où l’importance d’utiliser son jugement professionnel et de relire chaque commentaire généré par le système. De plus, l’enseignant doit aussi considérer la propriété intellectuelle des élèves sur leur travail, la sécurité du système utilisé et la protection des données nominatives.
La mise en perspective par rapport aux restrictions appliquées dans les lieux d’enseignement dans lequel travaille l’enseignant, sera également un point à prendre en compte pour son usage : il sera donc indispensable de faire valider ce type d’utilisation en perspective des règles appliquées dans son école.
Le guide souligne enfin que les enseignants pourraient être amenés à revoir la manière dont ils organisent les évaluations, notamment en diversifiant les sources évaluatives et d’apprentissage. Un dernier point sur l’intégrité intellectuelle est également soulevé, amenant à faire s’interroger les élèves sur la réalisation de travaux honnête et éthique à l’aide de l’IAG.
C) Réflexion éthique
Le personnel enseignant est invité à s’engager dans un processus réflexif guidé par ces principes éthiques : la sobriété numérique, la qualité, l’équité et l’inclusion, la transparence et l’explicabilité et l’agentivité.
- Sobriété numérique : Il s’agit de reconnaître que l’utilisation des systèmes d’IA, par la quantité de données et de calculs algorithmiques générés, a une empreinte environnemental importante. Ainsi, il est recommandé de faire preuve de sobriété numérique, c’est-à dire de réfléchir de façon critique aux usages qui en sont faits, dans une perspective de développement durable et de respect de l’environnement.
- La qualité : « Si le personnel enseignant choisit d’utiliser l’IAG, la qualité de l’information générée doit être vérifiée de manière critique au préalable ou avec les personnes apprenantes, pour assurer sa fiabilité et sa pertinence. »
- Équité et inclusion : « Le recours à l’IAG en éducation doit se faire dans le but de permettre au milieu d’être équitable et inclusif ». Partant de ce constat, l’enseignant devra ainsi tenir compte des enjeux liés à la représentativité dans les données ainsi que des biais qui y sont transmis. Ainsi, l’enseignant devra conserver un regard critique sur les réponses fournies par l’IAG, et devra, si nécessaire, modifier celles-ci, les reformuler.
- Transparence et traçabilité : Pour une utilisation transparente, il sera important de veiller à ce que l’usage de l’IAG soit par exemple identifiable dans un contenu proposé aux utilisateurs, aux élèves. Identifier clairement la source d’une génération sera par exemple un bon moyen de tracer facilement un contenu. Face à la faible explicabilité concernant les sources utilisées pour générer une réponse, l’enseignant devra s’interroger sur la nécessité d’utiliser ou non une IAG, par rapport à un moteur de recherche.
- Agentivité : « Le personnel enseignant est invité à s’engager dans un processus réflexif en sélectionnant les tâches pour lesquelles il désire être assisté et en évaluant en continu si l’IAG lui permet d’avoir une plus grande agentivité dans sa pratique. »
Obligations légales relatives à l’usage de l’IAG
Concernant les obligations, le Ministère formule trois recommandations précises :
- Sécurité de l’information : Il est de la responsabilité de chaque utilisateur de faire valider l’outil d’IAG par son organisme scolaire avant d’en faire l’utilisation.
- Protection des renseignements personnels : Ne pas saisir d’informations sensibles, confidentielles ou personnelles dans un système d’IAG à moins d’avis contraire des responsables de l’organisme.
- Droits d’auteur : Respecter les droits d’auteur relativement aux informations fournies à l’IAG.
Tableau de synthèse du guide
Le Ministère a préparé un outil synthèse qui rassemble les questions de réflexion du Guide d’utilisation pédagogique, éthique et légale de l’intelligence artificielle générative.
Cliquez pour accéder au format PDF téléchargeable.
Développement professionnel
Finalement, à plusieurs reprises dans le document, on nomme l’importance de se former pour mieux saisir les opportunités et les limites associés à l’utilisation pédagogique de l’IAG. Chaque milieu est invité à entreprendre une réflexion collective, puis les membres des équipes-écoles pourront se former de façon individuelle ou en équipe.
Psst! L’École branchée a développé une offre de formation pouvant répondre à de nombreux besoins en ce sens. Des formations sur mesure peuvent aussi être développées. Récemment, nous avons accompagné le District scolaire francophone Nord-Est (DSFNE), au Nouveau-Brunswick, dans sa réflexion.